Lavage de Cerveau Sous la Ligne de Front (No one is innocent)

Kalifat est une série suédoise qui traite du sujet au combien épineux et délicat du terrorisme et de l'embrigadement idéologique conduisant des personnes à rejoindre l'état islamique en Syrie. Par de nombreux aspects la série fera donc penser à la série choc britannique de 2017 The State qui traitait déjà du même sujet. Composé de huit épisodes et diffusé sur Netflix, Kalifat nous embarque essentiellement dans les destin croisé de trois femmes alors qu'une menace d'attentat se fait de plus en plus menaçante sur le sol Suedois.

Mêmes si les différentes histoires se répondent, s'imbriquent et finissent par se rejoindre , on trouve trois axes narratifs dans Kalifat. Celui de Pervin une jeune femme vivant à Raqqa et qui souhaite fuir l’état islamique pour retourner en Suéde, celui de Sulle un jeune adolescente endoctrinée qui elle souhaite rejoindre la Syrie et Fatima une femme flic qui enquête envers et contre tous sur une menace imminente d'attentat. Si les trois récits se rejoignent pour former une seule et même intrigue témoignant d'un problème global en revanche les trois arcs narratifs n'ont pas tous tout à fait la même densité dramatique. Je reste dubitatif en tout cas moins accroché par l'aspect purement thriller de Kalifat qui me semble souvent bancal en construisant artificiellement un suspens autour d'une intrigue policière pas toujours très cohérente. Si la série brouille volontairement les pistes et les a priori sur qui sont les bons et les méchants certains twist du dernier épisode me laissent perplexes. Si globalement les personnages de Kalifat sont assez fouillés, on pourras aussi regretter que certains d'entre eux comme ses deux frères suédois pur jus prêt à mourir pour la cause de l'Islam ne soit pas mieux caractérisés, plus enrichis psychologiquement pour n'être finalement que des figures purement fonctionnelles au récit.

En revanche si il y-a bien un point sur lequel la série est palpitante et souvent très émouvante c'est sur les destins croisés de Pervin et Sulle. Ces deux deux femmes aux parcours à priori diamétralement opposées cherchent pour l'une à quitter la Syrie lassée usée par la vie sous les règles et les mensonges imposés par l’état islamique alors que l'autre le cœur chargé de l'espoir de pouvoir vivre pleinement sa religion souhaite rejoindre ses sœurs et ses frères de combat. Pervin est incontestablement le miroir des cruelles désillusions qui attendent Sulle et inversement Sulle éclaire de par son innocence juvénile et rebelle les aspirations que peuvent avoir ses jeunes qui partent rejoindre une Syrie fantasmée par les engrenages à broyer de la propagande des recruteurs. Pervin interprétée avec force et justesse par la formidable révélation Gizem Erdogan est un petit bout de femme dont le courage la force et la détermination nous porte d'épisodes en épisodes ; on tremble, on espère et on pleure avec et pour elle faisant du personnage l'axe central du show. Dans le rôle de Sulle on retrouve la jeune et prometteuse Nora Rios dans un personnage complexe dont la froide radicalisation nous fera parfois trembler pour mieux nous terrasser d'émotion lorsque les larmes de son humanité retrouvée nous mettrons à genoux. Autour de ce personnage gravitent la mécanique implacable de la radicalisation et de l'endoctrinement idéologique qui n'en déplaise aux plus sceptique peut s'immiscer sournoisement jusqu'à briser une famille des plus respectable. La révolte adolescente de Sulle se questionnant sur sa place dans la société, les répercutions dramatiques de ses actes sur sa jeune sœur, le désespoir et l'impuissance de ses parents ; tout sonne juste avec la force implacable de ses récits dramatiques les plus inéluctables. La série démontre alors à quel point il est facile de s'introduire dans l'esprit de jeunes gens un peu perdus à l'image de Sulle et son amie Kerima , d'y semer les graines du doute et de la discorde jusqu'à récolter les fruits d'une soumission psychologique dictée par une colère illusoirement légitime. Encore une fois si l'aspect thriller de Kalifat me convainc à moitié , en revanche sur ses trajectoires humaines de vie bousculées et brisées, la série remplie grandement son contrat jusqu'à un film assez bouleversant.

Même si la série met en avant trois femme je ne pouvais pas terminer cette critique sans parler du personnage de Husam le mari de Pervin interprété par Amed Bozan tout simplement parce que j'ai trouvé le personnage très émouvant lui aussi. Soldat dévoué à la cause on découvre à travers son personnage un type totalement brisé, apeuré, insomniaque, traumatisé par les horreurs qu'il a vu et fait subir, perdu dans les contradictions de sa foi et de son humanité.... Un type tellement ravagé dans son corps, son esprit qu'il ressemble parfois à un garçon apeuré, toujours au bord de la rupture et perdu dans un environnement qu'il subit plus qu'il ne le contrôle . Ce personnage symbolise à lui seul toute la complexité de ses personnes embrigadés dans une mécanique de l'horreur absolu, prêt à commettre les plus lâches des attentats mais au fond desquels restent une part d'humanité prête à reprendre le dessus comme l'amour plus fort que la haine que Husam éprouve pour Pervin. N'en déplaise à celles et ceux qui aimeraient éternellement divisé l'humanité entre les bons et les méchants , la réalité et bien plus complexe et si les germes du mal peuvent créer des monstres alors c'est qu'il reste l'espoir que l'éducation fasse germer des remparts à l'ignominie.

Kalifat est donc une bonne série dont j'oublierai volontiers les facilité de suspens pour ne garder en mémoire (et pour longtemps) que les visages de Pervin Sulle,Husam, Lisha et Kerima dont l'humanité vibre encore sous l'armure souillée d'une guerre sans nom lessivant les corps et les esprits