Il est étonnant que la série Into the Dark ait bénéficié d’aussi peu de promotion en France depuis sa diffusion dès 2018 sur Hulu puis sur Prime Video. Preuve en est la page SC qui lui est consacrée et sur laquelle vous pourrez constater le peu de rayonnement de cette série américaine produite par Jason Blum (et des notes parfois assassines). Calquée sur le modèle de la série à succès Black Mirror, Into the Dark se présente pourtant comme une remarquable anthologie fantastique et horrifique, très loin des sentiers balisés du genre, mais suffisamment connectée à son époque pour en souligner les plus profondes inquiétudes. Il ne s’agira pourtant là que très peu de technologie, à l’inverse des préoccupations de la série de Charlie Brooker, mais plutôt de relations humaines, d’individualisme forcené et de perceptions de la réalité.
Contraint de livrer en temps et en heures le cadavre de sa victime, un tueur à gages tombe en panne et doit traverser la ville le soir d’Halloween en faisant passer le cadavre qu’il traine pour un accessoire de son déguisement de « tueur »; une jeune agoraphobe vivant recluse avec son père commence à soupçonner ce dernier d’être un meurtrier en série; un époux endeuillé emmène ses deux filles en excursion dans le désert et se confronte à une communauté d’enfants tueurs déterminés à lui enlever ses enfants; persuadée qu’elle peut guérir son fils psychopathe de ses penchants meurtriers, une généticienne clone la dernière victime de celui-ci pour qu’il apprenne à reconnaitre la préciosité de la vie humaine; à la veille de Noël, une avocate se retrouve coincée dans un ascenseur avec un vigile séduisant mais un peu trop entreprenant; un jeune chômeur est embauché par une obscure marque de jouets pour enfants et perd peu à peu la raison lorsqu’il enfile le costume de leur mascotte; un employé de bureau attendant désespérément une promotion est invité avec sa femme à dîner chez son employeur et se retrouve mis à l’épreuve par celui-ci dans un jeu sadique et farfelu.
Etalés sur deux saisons, ces dix-sept épisodes, au format long d’une durée moyenne de 80 minutes (soit de vraies petits téléfilms) nous proposent ainsi autant d’intrigues plus ou moins originales qui bénéficient (presque) toutes d’une qualité d’écriture insoupçonnée, privilégiant le développement des personnages et jouant à merveille avec les attentes du spectateur. La première saison surtout compte une bonne poignée de petites pépites semi-horrifiques empruntant tout autant au survival qu’au film de boucle temporelle ou au huis-clos rageur, et qui brassent des thématiques en parfaite résonnance avec les préoccupations de notre temps : la dépendance affective, la toxicité de certaines relations amoureuses (ou familiales), celle des réseaux sociaux et du regard de l’autre, l’inconséquence parentale, la misogynie et le ressentiment féministe qui en découle. La série place ainsi beaucoup les rapports hommes-femmes au centre de ses enjeux, comme pour tendre un bon gros miroir aux inégalités et aux abus sexistes qui plombent encore notre époque, notamment dans l’épisode Pure, qui critique les mécanismes de soumission de la femme au sein de certaines sectes évangéliques et fondamentalistes américaines.
Les épisodes de qualité ne manquent donc pas dans cette série et la découverte de chaque intrigue se révèle rarement décevante. Mon épisode préféré reste celui bouclant la première saison et très justement intitulé I’m just fucking with you. Particulièrement révélateur des lâchetés de notre époque, cette histoire prend pour protagoniste un petit hater frustré des réseaux sociaux qui, se rendant au mariage de son ex-compagne, doit faire halte durant la nuit dans un motel perdu en périphérie urbaine et y retrouver sa soeur. Il y fait la rencontre d’un tenancier à l’humour particulièrement lourdingue et qui a la fâcheuse manie de jouer des tours puérils à ses clients. Les blagues étant de plus en plus pénibles et envahissantes, jusqu’à devenir meurtrières, il devient presque impossible de ne pas voir en ce bad guy proprement atypique une déclinaison originale du célèbre Joker des comics, notamment par son incapacité à prendre la vie et la mort au sérieux. D’autant que face à lui, le protagoniste de l’histoire n’en mène pas large, habitué qu’il est à s’en prendre aux gens derrière son écran mais bien incapable de s’imposer face à un adversaire en chair et en os.
Cet épisode n’est pourtant pas forcément le meilleur, bon nombre d’histoires de cette anthologie méritent le coup d’oeil et se révèlent être de véritables petit bijoux d’angoisse. A l’image des épisodes Down, All that we destroy et A nasty piece of work, véritables pépites scénaristiques, portés par des comédiens de talents et des dialogues de qualité (la répartie des personnages est souvent réjouissante). Au final, seul trois épisodes de la série se révéleront de qualité médiocre et n’apporteront que peu de choses aux attentes des spectateurs habitués au genre, Pilgrim n’étant qu’une petite fable cruelle à mi-chemin de Saw et de Get Out, Uncanny Annie se résumant à une intrigue de teen horror bêtement prévisible (à l’inverse de celle de l’épisode School spirit, un slasher plutôt bien mené) et l’épisode Pure ne trouvant véritablement d’intérêt que dans son propos critique. Le restant des épisodes réserve de bons moments de tension, de suspense et d’humour et contribuent à placer Into the Dark parmi les meilleures anthologies fantastiques de ces quinze dernières années, bien calée entre Masters of Horror, Black Mirror et American Horror Story.