Cette critique contient des Spoilers.
Honnêtement qui n'aime pas les films de braquage ? Qui ne succombe pas à ce régressif jeu du chat et de la souris entre policiers et voleurs ? Qui ne se prend pas d'affection pour les bandits dont les motivations profondes sont souvent plus complexes (et plus louables) que le seul appât du gain, et ce même si on nous fait le coup à chaque fois ? En tout cas pas moi, vous l'aurez compris.
J'étais donc logiquement intrigué quand j'ai appris que des espagnols s'essayaient à l'adaptation de ce genre filmique au format série. D'autant qu'elle semblait plaire à tout le monde, de mon beau frère à mes potes en passant par ma voisine de palier. Les notes sur SensCritique et les retours en général ont fini de me convaincre de tenter l'aventure.
Et cela commence plutôt bien avec un pilot très divertissant. Le rythme effréné est servi par une réalisation efficace et une esthétique qui n'est pas sans rappeler The Handmaid's Tale : du rouge vif sur des éléments de décor très froids avec prédominance de tons gris/blancs (la comparaison s'arrête là). La petite touche locale est apportée par les masques de Dalí, le côté fun avec les noms de code des braqueurs. La mise en place est assez classique et le plan se déroule sans accros.
La fin d'épisode un peu ridicule commence déjà malheureusement à décevoir ces belles promesses. On nous explique pendant 40 minutes qu'il s'agit d'un braquage planifié au millimètre par un génie nommé subtilement (sic) « El Professor » et exécuté par la crème de la crème du délinquant mais ils n'ont pas prévu l'éventualité de se faire tirer dessus par la police ? Premier froncement de sourcils.
A noter qu'on apprendra plus tard que le propre père dudit Professor s'est fait tuer par balles lors d'un braquage il y a plusieurs années...
Après un épisode 2 dans la même lignée, c'est à l’épisode 3 que ça se gâte sérieusement. Et pas pour les braqueurs qui ne sont finalement que très peu inquiétés, mais pour le spectateur. Le premier défaut qui saute aux yeux est la faiblesse de l'écriture des personnages, qui sont pour la plupart complètement caricaturaux. Comment s'attacher à Denver le débile profond au rire insupportable, à Rio ou Tokyo les amoureux transis qui risquent à chaque seconde (et donc à chaque «galoche ») de faire capoter le plan, ou aux deux gros bras qui ne s'expriment jamais ? C'est ça l'élite du braquage ? La crédibilité du « Professor » en prend à nouveau un sérieux coup. Et je vous épargne mon avis sur le grand et l'unique Arturo, leader improvisé des otages, qui est gaguesque de bout en bout. Le tout est porté par un jeu d'acteurs très inégal, même s'il faut souligner que certains tirent leur épingle du jeu (Pedro Alonso qui interprète Berlin par exemple).
Je dois également reconnaître qu'il a quelques bonnes idées qui donnent lieu à des scènes pleines de tension, comme on en attend pendant un braquage.
On peut citer par exemple celles de l'introduction du micro dans les lunettes ou celle du changement de masques.
Cependant elles sont trop peu nombreuses et donc noyées au milieu d'autres sans intérêt voire ridicules. Les scènes pré-générique sont particulièrement symptomatiques de ce problème de rythme. En effet, comme dans toute série Netflix qui se respecte, les épisodes se terminent systématiquement par un événement majeur ou un « cliffhanger » pour donner envie au spectateur de regarder le suivant. Soit. Mais là sur les six premiers,
ils essayent par trois fois de nous faire croire qu'un personnage s'est fait tuer pour mieux le ressusciter au début du suivant ... Les gars à un moment on n'y croit plus !
Et cela traduit surtout un manque cruel d'imagination et de courage de la part de la série.
Ce manque d'imagination se matérialise par une sexualisation grossière de toutes les interactions entre les personnages. Les dialogues sont bourrés de sous entendus lourdingues (quand ce n'est pas carrément explicite) et surtout ça copule en permanence. Ils ne peuvent pas se tenir pendant trois jours ? Dans ce domaine, comment ne pas mentionner
la réalisation au ralenti en lumière tamisée digne d'un film érotique du dimanche soir sur M6 quand Arturito se réveille après sa blessure et qu'un des gros bras lui étale de l’eau sur le torse ?
Du côté des forces de l'ordre, l’associé de l’inspectrice, prénommé Angel, devrait selon toute vraisemblance être nommé pour l’Oscar du meilleur acteur pour son « j’ai fait l’amour à ma femme ce matin », déchirant.
Et quand on fait le choix de ne pas développer ses personnages, le format série, dont tout l'intérêt par rapport à un film est de pouvoir complexifier et approfondir, se retourne contre les producteurs. D'autant qu'ils ont fait rentrer les braqueurs dans la Casa de Papel dès le pilot et que ces derniers n'ont pas l'air d'avoir l'intention de sortir. L'intrigue commence donc rapidement à tourner en rond et il faut meubler avec des scènes redondantes qui n'apportent rien. Berlin intimide les otages scène 18. Rio est un benêt scène 45. Tokyo a des pulsions scène 72... Les moments où tout le monde se met en joue mais où au final il se ne passe rien se multiplient, ce qui encore une fois décrédibilise la série. Pendant ce temps la surveillance des otages devient de plus en plus légère au fil de heures avec parfois pas moins de sept braqueurs sur le même plan en salle de réunion. Ça en laisse un pour surveiller soixante otages et toutes les entrées. Mais il paraît que c'est l'élite donc ça va.
Vous sentez que je commence à légèrement dégoupiller mais ce n'est pas terminé car on en arrive au plus gros problème de la série à mon sens : les incohérences et facilités scénaristiques. Il faut comprendre que pour maintenir le spectateur en alerte, les scénaristes se sentent obligés à chaque épisode de créer de toutes pièces du danger, en apparence presque rédhibitoire pour les braqueurs, puis de résoudre très rapidement chaque situation, parfois au mépris le plus total de la logique. Et rien de mieux qu'un exemple concret pour illustrer mon propos :
Les braqueurs se retrouvent menacés d'être identifiés par la police via la voiture qu'ils ont utilisé pour leurs repérages car elle n'a pas été détruite par le braqueur chargé de le faire (des pros qu'on vous dit). El Professor est obligé de se rendre à la casse pour effacer les empreintes mais est repéré par le gardien. Il arrive à s'échapper mais un portait robot est fait sur ordinateur en présence des policiers et il va être démasqué. C'est la fin. Et en fait non car par un moyen rocambolesque il arrive à contacter le gardien qui est dans la tente de la police et à le menacer. Celui-ci efface tout, part en courant et disparaît définitivement alors qu'il était en plein milieu d'une zone sécurisée. Problème solved. Empêcher le gardien de partir, ou au moins tenter de le faire revenir ? Les policiers ne se souviennent de rien ? Circulez il n'y a rien à voir.
Je suis prêt à accepter quelques facilités si cela sert le récit mais ce genre de ficelles scénaristiques absolument énormes (c'est des cordes à ce niveau là) gâchent complètement le visionnage et rendent la série encore plus prévisible.
Le « Finale » de la saison 1 est un florilège ambulant de tous les défauts de la série mais ce n'est rien comparé à l'ensemble de la saison 2, au cours de laquelle on sent clairement que les créateurs du show s’adressent à un public conquis et multiplient les absurdités.
Certaines séquences amènent même légitimement à se demander si les épisodes ont été revus avant leur sortie. Prenons à nouveau quelques exemples.
Raquel est dans la Casa de Papel et la voix off nous signale qu'elle réalise que les machines à billets sont en marche car il n’y a pas un bruit. Sur le plan suivant, Nairobi amène Alison Parker aux toilettes et ne se rend pas compte que l'adolescente s'échappe en rampant à deux mètres d'elle alors que même le spectateur entend distinctement le crissement de ses chaussures sur le carrelage. Mais en terme d'amateurisme la scène où une journaliste interviewe Berlin devant la dépouille d’Oslo dont l'acteur respire de façon évidente est indéboulonnable.
C'est digne d'étudiants en cinéma qui, entre deux cigarettes au pissenlits, embauchent un de leurs parents pour faire figurant dans leur court métrage de fin d’année.
L'incurie de la police saute également plus que jamais aux yeux. Ils sont d'une nullité et d'une passivité affligeantes et ne font qu'attendre la fin du braquage. Les seules fois où un de leurs tirs touche quelqu'un ce n'est pas la bonne personne... Mais ils ont amené des pizzas aux otages, l'honneur est donc sauf ! Je ne développerai pas plus mais on doit attendre les derniers épisodes pour entendre le chef des renseignements dire enfin quelque chose de sensé : « somos los tontos de la policia nacional ». (« nous sommes les abrutis de la police nationale »). Merci.
Je ne peux pas terminer sans parler de Raquel Murillo, l'inspectrice en charge du braquage. Contrairement à la majorité des personnages, son profil de professionnelle reconnue dans un milieu très masculin qui tranche avec sa vie personnelle compliquée de femme battue élevant sa fille seule avait un gros potentiel. Malheureusement elle est sacrifiée sur l'autel du tout pour le show et finit par enchaîner les choix totalement invraisemblables dans les derniers épisodes. Comme je n'ai plus la force de développer, je vais me contenter de vous faire partager le message que j'ai envoyé à mes potes après avoir vu le dernier épisode. Je trouve qu'il retranscrit assez bien mon état d'esprit qui mêle colère et incrédulité.
« Elle arrête El Professor mais préfère l'interroger dans le manoir au lieu l'amener à la police, puis non satisfaite le questionne avec un détecteur de mensonges... Sérieusement ? C'est l'amour il paraît. Elle se fait endormir par une prise de karaté et se retrouve contrainte de rejoindre la ville en tracteur (véridique), puis, démise de ses fonctions, décide d'aller à l’hôpital voir Angel et finit par partir en volant son insigne qui était bien évidemment restée dans son sac en réanimation. Et là, à la stupeur générale, il se réveille ! Non je déconne c’était prévisible à 3 kilomètres. Quand elle retrouve la trace du Professor, elle enfile sa veste en cuir (au ralenti s'il vous plaît), là ça va chier ! Ah non en fait elle se fait retourner le cerveau par une tirade nullissime sur les banques et la remise en cause du bien et du mal. Baiser langoureux pour eux, nausée pour moi. Et portée par l'amour (et la bêtise), elle n'est pas loin sacrifier la garde de sa fille pour aider les braqueurs.. »
Nous avons donc affaire à une série qui essaie de ratisser très large et d'être au maximum grand public en surfant sur tout ce qui marche. Cela se fait au détriment de la cohérence du récit et au prix de gigantesques ficelles scénaristiques. Malgré tous les efforts des créateurs pour plaire, j'ai du mal à comprendre l'engouement autour de la Casa de Papel tant j'ai trouvé ça niais et peu crédible. J'étais pourtant prêt à profiter sans me prendre la tête mais finalement j'étais soulagé d'arriver au bout. Vivement la saison 3...