Engrenages, c’est un peu comme si on avait pris un polar sombre, qu’on l’avait plongé dans les rues pluvieuses de Paris, et qu’on avait troqué les dialogues chics pour des échanges crus et des tensions à couper au couteau. Canal+ nous offre ici une série qui n’a rien d’un joli Paris de carte postale ; au contraire, c’est un Paris brut, sale, et plus labyrinthique qu’un roman de Zola sous stéroïdes, où chaque personnage semble au bord de la rupture.
L’histoire suit une équipe d’enquêteurs, de magistrats et d’avocats embarqués dans des affaires toujours plus sombres et complexes. La capitaine Laure Berthaud, anti-héroïne par excellence, mène ses enquêtes avec un mélange de bravoure et de chaos qui ferait hésiter même les plus aguerris. Elle est du genre à tout donner pour ses enquêtes, quitte à négliger le reste, notamment sa propre santé mentale. Avec elle, on oublie l’image du flic glamour ; Laure est la quintessence de la flic qui boit un café noir à minuit, le regard perdu dans le vide, en essayant de relier des fils rouges sur un tableau de liège aussi usé que son esprit.
À ses côtés, on a une galerie de personnages hauts en couleurs, chacun avec ses démons et ses contradictions. Pierre Clément, le jeune procureur idéaliste qui tente de maintenir un semblant de justice tout en s’empêtrant dans des dilemmes moraux ; Joséphine Karlsson, une avocate ambitieuse et un peu trop prête à franchir la ligne rouge pour défendre ses clients ; et bien sûr, le duo infernal de policiers Gilou et Tintin, qui semblent tout droit sortis d’un manuel de survie en milieu hostile.
Ce qui rend Engrenages si captivant, c’est sa capacité à rendre palpable la noirceur et la complexité de l’univers judiciaire. Chaque affaire semble un prétexte pour nous plonger dans un monde de trahisons, de dilemmes éthiques et de corruptions aussi profondes que les parkings souterrains où finissent souvent les scènes de crime. Ici, il n’y a pas de super-flics ou de juges héroïques. Chacun est à sa manière englué dans le "système", un labyrinthe bureaucratique où chaque décision semble entraîner des conséquences plus sombres que la précédente.
L’esthétique de la série est elle aussi sans concession : Engrenages mise sur un réalisme cru, sans filtre. Les scènes se déroulent dans des bureaux grisâtres, des sous-sols lugubres, des halls d’immeubles miteux, et des salles d’interrogatoire où l’odeur du café froid semble incrustée dans les murs. Pas de glamour, pas de fioritures, juste la réalité brutale de ceux qui côtoient la criminalité au quotidien. Et même quand ils rentrent chez eux, ils ne trouvent pas de répit, mais plutôt un mélange de solitude et d’existences éclatées. La vie de flic, dans Engrenages, n’est pas seulement un métier, c’est un engrenage (sans jeu de mots) duquel on ne sort jamais vraiment indemne.
Côté intrigue, Engrenages sait jouer avec la tension et les rebondissements. Chaque saison est une plongée dans une affaire tentaculaire, où l’on passe de simples enquêtes de rue à des dossiers de grande envergure mêlant drogue, meurtres, et manipulations politiques. À mesure que les personnages s’enfoncent dans l’affaire, les couches de la corruption et du pouvoir se dévoilent, rappelant que même les meilleurs policiers doivent parfois composer avec un système où tout le monde a quelque chose à cacher. Et plus on avance, plus on se rend compte que ce ne sont pas seulement les criminels qui ont des secrets.
Les personnages, quant à eux, sont magnifiquement imparfaits. Laure est aussi charismatique que désespérante, oscillant entre des moments de pure force et des décisions qui frôlent l’auto-sabotage. Gilou, avec son côté brut de décoffrage, est à la fois un flic loyal et un type qui flirte régulièrement avec la ligne rouge. Et Joséphine, l’avocate à l’ambition sans limite, n’a pas peur de piétiner quelques principes au passage, rappelant que la justice est rarement noire ou blanche, mais plutôt un vaste champ de zones grises.
Cela dit, Engrenages n’est pas pour les âmes sensibles ni pour ceux qui cherchent un policier facile à suivre. La série peut parfois paraître complexe, avec des intrigues qui se croisent et des personnages qui prennent des chemins moralement douteux. Certaines saisons peuvent même donner l’impression de tourner en rond, de faire durer le suspense un peu plus longtemps que nécessaire. Et il faut bien l’avouer, entre les erreurs de jugement des personnages et les coups bas du système judiciaire, on ressort souvent de chaque épisode avec l’impression que la justice est une machine aussi impitoyable qu’implacable.
En résumé, Engrenages est une série policière qui se distingue par son réalisme sombre et sans concession, où le glamour n’a aucune place et où chaque décision semble précipiter les personnages dans une spirale d’incertitude. Si vous aimez les polars où l’ombre de la corruption rôde dans chaque couloir, où les personnages sont aussi fascinants que leurs dilemmes sont complexes, alors Engrenages vous tiendra en haleine… mais ne comptez pas sur elle pour vous réconcilier avec l’idée de justice.