Deleuze avait écrit quelque part que le fascisme était « un mouvement perpétuel sans objet ni but », jusqu'à devenir éventuellement « un mouvement de la pure destruction. » Or, des observateurs particulièrement fins et lucides du siècle dernier ont bien vu que, sous cet aspect notamment, le fascisme n'était qu'un avant-goût ou une exagération brutale de la modernité elle-même, y compris sous sa forme « libérale » et « démocratique. »
La situation présente sur ce site en constitue une illustration particulièrement grotesque et hilarante.
Après tout, que peut-on bien faire contre le progrès, ce mouvement de libération du genre humain contraint et forcé ? C'est marche ou crève ! Dans tous les cas, il faut bouger, changer, avancer... Vers où et pourquoi, nul ne sait, mais l'important est après tout d'être en marche.
On en profitera quand même pour tenter de grappiller quelques sous par-ci par-là au cours du procédé, par exemple en affichant des publicités absolument partout, à chaque saut de ligne — peut-être pour inciter les auteurs à n'écrire que des critiques d'un seul paragraphe ? Il paraît que la médiocrité demeure ce qu'il y a de plus rentable, surtout dans le domaine culturel...
C'est un peu comme ce « développement » contraint et forcé de nos provinces lointaines de la tristement célèbre diagonale du vide, que Sylvain Tesson décrit si bien comme un malheur s'abattant sur les autochtones... Voulez-vous une autoroute ? Comment ça, vous préférez préserver vos paysages ? Mais enfin, ici nous croyons à l'innovation, pas au modèle amish ! De toutes façons, c'est nos copains qui vont construire l'autoroute... Il faut bien se servir de l'argent public d'une façon ou d'une autre, non ?
D'aucuns chercheraient à savoir ce qui rendait une refonte du site (qui n'était pas déjà parfaitement fonctionnel, par exemple, pour la base de données musicale) si nécessaire... Ce serait déjà croire qu'une telle question avait la moindre légitimité. La raison, c'est qu'il faut progresser, et progresser pour progresser. Comme le développement économique, on progresse et... au bout de la route, on a des pénuries, des problèmes d'épuisement des ressources, et des structures fragiles sur le point de s'effondrer à la moindre secousse, toutes choses qu'il n'était pas difficile de prévoir comme les conséquences de ce développement pour le développement. Ça a servi à rien, ça a même empiré la situation à tous points de vue, mais la quête de stabilité, dans cet état d'esprit, est un scandale à ne pas tolérer. Une espèce de repli sur soi...
On peut au moins rire du ridicule du procédé qui s'offre ici à notre vue, tant tout est poussé dans des exagérations absurdes, comme cette histoire de pubs qui en dit tout de même long sur le cynisme des gestionnaires du site. Naïf qui aurait pu croire que le site poursuivait un objectif vertueux de promotion de la culture ; c'est plutôt que la promotion de la culture est une opportunité pour faire de l'argent. Or, il y a cette fameuse loi établissant une corrélation positive entre la médiocrité des œuvres et l'argent qu'elles génèrent...
C'est comme cette modération abusive, au doigt mouillé, à la petite semaine, tout autant dénuée de professionnalisme, qui a complètement dévitalisé ce site, ce qui était sans doute le but recherché : aplanir les personnalités, imposer un conformisme sans saveur, éviter tout ce qui risquerait de faire un peu désordre, d'apporter un peu de profondeur de réflexion (penser, c'est déjà risquer de mal penser), tels sont bien les règles d'or des chevaliers blancs aux commandes de la plupart des réseaux sociaux. De toutes façons, tout travail de qualité est supposé ne pas rapporter d'argent, selon cette fameuse loi économique.
Un autre aspect amusant, tout aussi révélateur dans l'exagération qu'il constitue, c'est l'ENORME bouton « signaler » en-dessous de chaque critique, encore plus mis en avant que les commentaires. Faut-il comprendre qu'il est plus important d'être vigilant sur la conformité de ce qui s'écrit que de discuter, voire de débattre ?
Avec un peu de chance, Elon Musk rachètera Sens Critique...