Des retours comme celui de Bref, c’est quitte ou double : soit on salit le culte d’une époque révolue en voulant relancer la machine à billets, soit l’on revient parce que le temps du silence a laissé mûrir de nouvelles idées, qui valent vraiment d’être mises en scène. Le deuxième cas est très rare, et c’est pourtant bien dans cette catégorie que s’inscrit Bref.2 : une décennie plus tard, Kyan Khojandi et Navo ont parcouru du chemin, et reviennent à leur premier amour pour le balancer dans les affres de la quarantaine. À ceci près qu’ils ne cèdent pas à la facilité consistant à lui en donner tous les attributs classiques de la comédie française (emploi, famille, routine), mais restent fidèles à ses traits de caractère pour explorer une situation de paralysie continue, où l’inaction, les ruptures et l’absence de choix poursuivent une vie construite sur de fallacieuses et déceptives montagnes russes.
Bref.2 a cette première qualité de réussir les retrouvailles : Je n’est pas un autre, et le ton qui a fait le culte de la première saison (voix off, autopsie continue du quotidien, lose permanente) fonctionne toujours. Ses comparses assurent une fonction double : consolider le lore familier des personnages, et mesurer la distance parcourue pour ceux qui ont réussi à se construire. Les caméos sont légion, le rythme soutenu, entre la frénésie des montages cut et certaines séquences plus longues. Bref, la série ne se trahit pas.
L’évolution principale est celle des moyens déployés. Les auteurs ont pris de la bouteille, et ont, surtout, eu le temps de peaufiner leur écriture en amont. On retrouve ici la virtuosité à l’œuvre dans le spectacle de Kyan, Une bonne soirée, où la profusion de situations suit un fil rouge sinueux et les différentes directions finissent toujours par converger dans de nombreux sommets narratifs ; comme l’indique le titre du cinquième épisode, « C’était sous mes yeux depuis le début ».
Il faut aussi saluer l’impressionnante mise en scène, qui matérialise les dizaines d’idées surgies de l’esprit analytique du personnage. Sur un modèle proche de celui de Jean-Pierre Jeunet dans Amélie Poulain, la série explore le temps, les genres, construit et file les métaphores sans limitation d’inventivité (ou de budget). Des idées très drôles (l’académie des oncles), d’autres plus tendres (les rendez-vous sur quatre lieux successifs), qui consistent pour la plupart à déconstruire une vision (l’idéalisation d’une relation, de la figure du père, de celle du grand frère) ou une situation (une photo de mariage, un repas de famille) pour en proposer une version nouvelle : poétisée, mais surtout réévaluée, à la manière d’un Rashomon thérapeutique.
Le plaisir de la profusion visuelle s’enrichit donc constamment de l’écriture qu’elle nourrit, accompagnant le parcours du protagoniste, qui apprend à regarder différemment, écoute d’autres subjectivités que la sienne et brise, en un sens, le moule de la première saison, ou « je » supplantait tout le reste. Une émotion beaucoup plus riche peut alors se déployer, la série s’ouvrant à des thématiques plus graves comme le deuil et la maladie mentale, sans jamais verser dans la lourdeur.
… à une nuance près. La fin de la série, trop désireuse de conclure, se nourrit beaucoup de l’esprit des podcasts du duo (Un bon moment) et vire un peu vers le manuel de développement personnel. La virtuosité de l’écriture s’emballe et devient didactique (certaines métaphores sont filées à l’excès, comme celle du jeu vidéo face au cancer, ou des véhicules par couples), récapitulant pas à pas les apprentissages du protagoniste, les erreurs de l’ex toxique, ajoutant une nouvelle péripétie inutile (l’affaire Gontrand) pour enfoncer le clou d’une nouvelle démonstration : soyez honnête, vous serez récompensé. Les auteurs avaient eu la sagesse de s’arrêter à la fin de la première saison, avec le sentiment d’avoir tout dit. Il aurait été intéressant qu’ils jouent davantage la carte de la modestie sur ce second dénouement, admettant que dans la vie, une nouvelle saison est toujours en vue, parce que les zones grises existent et que l’on n’a jamais tout compris.
(7.5/10)