Le réalisateur pilote une série écrite à 8 mains, hommage au genre horrifique. Un melting-pot inégal, mais où brillent de vraies pépites.
Guillermo del Toro ne realise aucun episode, mais invite huit realisateurs et realisatrices differents a le faire.
Guillermo del Toro ne réalise aucun épisode, mais invite huit réalisateurs et réalisatrices différents à le faire.
L'idée est séduisante, pour ne pas dire euphorisante. Le très gothique réalisateur mexicain Guillermo del Toro, aux manettes, pour Netflix, d'une série en huit épisodes constituant un « cabinet de curiosités ». Comprendre, selon le Littré, un meuble où sont conservées des « choses rares, nouvelles, singulières ».
Dans les premières minutes de chaque épisode, Guillermo del Toro, qui ne réalise aucun d'entre eux, mais invite huit réalisateurs et réalisatrices différents à le faire, se tient devant un étrange secrétaire à tiroirs et à tirettes, à mécanismes et à tournettes. À chaque fois, il en extirpe, tout en présentant l'épisode à venir sur un ton solennel, dans un esprit très Alfred Hitchcock présente (série culte diffusée dans les années 1950, proposant des histoires courtes à l'humour très noir), un objet lié à son intrigue qu'il pose face caméra, curieux avant-goût de la fiction à venir.
Horreur et burlesque:
Que nous réservent, donc, les entrailles de son mystérieux placard à histoires ? Des contes morbides et horrifiques, parfois adaptés de nouvelles fantastiques, pensés comme un faisceau de références diverses à l'imagerie classique de la hantise, de l'horreur et du burlesque, dans un esprit très vintage. L'impression d'ensemble est réussie : les épisodes, souvent tournés en huis clos, jamais dans notre monde contemporain, nous laissent un goût de frayeur un peu grand-guignolesque, de fête foraine qui se déglingue doucement pour laisser se faufiler l'inquiétude et le malaise.
De cette série construite comme un carrousel à l'ancienne, on oubliera toutefois les plus mauvais chevaux : je recommande de zapper Le Modèle, signé Keith Thomas et adapté de la nouvelle de H. P. Lovecraft Pickman's Model, conte cruel mais creux, très premier degré. Mieux vaut s'épargner aussi l'autre adaptation de Lovecraft, Cauchemars de passage, réalisé par Catherine Hardwicke (à qui l'on doit, notamment, l'épisode 1 de Twilight).
L'épisode enrubanne d'un kitsch bucolique l'une des nouvelles les plus décriées du maestro Lovecraft, The Dreams in the Witch House, rendant son histoire de sorcières et de jumeaux séparés par la mort effectivement insipide. Autre raté du cabinet de curiosités, L'Exposition, de Panos Cosmatos, ouvre pour le spectateur des abysses d'ennui en se voulant kubrickesque, puis s'achève sur un final grotesque où gambade un monstre gélatineux à cornes de bouc.
On peut miser, en revanche, sur trois épisodes particulièrement savoureux de ce freak-show télévisé. Le premier, gore à souhait, signé David Prior, est adapté d'une nouvelle du trop peu connu Michael Shea, auteur américain de SF décédé en 2014, très peu traduit en français malgré deux prix World Fantasy.
L'Autopsie mêle avec un sens pointu de la morbidité la découverte de plusieurs cadavres d'hommes, l'explosion d'une étonnante capsule poilue venue de l'espace et la possession d'un quidam transformé en tueur par un alien qui s'installe dans le corps de ses victimes. L'intervention d'un médecin légiste en fin de vie, qui va se pencher sur les cadavres semés par l'inquiétant parasite, fait basculer l'épisode dans une longue scène, particulièrement intense, d'investigations chirurgicales sur fond de lutte du bien contre mal, dans lequel tous les coups sont permis.
Éblouissant hommage à Shirley Jackson :
Autre opus délectablement gore et puissamment intelligent de la sélection, Le Piège des apparences, signé Ana Lily Amirpour, réalisatrice et actrice américaine d'origine iranienne, met en scène une employée de banque au look approximatif, dotée d'un mari adorable et d'une passion pour la taxidermie, échouant à tisser des liens avec ses collègues très apprêtées. Pour se faire adopter par le gang de copines, elle cède aux sirènes d'un étrange tube de crème, Alo Glo, qui dissout lentement son épiderme, donnant jour à un monstre de cruauté.
Enfin, et s'il ne fallait en garder qu'un, l'épisode final est un éblouissant hommage aux grands classiques de la maison hantée, sur lequel plane l'esprit de l'autrice américaine Shirley Jackson (adaptée par Mike Flanagan dans l'extraordinaire The Haunting of Hill House). Un couple d'ornithologue endeuillé par la mort de son unique enfant se rend dans une maison isolée sur une île pour observer les oiseaux et leurs déroutantes « murmurations » (qui donnent leur titre à l'épisode).
Les murmures de la série sont autant ceux des oiseaux qui dessinent dans le ciel des formes fascinantes, que les deux scientifiques (on salue la performance d'acteur d'Andrew Lincoln, qui développe une partition sensible après plusieurs années à incarner le personnage dur à cuire de Rick dans The Walking Dead), cherchent à expliquer, que ceux de la maison elle-même, où rôdent le spectre d'un enfant et celui de sa mère, anciens habitants de la très flippante demeure insulaire.
Cet épisode poétique et signé Jennifer Kent, à qui l'on doit notamment le crépusculaire et émouvant Mister Babadook, sorti en 2014, et le très remarqué The Nightingale. Écrit d'après une nouvelle de Guillermo del Toro himself, Murmurations témoigne d'une parfaite maîtrise de l'ADN classique de l'histoire de fantômes : derrière les effrayants jump scares qui parcourent l'œuvre se tisse une réflexion poignante sur le deuil et la solitude. Et c'est l'amour qui conjure, in fine, les ombres du passé. L'incroyable beauté de l'épisode et l'atmosphère de cauchemar carnavalesque qui se dégage de l'ensemble de la série rachètent bien ses quelques couacs.
Sur Netflix.