Il y a cette neige, qui recouvre le monde et efface toute civilisation, ce désert, comme un enfer blanc synonyme de froid intense et de mort rapide, angoissante et qui rend toute l’existence plus difficile. Une neige immaculée, que les trainées du sang des morts marquent au fer rouge. Née d’un monde en sommeil, cette neige est peut-être le personnage principal de Fargo, omniprésente, étouffante, elle fragilise la condition humaine et, sans hésiter, tue les plus faibles. Ne l’affrontent que les plus retors, le reste de l’humanité sera contraint de se terrer en espérant des jours meilleurs. C’est d’ailleurs elle, cette neige, qui commet le tout premier meurtre dans Fargo, quant aux autres…
Fargo n’usurpe pas le qualificatif de série absolue, tant ses producteurs, les frères Coen, ont compris il y a longtemps que la réussite passe par le souci du détail. Qu’il s’agisse du scénario, du montage, de la mise en scène ou des acteurs, le hasard n’a pas été convié à la fête. Le casting tutoie les sommets du jeu d’acteur, les choix faits sont formidables. Connus ou moins connus, tous ont su faire de leur rôle un costume sur mesure. D’Allison Tolman à Colin Hanks, tous surfent sur un petit nuage, état de grâce aux connaissances d’alchimistes des deux frères.
Malgré tout, deux d’entre eux arrivent à se hisser un cran au-dessus, à toucher du doigt le jeu des dieux. Martin Freeman est exceptionnel, probablement taxé d’agaçant par certains, par un jeu tout en mouvement, en mimiques très appuyées, mais reflet d’un personnage aux nerfs à vif et sans cesse sur la corde. Son évolution, partant du petit employé de bureau insignifiant, passant par le tueur extraverti pour finir sur l’ignoble qu’il devient, donne toute sa mesure à so talent. Et Dieu : Billy Bob Thornton, vieux routard du cinéma et ami des Coen, acteur roublard confirmé et admirable. Les deux frères, s’ils ne font ici que produire, ont toujours su fabriquer du méchant. Aidés ici par Noah Hawley, ils ont fait de Lorne Malvo une de leurs plus belles réussites. Tueur malingre, mais au charisme et à l’intelligence terrifiantes, Billy Bob Thornton fait sien ce rôle et marque la série d’un sang criminel.
La maitrise ne s’arrête pas au jeu des acteurs, elle est dans le rythme, dans un montage qui sait quand le spectateur pourrait s’ennuyer, lui offrant alors au choix un peu d’amour, une tension intenable, des crimes montés tels casse-têtes, des duels de tueurs sous la tempête de neige du siècle (séquence mémorable), des ploucs pas si ploucs et des pourris vraiment pourris. Ce rythme presque scientifique, fusionne littéralement en un incroyable coït cinématographique, avec une mise en scène digne d’un grand film, digne des Coen, digne de cette neige. Ce blanc uniforme symbole de l’union de toutes les couleurs en un vide angoissant, un vide qui mènera à la mort, pleine d’ironie, de Lester.
Jusque dans les détails la série force le respect, d’une musique pleine d'une mélancolie mortelle (ce violon !), instillant une atmosphère quasi mystique, faisant de Lorne Malvo le bras armé de la Mort et de Lester, l’agneau finalement sacrifié sur l’autel du Mal. Jusque dans les détails se trouve l’équilibre entre l’humour, la violence débridée, le suspense des plus crispants et surtout, l’arme maîtresse qui fit, fait et fera la marque des frères : l’ironie.
Dès que s’achève le dernier épisode, la faim se fait sentir, l’envie d’un « encore » survient, car quand on a goûté au meilleur, le reste peut paraître bien fade. Fargo est digne du long-métrage dont elle s’inspire, digne de ses créateurs, telle une fille prodigue qui aurait été au-delà des espoirs de ses géniteurs. Si la perfection n’est pas de ce monde, elle est peut-être de celui de l’audio-visuel et il faut bien l’admettre Noah Hawley n’en est pas loin cette fois. Le mérite est partagé entre le créateur et les producteurs car comme chacun sait, aux U.S.A., la place de celui qui produit est bien plus importante que par chez nous. Mais ensuite, ne demeure que le sentiment d’avoir vécu, d’avoir vu plus qu’une simple série télévisée, plus que de prosaïques caméras, projecteurs, ou claps qui seraient à l’origine d’un tel moment de grâce. Fargo est bien plus que ça, Fargo est une parenthèse indéfinie, qu’on ressent sans savoir comment.