Comment la médiocrité s'empare de vos cerveaux

Je voulais attendre la fin de la "saison" pour écrire un truc sur Chroma, histoire de voir où Debbache voulait nous mener, sachant qu'il n'arrêtait pas de répéter qu'il allait quelque part, qu'il y avait une progression et que son truc se voulait une réflexion exigeante où comme pour The Wire il fallait envoyer paître le spectateur moyen qui ne percevrait pas tout le truc.

Bon déjà faut bien comprendre que Crossed n'était pas la folie et qu'il ne parlait presque que de navets finis mais que ça se justifiait avec le contexte de production de trucs... là ça commence à bien faire quand tu vois qu'il est libre et qu'il ne choisit que de parler de mauvais films alors qu'il a une large audience. Pire encore, lorsqu'il va aborder un bon (voire excellent réalisateur), il va s'attaquer à ses films plus discutables. Pourquoi parler de Piège à Hong Kong quand on parle de Tsui Hark réalisateur de films aussi géniaux qu'inventifs ? Surtout que encore une fois il a une audience, ne faut-il pas mieux aller pousser les gens à voir des bons films loin de ce qu'ils peuvent regarder d'habitude (autrement pas les Gremlins ou bien les Affranchis) histoire de parfaire leur culture, d'ouvrir de nouveaux horizons ? Parce que si les nouveaux horizons c'est la benne à ordures, c'est un peu catastrophique.

Bref parler de Piège à Hong Kong lorsqu'on pourrait faire autre chose que juste mentionner Time and Tide, c'est criminel.

Et le pire c'est que bien souvent il ne va même pas déterrer quelques perles de série B oubliées, ce qui serait la promesse (non tenue) du Fossoyeur de film... il parle juste de navets et au milieu tu as les Affranchis, comme ça... (on est loin du film inconnu sur lequel rien n'a été dit)

Outre le choix plus que discutable des films il y a la forme qui pose réellement problème et qui nuit clairement au peu de fond qu'il peut bien y avoir. Ce n'est guère étonnant de voir tous les vidéastes s'entresucer goulument parce qu'en fait ils nous servent tous la même merde faite sur le même modèle et ces gens là ne savent surtout pas comment réussir à faire passer une notion. Je parle bien entendu de l'humour et du rythme effréné. Comment veux-tu que quelqu'un puisse se souvenir de quelque chose quand tu ne fais que des blagues, raconter le film, de nouveau des blagues, que tu balances à la fin vite fait ton message et qu'ensuite tu rebalances des blagues...

Je dois dire que pour le dernier épisode sur Carnosaur, j'ai été énervé, mais physiquement, car ce rythme est physiquement éreintant. Jamais ça ne se pose, même lorsqu'il délivre son message bien niais à la fin "blabla on est tous gagnant, il y a des choses à apprendre des mauvais films blabla". Je ne suis même pas sûr d'avoir capté ce qu'il veut dire ou de pouvoir m'en souvenir alors que j'ai dû le voir il y a un quart d'heure.
Alors les Dirty Biology et autres baltringues du web peuvent bien venir lui sucer la bite, mais non, tu n'apprendras jamais rien à quelqu'un si tu ne lui laisses pas le temps de penser. Sauf si bien sûr il attend de son spectateur qu'il mette la vidéo au ralenti histoire d'avoir le temps de souffler, mais à ce moment là on est d'accord, c'est totalement con.

Donc finalement c'est ça l'essence de ce genre d'émissions sur internet, l'esbroufe, on te fait rire un peu grassement, on te donne l'impression que ta sous culture vaut quelque chose et mérite d'être valorisée et surtout on te fait croire que tu apprends des choses. Et c'est le problème de tous ces gens qui se croient vulgarisateurs, ce qu'ils font c'est juste du spectacle, ils font semblant d'enseigner, les gens font semblant d'apprendre. Mais l'ego est flatté donc on est sauf et certains vont par risque de remettre en question ce que leur ego croit savoir venir défendre ça jusqu'à la mort.

En même temps sur Youtube (ou ici Dailymotion) il est tellement facile de zapper, de passer à autre chose qu'ils sont obligés, la plateforme oblige à captiver à mort son audience, à avoir un rythme effréné, à faire malheureusement dans le superficiel. Parce que oui, ne venez pas me dire qu'on apprend quelque chose de fou, de révolutionnaire, ou quelque chose qui dépasse le "bon sens populaire".

Ce qui est assez cocasse c'est qu'il fait des émules, l'autre pignouf de Licarion se met lui aussi à poser des questions bidons à la fin de ses émissions sur ce qu'est ou n'est pas un bon film, sur ce qu'est ou n'est pas le cinéma... Sauf qu'à quelle réflexion veux-tu bien pouvoir mener quand juste avant tu as parlé de Mac & me ou de Troll 2, que tu as fait des blagues parfois sous la ceinture et graveleuses ? Tu n'es pas entrain de lire Alain ou Kant sur l'art... tu es entrain de voir du spectacle abrutissant qui parle d'un sujet abrutissant.

Alors soi-disant ça servirait le propos comme quoi tous les films de merde valent quelque chose et disent quelque chose... Ce qui en fait rejoins une théorie de la communication comme quoi il est impossible de ne pas communiquer. Même de la merde communique et dit quelque chose sur son statut de grosse merde... Et c'est vrai. Par exemple Chroma dit quelque chose sur la production de vidéos sur internet... Des mecs achètent du matériel professionnel pour faire quelque chose de fade, générique, qui offre juste à ceux dont le cerveau est assez liquéfié pour pouvoir supporter le rythme abrutissant un résumé de film et des blagues qui viennent pourrir le résumé... Si ce n'est pas un monstrueux gâchis de fric ?

Nietzsche le disait, il faut des auteurs médiocres pour les gens médiocres...

D'ailleurs ceux qui se branlent sur les "analyses" de Debbache sont, j'en suis sûr, les mêmes qui vont ensuite râler parce que les profs, les "bobos intellos" vont suranalyser (sic) certaines œuvres. Mais là c'est Debbache, donc ça passe. Et donc ce que ces vidéos, ainsi que toutes celles des auteurs prétendus vulgarisateurs, font, c'est participer au nihilisme actuel, c'est-à-dire à la destruction de toutes les figures d'autorités (les scientifiques, les profs, ceux qui "détenaient" le savoir en gros et qui faisaient donc autorité dans leur domaine) pour les remplacer par ces gens qui ne savent pas grand chose, du moins pas plus que le commun des mortels mais qui sont "cool". Ce qui rend finalement cette impression de savoir compatible avec la consommation. Debbache s'en défendra sans doute, mais ce qu'il fait, comme ce que font tous les autres, c'est des produits de notre temps et de notre société consumériste...

Ils sont tous remplaçables, interchangeables, Durendal, Fossoyeur, Inthebida, Debbache, Licarion ou Linkthesun et je sais qui encore... ils racontent le film, font des blagues et on accouche le néant... Que les vidéos soient monétisées ou non ça ne change rien... rien du tout... puisqu'ils sont sur une plateforme payée par la publicité, où tous les autres contenus sont financés par la pub où il y a un certain format, un schéma nécessaire d'appliquer pour espérer réussir à faire un truc qui marche. Peu importe ce qu'ils font, ils font avec le système, ils font du spectacle, pour le spectacle...

N'oublions pas plus que si Dailymotion a mis du fric là-dedans c'est parce qu'ils savent qu'ensuite vous allez rester sur la plate-forme, bouffer les pubs...

Dans notre univers bobo compatible la souffrance est vue comme un mal, elle doit être anéantie (Nietzsche dirait qu'on supprime tout plaisir et il a raison), or l'apprentissage se fait dans la souffrance, dans le renoncement aux idées préétablies... Ce renoncement peut-il se faire lorsqu'on te caresse dans le sens du poil ? Lorsqu'on te surdose le tout de sucre pour que ça passe et que le fond n'est finalement jamais bien développé ou novateur ?

D'ailleurs ce n'est tellement pas novateur que ce qu'il dit sur Signes je l'ai lu sur un forum Allociné lors du passage du film à la télé il y plus de dix ans... ce qu'il dit sur Piège à Hong Kong je l'ai écrit plus d'un an auparavant en moins de 2500 signes (et Nanarland ne dit pas autre chose)... Donc qu'apporte Chroma ? Rien... du divertissement bas de gamme avec un humour absurde... certains diront que c'est déjà ça, que c'est mieux que rien, qu'ils ne regardent que pour ça... Mais il est peut-être là le problème, trouver ça pas si mal c'est déjà cautionner, donner de la popularité à un gars qui ne fait rien que reprendre le Nostalgia Critic (et je suis trèèèès loin de penser que ce type c'est la panacée) en plus "Arty" et comme l'écrivait LeDeuff, la popularité remplace l'autorité... Ce qui ne fait que continuer à détruire notre société, on nage en plein nihilisme. Difficile de dire que Chroma laisse quelque chose derrière lui, si ce n'est des Licarion ou des trucs du genre, tout ce qu'il fait c'est relativiser, niveler par le bas, faire comme si tout se valait... faire comme si tous ces navets méritaient plus qu'on parle d'eux que tout un tas de bons films inconnus...

Et en l'oublions pas, en terme d'audience il est plus facile de venir plaire et disant "venez on va parler d'une merde, ça va être drôle" que de dire "venez on va parler d'un super film en noir et blanc sorti dans les années 30 et qui a inventé un genre, une manière de filmer ou que sais-je".

L'humour les perdra tous.

Rien à voir, circulez...