Culte
6.8
Culte

Série Prime Video (2024)

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Un récit à la gloire de ceux qui ont véritablement gagné Loft Story : ses producteurs.


« Cette série est une fiction librement inspirée de la (télé-)réalité. Les personnes, situations, évènements, lieux ou dialogues ont pu être inventés, modifiés ou recréés pour exprimer la vision artistique des auteurs (ou de ses producteurs ?) »


Difficile de décrire Culte sans aborder le choix de la série d'adopter le point de vue narratif de ceux qui ont véritablement gagné Loft Story : ses producteurs. Car en effet, si vous cherchez à travers la série à en apprendre plus sur les dessous (et les travers) de la télé-réalité, vous faites fausse route car elle ne révèle rien d'autre (et même moins) que ce que l'on sait déjà. Tout au contraire, Culte propose un récit tronqué à la gloire de ce qui fut une réussite commerciale pour le directeur général de M6 Nicolas de Tavernost (Christian de Chaunac) et intervient comme un récit révisionniste de près de vingt-cinq ans d’émissions produites par Alexia Laroche-Joubert (Isabelle) aux effets bénéfiques que l’on connaît : de Loft Story à Touche pas à mon poste ! en passant par Les Marseillais et autres Secret Story.


Or, on admet aisément qu'il n'aurait pu en être autrement lorsque l'on apprend que la personne qui a produit cette série n'est autre que Alexia Laroche-Joubert elle-même et que cette dernière est « intervenue à chaque étape [de la rédaction du scénario] ». C’est d’ailleurs non pas les réalisateurs et scénaristes de la série Nicolas Slomka et Matthieu Rumani qui font actuellement la tournée des plateaux de télévisions et de radios pour en faire la promotion mais Alexia Laroche-Joubert, confortant ainsi l’idée que l’écriture du scénario de Culte a été grandement influencé par cette dernière. A ce titre, et de façon tout à fait surprenante, Alexia Laroche-Joubert est accueillie en grande pompe sur les plateaux des chaînes de télévisions qui… par pur esprit de coïncidence… se trouvent être les diffuseurs des émissions qu’elle produit. La boucle est bouclée. Culte est en réalité une publicité pour les émissions produites par le groupe Banijay à l'heure où, par ce même esprit de coïncidence, ce dernier tente de relancer des émissions de télé-réalité d'enfermement comme la Star Academy et Secret Story. Perpétuant ainsi l'illusion de réalité dans lequel nous avait bercé la télé-réalité, Culte s'interdit ainsi de raconter la réalité de ce qu’a été l’expérience de la télé-réalité pour ses candidats, comme avait pu le faire avant la série Unreal, ou de proposer une lecture critique des conséquences de l’apparition de ce nouveau genre à la télévision comme peut le faire la saga Hunger Games au bénéfice d'une approche enjolivée de ce phénomène.


Le récit populiste autour de la téléréalité


Ici, les producteurs sont présentés comme des jeunes avant-gardistes, soucieux de « montrer la vie des vrais gens », répondant ainsi à une aspiration presque démocratique auquel se refuserait une société sclérosée et sous l’emprise d’« intellectuels de gauche bien-pensants ». La construction (mégalomaniaque ?) du personnage d’Isabelle, jeune femme courageuse, intelligente et ambitieuse qui cherche à s’imposer dans un univers composé majoritairement d’hommes ainsi que celui de Raphaël, issu d’un milieu rural et modeste et qui va s’élever socialement grâce à la production de l’émission développent le mythe d’une télé-réalité méritocratique et même féministe à contre-courant de la réalité. En effet, ce récit fait fi de l’ensemble des critiques portées depuis des années à ces émissions de télé-réalité, accusées de véhiculer le sexisme (Paul Sanfourche: «Le sexisme est utile à la téléréalité») et le mépris de classe (La téléréalité, machine à mépris de classe ?). On pourrait également parler de la construction du personnage de Loana qui passe d’un personnage emprunt de vulnérabilité pour ensuite s’affirmer progressivement grâce à son passage dans l’émission et dont le destin tragique dans la réalité n’est absolument pas abordé dans la série. À l'inverse, le camp des anti-Loft est représenté dans la série par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) présenté comme une assemblée de vieillards hostile au progrès, à l’expression des jeunes à la télévision et luttant pour l’interdiction de l’émission. La réalité démontre pourtant que la légitimité du CSA a été grandement remise en cause à l’époque pour la grande passivité dont il a fait preuve lors de la diffusion de l’émission.


Ainsi la contestation de la société française face à l’émergence de la télé-réalité en France est vulgairement résumée dans la série par une guerre de générations dont l’expression la plus révélatrice est la mise en scène du conflit entre Isabelle et son père (Daniel de Rochechouart), lequel finira par se raviser et soutenir l’émission que produit sa fille. Ce faisant, la série opère un contresens historique en soutenant un récit qui omet volontairement d’aborder les controverses transgénérationnelles qui ont animés la France à cette période : atteintes au respect de la dignité de la personne humaine, représentation d’une jeunesse aux ordres et valorisation de la guerre de tous contre tous par la mise en scène d’un individualisme exacerbé…etc (cf. I Loft you - Vincent Cespedes). A ce sujet, le représentation dans la série des manifestations organisées pour contester l’émission au siège de M6 ainsi que des prises de paroles médiatiques d’intellectuels et politiques contre l’émission ne nourrit pas le débat mais uniquement l’idée que l'émission constitue un phénomène populaire qui dépasse ses producteurs. Finalement ce récit ne vise, à mon sens, qu’à déresponsabiliser ces producteurs du rôle qu’ils ont eu dans l’importation de la télé-poubelle en France et le mythe selon lequel ils n’auraient fait qu’accompagner une révolution, une demande latente du public français.


L’angle mort sur les pratiques des productions de télé-réalité


Culte aurait pourtant pu être l’occasion de retracer (réellement) le traitement des candidats par les groupes de production d’émissions de télé-réalité, dont les pratiques ont pu être comparées par certains candidats à celles de « groupes mafieux » (Cf. La vérité sur la télé-réalité - Morgane Enselme). Après leur sortie de l’émission, beaucoup de candidats de Loft-Story avaient déclaré regretter avoir été manipulés par la production, contestant la diffusion d’images intimes de leur personne sans consentement, d'avoir été contraint par la production de rester dans l’émission contre leur gré ou encore de s'être vu refuser l'accès à des soins (90 minutes Enquêtes sur les « dessous de la télé-réalité »). Certains de ces éléments sont relativisés dans la série. Ainsi la diffusion en direct de la séquence de la "piscine" au titre de laquelle des images à caractère sexuels de deux candidats ont été diffusés sans leur consentement est renvoyée à une simple "erreur technique" causée pas la circonstance qu'aucun technicien ne se serait trouvé derrière la caméra pour l'empêcher avant que Isabelle n'intervienne, en sauveur, pour couper la diffusion de la scène.


D'autres éléments sont carrément absents. Les producteurs sont présentés comme des êtres soucieux de la santé mentale des candidats, cherchant à les protéger des journalistes véreux de Paris-Match, allant même jusqu’à leur permettre de rencontrer un psychologue et leur proposer de sortir de l'émission (séquence avec Loana). Même la question de la diffusion d’images dégradantes d’un candidat dans le but d’orienter les votes du public vers son élimination, manifestation éclatante d’une atteinte à la dignité de la personne humaine, est justifiée dans la série par la prétendue volonté de la production de protéger une des candidates (Loana) du comportement d'un de ses colocataires (Jean-Edouard) et vise, là encore, à déresponsabiliser le groupe de production des effets délétères produits par l’émission sur les candidats. Ces absences sont d’autant plus marquantes que le thème des conditions de travail n’est abordé que du point de vu des journalistes et techniciens travaillant à la production de l’émission notamment à travers la séquence du burn-out de Karim et jamais du point de vu des candidats.


En bref, si Culte a des qualités de réalisation évidentes dont je ne traite pas ici, c’est avant tout une œuvre révisionniste, mégalomane et un coup marketing pour Alexia Laroche-Joubert et sa boite de production.

PierreKarl
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le 22 oct. 2024

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Pierre Karl

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