Walter White a ce que l'on peut appeler une vie merdique : 50 ans et aucune perspectives, un fils handicapé, un boulot de prof indigne de son prix Nobel de chimie, un second job ingrat pour payer les factures, une femme enceinte de façon inopportune... Un tableau peu enviable mais qui le devient encore moins lorsqu'il apprend qu'il est atteint d'un cancer à un stade avancé.
L'horizon, déjà bien obscurcit, devient complètement bouché. Une injustice de plus qui fera déborder le coupe de Walter. Ne voulant pas laisser sa famille dans le besoin et voulant leur offrir une vie meilleure que la sienne il décide de mettre ses incroyables compétences de chimiste à profit... en faisant de la méthamphétamine (ou crystal-meth ou encore crystal tout court) d'une pureté et d'une qualité inégalée.
Le point de départ est similaire à la série "Weeds" pourtant le destin de ce brave père de famille là prend une tournure bien différente. Ici le ton n'est pas à l'humour (quoique la série sait être drôle pour peu qu'on aime l'humour noir) mais au drame.
Le titre de la série est révélateur de son contenu : "Breaking Bad" est donc l'histoire d'un "pétage de plomb" d'un homme ordinaire qui a trop donné et pas assez reçu.
Ici l'humour est noir, très noir, à l'image de l'ambiance de la série où l'on oscille entre mensonges, accès de violence, quiproquos, tensions et désillusion.
"Breaking Bad" est une série qui repose surtout sur ses personnages, sur son personnage en fait. Walter White est le centre du show, sa psychologie est la clé de voûte de la série.
Loin du protagoniste habituel, Walter White n'est pas un héros (faut pas croire ce que disent les journaux), il n'est pas beau à l'extérieur et il ne l'est pas non plus à l'intérieur. Pourtant on s'accroche à lui, pas parce qu'on aimerait être comme lui ou parce qu'il nous fait rêver, non... parce que, tout simplement, on est comme lui.
Tantôt égoïste, tantôt généreux. Tantôt noble, tantôt minable. Tout simplement humain, dans toute sa complexité et ses contradictions. Walter lutte avec lui même et redéfinit les limites de ce qu'il appelait auparavant "morale" en explorant toujours plus profondément son côté obscur. Si les circonstances l'ont poussées à faire ce choix la série n'hésite pas à sans arrêt remettre en question le bien fondé de la démarche, évitant ainsi toute apologie et posant au passage des questions dérangeantes.
Mais que serait Walter White sans l'acteur qui l'incarne ?
Bryan Cranston (connu pour être le père de Malcolm dans la série du même nom) est tout simplement fabuleux... parfait serait peut être même le mot le plus juste.
Aussi charismatique que fragile il donne corps à ce personnage avec conviction et passion. Son interprétation est un moteur énorme pour la série tant il hypnotise son audience dès qu'il entre en scène.
Si Walter White et/ou Bryan Cranston bouffent littéralement l'écran les personnages secondaires ne sont pas en reste. Si leurs caractérisation initiale fait croire à une certaine facilité, ils s'éloignent très vite de leur canevas et jouissent d'un soin réel dans l'écriture.
Ainsi le fils handicapé ne sera jamais lourdingue et n'est pas utilisé pour forcer le pathos, il a son propre caractère sans être un ado bas du front de plus. La brave femme au foyer n'a finalement rien de la potiche que l'on imagine et apporte un contre-poids sérieux au comportement de Walt. L'associé Wesh-Wesh idiot se trouve être le personnage le plus touchant et sincère de la série. Le beauf flic aux allures de Vic Mackey dévoile lui aussi une personnalité plus complexe que l'image du hard-boiled cop qu'il donne.
Des rôles qui sont complétés régulièrement par de nouveaux personnages hauts en couleur (attendez de rencontrer Saul Goodman !) et avec lesquels les scénaristes ne prennent pas de gants, gardant en permanence la tension et la surprise qui font la recette du show.
La qualité d'écriture des personnages et des dialogues est soutenue par une réalisation de haute volée : inventive et très soignée.
Certains qualifient la série de lente ce qui est totalement faux, surtout lorsqu'on a tâté (et forcément aimé) des séries comme "The Wire ou "The Soprano" qui sont, elles, vraiment lentes. Bien sûr ce n'est pas la frénésie de "The Shield" mais il se passe beaucoup de choses et tout s'enchaine avec fluidité.
La série s'offre le luxe d'adapter le rythme de ses épisodes au contenu, échappant ainsi à tout canevas routinier. Là où certains épisodes misent sur l'action et les rebondissements, d'autres s'attarderont sur des choses d'apparences triviales (un épisode entier est par exemple consacré aux travaux dans la maison de Walt) mais offrent ainsi un approfondissement psychologique appréciable. Ainsi dans "Breaking Bad" on peut passer 2 épisodes à se demander si tuer un homme est une chose justifiée ou même justifiable.
Cela garantit aussi un effet de surprise permanent pour le spectateur (difficile d'anticiper la suite malgré un fil rouge bien présent) et une liberté pour les scénaristes, décidément bien inventifs.
"Breaking Bad" est une odyssée dans les méandres de la moralité, dans les contradictions d'une Amérique profonde en proie à toutes les désillusions.
On plonge et on rame avec Walter White, un personnage tellement humain et proche de nous que lorsqu'il tente de se libérer de ses frustrations on se sent un peu libérer des notre, il est un électron libre, une graine de liberté dans un contexte qui l'étouffe.
M.à.j. Breaking Bad persiste et signe tout le long des 5 saisons, alors que la peur de tourner à vide guette Vince Gilligan et sa bande réussissent à relancer la machine, à se renouveler et à nous surprendre. La fin du voyage est pour la saison prochaine et elle s'annonce sous les meilleures auspices. Rendez-vous très bientôt donc.