Parmi les monstres qui ont marqué la fiction, il y a cette catégorie à part des créatures créées par les hommes et se retournant contre eux. Le monstre de Frankenstein est sans doute le plus emblématique de cette famille mais bien d’autres ont suivi. A partir des années 50, la menace atomique alimente nombre de films de SF où sévissent des êtres mutants, fourmis géantes ou colosses endormis (Godzilla, réveillé des profondeurs par des essais nucléaires). De fait, monstres et atome vont souvent de pair dans le cinéma ou la littérature fantastique.
Avec l’accident de la centrale de Tchernobyl, nous ne sommes plus dans la fiction mais bien dans le réel. A 1h23, le 26 avril 1986, suite à une série d'erreurs d’évaluation et de mauvaises manipulations, Le réacteur numéro 4 de la centrale Lénine, à quelques kilomètres de la ville de Pripiat, explose. Le cœur magmatique est à nu lâchant dans l’atmosphère des milliards de particules radioactives. Un monstre totalement inconnu dans l’histoire de l’humanité vient de surgir. Un épouvantable dragon.
Les autorités d’abord débordées, comprennent rapidement qu’après avoir irradié ceux qui se trouvaient à proximité, la créature risque d’échapper à tout contrôle laissant un continent entier à sa merci. Au final, le réacteur n°4 de Tchernobyl aura tué des milliers de personnes, déplacé des dizaines de milliers et marqué dans leur chairs plusieurs générations. Les populations locales, les pompiers sacrifiés, les mineurs et les nettoyeurs du toit (les liquidateurs) auront vu l’enfer, littéralement, de leurs propres yeux. La nature elle-même porte encore, trente ans plus tard, les stigmates du feu nucléaire. Tchernobyl reste une plaie suppurante à la surface de la terre et constitue l’une des plus graves catastrophes que l’humanité ait connues. Pour autant, tous les spécialistes de la question s’accordent à dire que dans cette histoire le pire a été évité.
C’est ce paradoxe, à la fois une défaite et une victoire, à la fois du temps perdu au départ à cause d’un système politique sclérosé et une course de vitesse finalement gagnée que raconte parfaitement la série Chernobyl. Son visionnage ne remplacera pas la lecture de La Supplication : chroniques du monde après l'apocalypse, l’essai éprouvant mais remarquable de Svetlana Aleksievitch mais cette mini série en cinq épisodes a l’immense mérite d’expliquer de façon très pédagogique le comment du pourquoi de cette ahurissante catastrophe. Avec à la clef, une reconstitution convaincante de la ville de Pripriat et l’incarnation des véritables protagonistes de l’histoire par des acteurs excellents.
Le monstre nucléaire est confiné depuis maintenant 33 ans dans un sarcophage à la mesure de la menace qu’il représente : haute de 160 mètres et longue de 260, l’Arche de Tchernobyl pourrait accueillir le Stade de France ou la Statue de la liberté. Elle est prévue pour durer 100 ans. Une misère au regard des 24 000 ans de durée de vie du plutonium.
9/10 ++