Rarement une mini-série aura su créer une atmosphère aussi anxiogène en si peu d’épisode. C’est à ce moment qu’on réalise comment les créateurs ont su capter l’essence même du sujet traité. Car comment dépeindre à l’écran une menace mortelle mais invisible ? Chernobyl y réussit à merveille, nous terrifiant derrière nos écrans. Bien sûr, il est difficile de distinguer la part romancé fictive de la réalité, celle de l’exagération pour marquer les esprits de la vérité, celle de la propagande antisoviétique de la propagande soviétique. Et pourtant, dès le premier épisode, plus on avance et plus on réalise que cette adaptation pour le public est proche du fil des évènements, de cette vérité qui veut mettre à jour tous ces mensonges. Les épisodes seront certes inégaux, avec un début incroyable et intense avant une petite baisse de régime pour enchaîner sur la conclusion, grandiose.
Outre le récit de la catastrophe et de ses conséquences humaines, sociales, environnementales, chacune marquée par des scènes très fortes, des plans impactants, des propos parfois choquant ; ce qui m’a le plus déstabilisé dans cette série, c’est la mise en avant des failles ayant mené à ladite catastrophe. Un concours de circonstance impliquant un défaut de conception et d’erreur humaine menée par l’ego de certains, le tout découlant directement du système même de l’Union Soviétique. Le déni des autorités face à la catastrophe, au cours des différentes étapes, le déni des personnes en charges, l’opacité qui affecte chaque échelon de l’organisme… Plus on avance et plus on prend conscience de l’inévitabilité de la catastrophe qui était pourtant évitable. Un paradoxe en soit qui rend le tout d’autant plus terrifiant.
Le casting est impérial ! Alors bien sûr, avoir un casting à forte sonorité britannique pour une histoire se passant en Russie, ça pique un peu l’oreille parfois, mais la suspension consentie de l’incrédulité vient vite nous faire oublier ça. J’ai beaucoup aimé Emily Watson, dans un rôle-mélange pour représenter les personnes ayant tenté de comprendre ce qui s’est passé et leur ahurissement en le découvrant. Le reste est vraiment très bon (notamment Paul Ritter), mais oui, Jared Harris et Stellan Skarsgård sont tous deux extraordinaires : la dynamique qui les anime renforce la crédibilité de leur amitié qui les lie et on finit par s’attacher à leur humanité. Ils excellent à chacune de leur scène.
La série est aussi une réussite technique. La musique est très discrète mais, avec le montage son (excellent), elle crée cette ambiance oppressante qui nous prend à la gorge. On ne voit pas la menace, on la ressent et on l’entend… Ce qui en fait toute l’horreur. Les décors sont superbes : pour d’évidentes raisons, ils n’ont pas pu tourner sur place, mais on s’y croirait. On se retrouve plongé dans cette Union Soviétique de 1986, on est au cœur de la centrale… C’est bluffant. Le tout est supporté par des effets spéciaux d’excellente qualité également (notamment pour reconstituer l’accident lui-même), mais aussi des maquillages incroyables pour les irradiés. Et puis bien sûr, la mise en scène : un pur régal. Un bijou du début à la fin. Participant aussi à créer cette atmosphère particulière (ce putain de plan-séquence de 90s pour suivre un liquidateur… un chef d’œuvre d’intensité anxiogène), elle saura mettre en avant sa menace et ses personnages, tout en nous faisant prendre conscience de l’ampleur de l’évènement.
Chernobyl est une réussite à tous les niveaux. Sa qualité intrinsèque fait qu’on peut lui pardonner certaines largesses et convictions prises. Plus qu’une série historique, on y voit la volonté d’y présenter un docu-fiction collant au plus près de la réalité, dont l’accent n’est pas la catastrophe elle-même mais bien ce qui l’entoure. Ce qui rend cette série anxiogène, ce n’est pas la catastrophe nucléaire, ce sont les mensonges qui ont tenté de l’étouffer.