Bomberman
Cette mini série a pour sujet la traque du « terroriste » étasunien Théodore Kaczynski, sorte de, pour caricaturer, libertarien-néosituationniste-écologiste-technophobe, dit...
le 20 déc. 2017
11 j'aime
1
Cette mini série a pour sujet la traque du « terroriste » étasunien Théodore Kaczynski, sorte de, pour caricaturer, libertarien-néosituationniste-écologiste-technophobe, dit « Unabomber » du fait qu’il envoyait des colis piégés (à des individus qui symbolisent les personnages types de ma société moderne qu'il abhorre).
Calendrier intéressant, Manhunt suit la série événement de Netflix Mindhunter consacrée elle à la naissance et au développement du profilage au sein du FBI.
Premièrement, la série Manhunt partage certaines caractéristiques de Mindhunter dans le sens où malgré le fait qu’on voit quelques scènes « violentes », la série ne mise pas du tout sur des effets spectaculaires mais choisie au contraire un rythme lancinant pour développer son intrigue. Plus que Mindhunter d’ailleurs, l’oeuvre se trouve être assez proche du film Zodiac de David Fincher.
Comme le film de David Fincher, l’avancée de l’enquête se fait lentement et par une analyse minitieuse et répétitives de documents, avec une alternance entre avancées et reculades, comme finalement semblent l’être les enquêtes originelles. On avait les lettres du Zodiac envoyée à la presse et la recherche du décodage des sigles utilisés par le tueur, on a ici les lettres envoyées par le terroriste à la presse et le travail de décryptage qui s’en suit.
On le voit, dans les deux cas, la presse est utilisée par les tueurs comme vecteur de médiatisation, pour Zodiac dans une sorte de tripe égocentrique et dans Mindhunt pour faire passer des idées politiques et une vision du monde. Et d’ailleurs, on voit aussi que les groupes de médias sont souvent eux même volontaires pour faire sortir une info même cruciale au nom du « buzz », de la course à l’audimat et de la « concurrence », un peu finalement comme dans le film Night Call.
Dans Mindhunt, c’est la linguistique qui est mis à l’honneur dans le sens où la série montre comment l’analyse du langage a permis d’arrêter un criminel, et plus généralement comment ce segment des sciences humaines peut être un outil pour les forces de l’ordre. Comme la naissance du profilage dans Mindhunter, Manhunt montre les prémisses de l’analyse linguistique adaptée à la « criminologie ». C’est bien l’illusion de la neutralité du langage qui est ici écartée, ou plutôt l’inutilité de l’analyse du langage pour définir le profil d’un individu, dans le sens où notre façon de nous exprimer peut délivrer une quantité importante d’informations sur notre personnalité, notre histoire et notre place dans la société. Ainsi, c’est grâce à l’étude des écrits de l’Unabomber qu’a pu être dressé un « profil » et in fine facilité son arrestation. Dis moi comment tu écris je te dirai qui tu es, en somme.
Ce qui est intéressant concernant cette « linguistique criminologique » est que, à l’instar de la série Mindhunter, une nouvelle façon de pratiquer la recherche d’un criminel, une méthode qui bouleverse les façons de faire est toujours vu, ou souvent si on préfère, sinon d’un mauvais oeil, avec méprisance et suffisance. On le perçoit notamment à la façon dont le personnage principal a du s’imposer pour mettre en avant ses idées et trouvailles alors qu’il était constamment dénigré par ses supérieurs (faut dire que le pauvre bougre n’avait même pas les oripeaux de l’intelligence et de la compétence sans diplôme qu’il est !). Plus largement, est aussi intéressant la mise en opposition d’une recherche « naturaliste », « humaine », qualitative, par la linguistique avec une méthode plus quantitative et technologique, à la limite du scientisme criminologique et que finalement, c’est la méthode la moins technologisante qui a permis in fine d’arrêter l’Unabomber. C’est l’Unabomber qui doit être fier.
On peut aussi apprécier dans la série la façon de portraiturer le fonctionnement d’un service du FBI qui n’a par certains aspects pas trop de différence avec une sorte de rationalité managériale. Ce qui compte c’est de produire un résultat, peu importe d’ailleurs qu’il soit qualitatif ou non. Ce qu’on demande c’est de fournir un résultat. Cela s’illustre très clairement dans l’objectif fixé de « mettre un nom sur le tableau ». Ce qui compte c’est d’avoir un ou des suspects, peu importe si les propositions sont réalistes ou non. Pour montrer qu’on avance, qu’on travaille il faut tout faire plutôt que laisser penser (à la hiérarchie ?) que rien n’évolue. Et encore, on pourrait aussi évoquer l’absurde rappel continue à la « hiérarchie » et à l’obéissance qui semble verrouiller un nombre incroyable d’avancées et de propositions nouvelles sans une forte volonté du sous fifre pour faire entendre ses idées.
Le point qui blesse un peu par contre se trouve du côté technique. On va dire que la série, du point de vue de sa réalisation, souffre un peu de la comparaison avec Mindhunter, qui Fincher touch oblige joui d’un cadre froid et clinique qui sied bien à son sujet, alors que du côté de Manhunt on sent que la même maitrise ne se retrouve pas, ça reste pas non désagréable mais on sent que c’est bien plus classique et en second plan. Le plus frappant d’ailleurs est, je trouve, leur problème avec les transitions qui sont souvent assez violentes et peu travaillées, où un brusque plan noir survient et nous balance sur une autre scène sans volonté de lier les deux. Assez frappant étant donné que je fait rarement attention aux caractéristiques techniques lorsque je regarde une série.
Pour ce qui est des personnages de la série, là encore on pense à Mindhunter ou à Zodiac notamment pour le personnage principal, l’agent Fitzgerald (incarné par un Sam Worthington qui semble faire ce qu’il peut avec ce qu’il a) qui peut faire penser à un mélange entre Holden Ford pour le côté autiste asociable et insupportable et Robert Graysmith pour l’investissement personnel qu’il met dans l’enquête (plus rien n’existe en dehors d’elle, ni sa femme ni ses enfants) et le profil iconoclaste. En soi, mis de côté le (non) talent d’acteur, le personnage est plutôt intéressant dans sa logique jusqu’au boutiste et la mise en lumière du fait qu’une telle traque dépasse largement l’objectif d’arrêter un criminel. On ne veut pas l’arrêter car il a tué des gens, mais on veut l’arrêter pour prouver que sa théorie, ses idées sont les bonnes.
L’autre personnage principal de la série est évidemment l’Unabomber lui même, incarné par Paul Bettany. Là encore, je trouve que malgré un personnage intéressant le jeu d’acteur n’est pas forcément transcendant, et en tout cas bien moins marquant que celui du fameux tueur à moustache dans Mindhunter. L’Unabomber est une sorte d’autodidacte dont la vision du monde est caractérisée par un refus de la technologie qu’il voit comme une forme d’asservissement de l’homme qui a complètement perdu sa liberté du fait de cette dernière. Comme si finalement l’outil était devenu le maître. Plus globalement l’Unabomber semble refuser le modèle de la société industrielle et capitaliste et met en exergue la nécessité de vivre le plus simplement possible au-delà de tous les artifices dont nos sociétés modernes sont imprégnées. Une sorte de retour à la (soit disant) « nature » et la (soit disant) « pureté originelle » une fois débarrassée des oripeaux de la modernité (ah le bon vieux sauvage qui vit simplement, quelle originalité). N’ayant pas lu le fameux manifeste « la société industrielle et son avenir » je ne m’avancerai guère plus sur ce plan là même si je pense qu’une analyse de fond pourrait être intéressante. Par contre, chose frappante dans cette série, c'est l'humanisation du terroriste, qui malgré les morts qu'il occasionne semble être traité (presque) entièrement comme une "victime" ou comme une personne légitime à faire ce qu'il a fait. Et malgré les témoignages de certaines victimes et proches de victimes, l'impression générale et le traitement "positif" ou en tout cas ne le déshumanise pas du tout. L'effet serait même presque que le spectateur se met "du côté" du terroriste. Je ne sais pas si l'effet est voulu mais j'aimerais bien entendre les responsables de la série dessus afin de savoir quel sentiment ils ont voulu créer avec ce personnage chez le spectateur.
Ce qui est finalement important dans la série, est aussi le lien qui se créé entre le traqueur et sa proie, entre l’agent fédéral et le terroriste, comme un dialogue et une forme de rivalité, où s’instaure une forme de duel psychologique et de manipulation. On se dit d’ailleurs que c’est une forme de match nul qui survient à la fin. D’un côté Fitzgerald a arrêté Kaczynski et l’a manipulé pour obtenir sa condamnation en bonne et due forme mais de l’autre, ce sont bien les idées de l’Unabomber qui semblent avoir imprégnés durablement et en profondeur Fitzgerald. Et finalement, le gagnant n’est-il celui dont on pensait qu’il avait été vaincu ?
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleures séries des années 2010 et Les meilleures séries de 2017
Créée
le 20 déc. 2017
Critique lue 3.5K fois
11 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Manhunt
Cette mini série a pour sujet la traque du « terroriste » étasunien Théodore Kaczynski, sorte de, pour caricaturer, libertarien-néosituationniste-écologiste-technophobe, dit...
le 20 déc. 2017
11 j'aime
1
Manhunt: Unabomber vaut avant tout pour la prestation de Paul Bettany (qui n'a plus rien à prouver depuis A Knight's Tale hein on est d'accord), absolument parfait dans son rôle de...
Par
le 18 nov. 2017
11 j'aime
Parti d'un sujet connu et intéressant, Manhunt : Unabomber (2017) tente de retranscrire avec du mal l'arrestation d'un des plus dangereux criminels de son époque...en vain...Le stéréotype du...
Par
le 3 juil. 2022
7 j'aime
5
Du même critique
The Tree of Life c’est : A : abstrait B : barbant C : captivant, nan je blague, chiant D : déconcertant E : emmerdant F : fatiguant G : gonflant H : halluciné I : imbuvable J : joli K :...
le 28 août 2013
143 j'aime
60
Brazil, film de l’ancien Monty Python Terry Gilliam (Las Vegas Parano ou encore l’armée des 12 singes), réalisé en 1985 son premier grand film (et même le plus grand de sa carrière ?), relate...
le 20 mars 2013
135 j'aime
15
Dimanche au travail, dimanche sans visiteurs, dit donc dimanche de la critique. C’est Les Sentiers de la gloire qui passe cet après-midi au Scanner de Confucius, de manière désorganisée et rapide...
le 24 juin 2013
125 j'aime
17