Saison 1 : Après la superbe saison 8 diffusée ce mois-ci, et qui se trouve malheureusement être la dernière (j’écris malheureusement mais c’est toujours mieux qu’une série s’achève alors qu’elle est à son apogée), nous avons eu l’envie immédiate de revoir l’intégralité des 8 saisons façon binge-watching ou presque. Je n’avais pas un très bon souvenir de la saison 1, la revoir l’a confirmé, même si elle n’est pas dénuée d’intérêt. Elle est intéressante car elle présente les personnages, et le cadre de la série, même si celui-ci est encore mal défini. J’avais le souvenir d’une série très courte de 6 épisodes, mais elle en compte finalement 8 d’une heure chacun, et n’est pas plus courte que certaines autres. Ses défauts sont tout d’abord sa mise en scène, assez moche, faite d’effets grossiers qu’on ne retrouve heureusement plus par la suite (et déjà la seconde partie de la saison est plus réussie). Elle souffre aussi d’essuyer les plâtres. Elle arrive en 2005 et il n’y a encore rien en série télé en France. Donc elle mélange l’ampleur des séries américaines qui commencent à cartonner et qui traitent d’une affaire sur une saison entière, à des vignettes plus dispensables dont les intrigues sont résolues dans l’épisode et dont on ne parlera plus ensuite. Si l’on commence à déjà bien saisir que la série va s’attacher à suivre des enquêtes policières à tous niveaux, des flics de terrain aux cols blancs, mais en passant aussi par la justice, l’avocat, le procureur, le juge, dans tout ce que cette machine a de complexe, on peut regretter que cette saison veuille choquer visuellement. Elle est sous l’influence de séries comme Dexter ou de films comme Seven, et montre ce qu’on ne montre pas d’habitude, les corps, la chair, les meurtres d’une façon volontairement choquante qui a mal vieilli. Dieu merci, dès la saison 2, et même si certaines images d’icelle continueront à remuer le cœur, la référence sera plus The Wire, se concentrant sur la méthode, donnant au spectateur le sentiment d’une immersion totale dans une enquête de police. Un autre souci majeur de la saison 1 est liée à l’imbrication des éléments qui tissent son scénario. On y parle de trafic de prostituées, du meurtre d’icelles, de pédopornographie qui remonte jusque dans les hautes sphères du pouvoir français, mais l’enquête semble tourner autour de quelques personnages prédéfinis, comme si Paris était minuscule (du genre l’un des principaux suspects est forcément l’un des meilleurs amis du procureur, etc., tout le monde semble se connaitre). C’est un manque d’ampleur qui est tout simplement lié à la découverte d’une nouvelle façon de faire de la série télé. Revoir cette saison 1 15 ans et 8 saisons après lui donne forcément un coup de vieux, accentue forcément ses défauts, mais en même temps on comprend ce qui nous a plus à l’époque pour nous rendre totalement accro dès la saison 2 et même encore aujourd’hui elle donne vite envie d’enchainer à rythme élevé.
Saison 2 : En effet, la différence entre la saison 1 et 2 est énorme, ce n'est plus un trou, ni un fossé, c'est un monde qui sépare ces deux saisons. Entre temps, entre 2005 et 2008, la façon de faire des séries tv en France a été totalement bouleversée, influencée par les séries américaines qui envisagent une saison comme un grand arc narratif permettant des subtilités inconnues jusqu'alors. Engrenages saison 2 bénéficie de tout cela et sa saison 2 est si largement supérieure à la première qu'on imagine le bouleversement qui a du agiter ses créateurs, se rapprochant ici d'un The Wire français. Les acteurs mêmes sont meilleurs, à commencer par Audrey Fleurot qui définie enfin les contours de son personnage encore balbutiants dans la saison 1. Idem pour Fred Bianconi (Tintin) qui continuera de progresser dans les suivantes. Quand à Thierry Godart, alias Gillou, il est très en retrait dans cette saison 2, presque relégué au stade de second rôle alors qu'on sait tous qu'il est LE grand héros masculin de la série. C'est je pense volontaire de la part des auteurs qui souhaitent effacer son personnage de la saison 1 (il ne s'appelait d'ailleurs pas Gilles Escoffier, et son changement de nom résonne comme un aveu, et il sombrait tellement dans la drogue que les auteurs ont voulu lui donner une seconde jeunesse. C'est réussi, et il est tout de même présent, et reviendra en tête d'affiche dès la 3). Un mot aussi sur l'extraordinaire casting propre à cette saison 2 qui fait montre soit d'une grande cinéphilie pour le choix des acteurs déjà confirmés (Brigiite Roüan, Daniel Duval, ce genre) soit d'un pif extraordinaire pour découvrir de jeunes talents (puisqu'on découvre ici les premiers pas, pour de grands rôles, de Reda Kateb, Swann Arlaud, Pierre Deladonchamps ou Samir Guesmi parmi d'autres). En terme de mise en scène aussi cela n'a plus rien à voir. Fini les effets dégueus, c'est une mise en scène embarquée, souvent caméra épaule, au plus proche des personnages afin de nous faire vivre l'événement au plus près et avec le maximum d'intensité. Il y a bien encore quelques maladresses de scénarios, des situations évitables si tel ou tel personnage avait réagi de manière plus réaliste, quelques enchainements un peu trop téléphonés, mais ce n'est rien en regard de la qualité de l'ensemble, qui est ample, prenant, et véritablement addictif. Et la série n'a pas fini de nous surprendre puisque le bon qualitatif est tout aussi important entre la saison 2 et la 3, la 3 étant dans mon souvenir la saison la plus prenante et la plus réussie des 8, nous emmenant à la recherche d'un serial killer parisien, dans une enquête anxiogène et passionnante. Hâte de la revoir, vous imaginez.
Saison 3 : J'en gardais le souvenir de la meilleure saison de la série, et il sera en effet dur de la détrôner même après le second visionnage. Elle est énorme à tous points, les personnages sont maintenant parfaitement campés, ils ont tous une densité qui les rend vivants, la mise en scène embarquée est parfaitement adaptée au ton et à l'écriture de l'ensemble, et l'intrigue est la plus passionnante qui soit, mêlant la traque d'un serial killer sanguinaire dans Paris à un affreux trafic de prostituées en provenance des pays de l'Est, les deux intrigues finissant bien évidemment par se croiser. C'est parfait de bout en bout, ultra tendu tout en restant cohérent. Je n'avais pas aimé la saison 4 à cause de son sujet absolument pas crédible à mes yeux, curieux d'y rejeter un oeil prochainement maintenant que je sais à quoi m'attendre.
- Saison 4 : A part la saison 1 qui pose les fondations et qui n'est pas une saison réussie, je me souvenais de la 4 comme de la plus faible des 7 autres, impression confirmée (pour le moment) par cette revoyure, même si j'y ai trouvé aussi plein de choses super que j'avais eu tendance à oublier. Ce qu'il y a de bien c'est qu'il y a de nombreuses intrigues et qu'elles s'entremêlent parfaitement. On sent que les techniques d'écriture sont maintenant rodées et ça déroule du câble, c'est assez impressionnant et bien fichu. en revanche, et c'est le gros problème, l'intrigue principal est merdique. Désolé mais ces terroristes d'extrême-gauche qui veulent faire tout sauter pour un monde meilleur en 2012 je n'y crois pas deux secondes. L'acteur qui joue le terroriste en chef n'aide pas, il est nul. Mais je reste persuadé que les auteurs n'ont pas eu le courage d'aborder le terrorisme islamiste qui était déjà omniprésent post 11 septembre, et ils se sont rabattus façon couille molle sur ce truc de 68ard qui semble improbable en 2012. Et y a du coup plein de scènes qui ne marchent pas, comme il y a des personnages dont ils ne savent plus que faire, à commencer par Joséphine Karlsson, ou le juge Roban, on les laisse là, mais on pourrait s'en passer ou presque. Vivement que leurs personnages se relancent dans la suivante, car au niveau de la Brigade de Berthaud, là tout est nickel, les personnages sont de mieux en mieux affinés et on vibre à chaque filature.
Saison 5 : A la revoyure, je pense que cette saison est la meilleure en fait. Elle condense tout ce qu'il y a de meilleur dans les saisons précédentes, et est mise en scène avec une densité inégalée, les personnages et leur storyline respective sont tous magnifiques, et surtout l'enquête est construite comme jamais. Je rappelle que cette saison se concentre à la recherche des assassins d'une mère et de sa petite fille retrouvées accrochées à une péniche dans un canal parisien. L'enquête va d'impasses en chausse-trappes , on n'arrête pas de changer de suspect, et puis finalement lorsqu'on sait enfin qui est l'assassin, on se rend compte que toutes les théories les plus abominables qu'on a pu échafauder s'écroulent tels des châteaux de cartes. Tout ça pour ça... en somme. Un peu comme Roubaix de Desplechin et surtout le documentaire qui est à l'origine d'icelui et dont j'ai parlé cette semaine, ce double meurtre est motivé par des raisons tellement minables, inexistantes, qu'il n'est in fine que le reflet de la misère humaine. Et la saison 5 d'Engrenages montre ça à la perfection. Alors oui, on peut se dire que la série est maintenant calibrée, qu'elle est sur des rails solides, qu'elle sait où elle va, qu'on ne sera plus surpris, mais quand même... Il y a un tel soin, une telle émotion, une telle densité, un tel niveau de qualité d'ensemble qu'on ne peut être qu'admiratif. Et l'histoire personnelles des protagonistes est on ne peut plus émouvante, de Gilou à Tintin, et surtout Laure dont le personnage atteint ici un degré d'intensité et d'émotivité jamais atteints.
Saison 7 : Seul petit bémol sur la fin de saison qui aurait pû être encore plus tendue en suspense (à l'instar de la fin du Bureau des Légendes 4), mais sinon saison parfaite, à tous niveaux, c'est du grand art, on retrouve du 24h chrono à l'époque où c'était énorme mais adapté à la narration d'aujourd'hui et du The Wire, tout en restant parfaitement une série française. J'ai adoré, et je sais que le tournage de la 8 va commencé dans quelques jours, et c'est une formidable nouvelle.