Eric Rochant, c'est quand même le mec qui nous avait pondu le meilleur film d'espionnage français (le seul bon film d'espionnage français ? Le seul où on n'imite pas bêtement les classiques anglo-saxons du genre, sans jamais pouvoir leur arriver à la cheville, et où on essaye de donner une autre vision, plus humaine, de la chose), Les Patriotes, qui se démarquait par son souci du réalisme et sa dimension tragique.
On retrouve ces qualités dans la première saison du Bureau des Légendes, même si elles paraissent parfois un peu diluées.
Les Légendes, ce sont les fausses identités données à des "clandestins" ou des agents. Mais attention, contrairement à ce qu'on voit ailleurs, une fausse identité, ce n'est pas seulement un faux passeport et un nom à apprendre. Il faut que l'agent s'imprègne totalement de cette identité, qu'elle lui colle tellement à la peau qu'il ne la lâche pas, quelles que soient les circonstances. Que même en plein interrogatoire, mais ivre ou drogué, tout colle encore parfaitement.
Et c'est là que la DGSE se retrouve avec deux problèmes.
Le premier problème s'appelle Cyclone. C'est un agent en poste en Algérie. Et sa légende à lui a quelques problèmes d'adhérence. Du coup, il est arrêté par la police algérienne et... il a disparu. Tout simplement. Plus aucune nouvelle.
la disparition d'un agent, c'est toujours un gros problème. Pas tant pour la perte d'un homme, mais surtout pour ce qu'il peut révéler, ou pour les chantages qui peuvent suivre. Car dans le monde de la "diplomatie", tout se monnaye, tout s'échange, rien n'est gratuit. Le patron de la DGSE, d'ailleurs, se présente parfois comme une sorte de commerçant, achetant, vendant ou troquant des informations comme si c'était de la marchandise.
L'autre problème, c'est plutôt l'effet inverse. C'est une légende qui colle tellement bien qu'on a du mal à s'en débarrasser. Ainsi, Guillaume Debailly, AKA Paul Lefebvre, AKA Malotru (Matthieu Kassovitz) devient de Damas, où il devait recruter des informateurs. Mais il commet l'erreur de ne pas assez lâcher sa fausse identité. Il faut dire que Paul Lefebvre est amoureux d'une belle historienne syrienne, Nadia el-Mansour, et abandonner ce nom de Lefebvre, c'est abandonner tout espoir de revoir cette femme.
D'où un problème d'identité. De double identité. Thème classique de tout film d'espionnage qui se respecte, ce sujet traversera la saison, avec son lot de renversements d'alliances, de trahisons, d'infiltrations entre alliés, etc.
La vision donnée ici du monde de l'espionnage est débarrassée de tout romantisme. Faire de l'espionnage, c'est manipuler les gens, c'est agir avec plus de cynisme que les autres. C'est une course entre pays, car les informations sont des biens de consommations qui se payent cher, mais ce sont aussi des moyens de manipulation. Manipuler des hommes ou des femmes, jouer avec leur vie dans le plus grand mépris, argumentant que le destin d'un État est plus important que la vie de quelques personnes qui le composent.
Dans l'ensemble, la première saison est un peu inégale. Un petit ventre mou afflige le milieu, les épisodes 4-5, qui trainent en longueur sans apporter d'éléments nouveaux. Si le casting comprend des éléments remarquables (mention spéciale à Jean-Pierre Darroussin), on a également quelques fautes de goût (Léa Drucker). Les deniers épisodes sont tendus à souhait et on regrette un peu que toute la série n'ait pas été de ce niveau, quitte à la raccourcir un peu.