On pourrait dire que cette itération de Maniac (2015) est loin de celle de Patrick Somerville de 2018. Mais n'ayons pas peur de dire la vérité, c'est le Maniac de Patrick Somerville qui est loin du Maniac d'Espen P.A. Lervaag et Håkon Bast Mossige.
Ici, point d'expérimentation scientifique ou de personnages borderline.
Dès le pilote, Espen est catalogué; non: diagnostiqué inadapté et candidat à la thérapie de groupe. Aucun doute possible pour le scénario et le spectateur: Espen est fou et la guérison sera longue.
On sait dès le début qu'Espen n'a pas dit un mot depuis 1 an (depuis son entrée en HP, finalement). Mais, changement de situation lorsque Mina (nouvelle addition au personnel du bâtiment, en tant que psychiatre chevronnée et déterminée) s'intéresse au cas du héro et cherche à trouver la cause de sa plongée dans les limbes de son imagination. Espen parle et est capable de vagues secondes de lucidité, quand cette dernière lui parle et tente de le faire revenir sur Terre de temps en temps (pour lui éviter son transfert en unité fermée, transfert voulu par le directeur de l'hôpital qui ne croit pas en sa guérison).
Espen parle et est finalement né en tant que personnage de fiction. Sa première réplique en tant que malade et non en tant que personnage imaginaire est oubliable mais ce n'est pas grave. Son passé n'est pas si important que ça sur le moment; l'important c'est le présent, c'est de voir sa guérison via ses aventures intérieures.
Parce que oui, j'allais oublier le principal. Espen imagine. C'est même son seul moyen de vivre pleinement son être et sa vie dans cet établissement gris, morne et statique comme la vie du protagoniste: il rêve mais n'avance pas.
La prouesse de la série (j'entends ici ses showrunners, l'équipe technique et aussi bien évidemment les scénaristes) c'est de montrer à quel point l'imagination du personnage d'Espen est sans limite: passant du registre super-héroïque au drame sentimental, du survival horror au film de braquage, du film de guerre au sitcom en passant par le teen-movie... Les deux papas de la série savent réaliser et écrire des parodies de formats: des parodies qui marchent. Ils montrent que ce n'est pas parce que l'humour n'est pas toujours de mise dans les genres cités plus haut que nous serons sortis du contexte et que nous n'y croirons pas. Et de toutes manières ce n'est pas à nous d'y croire, mais c'est à Espen.
Oui, ses aventures sont maladroites et sans cohérences dans un monde où tout est stylé, tout est danger mais tout est bien qui finit bien.
On sait qu'Espen, il y a un an, vivait une vie simple, rangée, calme. Il avait un métier correct (rangé), un appartement correct (bien rangé), des amis corrects avec qui il participe à des soiréés quizz dans un pub.
C'est dans l'épisode final que nous le voyons jouer en compagnie de ses amis.
Et le domaine de prédilection de notre ami c'est...?
Ben: le cinéma et la télévision bien sûr !
C'est là où tu te rends compte que si ses aventures cinématographiques sont loufoques à nos yeux, c'est la surprise d'Espen que de nous montrer que lui il sait où il met les pieds, il a tout appris et il connaît tellement bien le grand écran comme le petit, qu'il en fait ce qu'il veut quand il veut. Il est fou, mais c'est nous les étrangers dans son monde et c'est peut être nous qui n'avons rien compris.
La frustration de la folie s'illustre dans la série par ce bruit sourd qui marque la limite entre la réalité de sa condition et ses délires, le passage de l'hallucination à la réalité de l'hôpital. Le rêve c'est à l'écran, la réalité c'est quand on te demande ce que tu fais et que t'es pas foutu de répondre parce même si tu étais là physiquement, la tête n'y était pas.
La frustration du spectateur, c'est de se demander comment en seulement 10 épisodes de 25min, on peut parvenir à guérir un homme bien loin de se soucier de sa guérison.
Je citerais même Orelsan, dans sa chanson poignante Note pour trop tard: "Demande à un fou si il est fou, tu verras ce qu'il te répond."
La frustration, c'est passer de la magnificence du délire, de la beauté des décors, de l'image en général et de l'intrigue du film; aux réprimandassions du corps hospitalier qui a besoin qu'Espen ne soit pas si fou que ça pour le sauver du méchant directeur (méchant un peu par défaut car opposé au monde d'Espen dans la réalité; méchant cinématographique dans seulement quelques voyages cognitifs du héro.)
Mais Espen aussi est un méchant, c'est son propre ennemi dans son chemin vers la guérison. Enfin, tout ça, c'est surtout la faute d'Hakon, son pote à l'écran (en rêve, hein)... et accessoirement double personnalité quand il s'agit de montrer comment les autres malades et le personnel de l'hôpital perçoivent Espen lors de ses crises.
C'est beau la folie, mais c'est moche de l'expliquer.
Le piège de cette série, c'est de s'habituer aux délires d'Espen, à son imagination débordante, à la multitude d'aventures grandioses.
Les rêves c'est grand, complexe et grandiose.
Pourquoi on rêve et d'où ça vient, c'es tout con, parfois. Et un peu décevant.
Ce que j'ai pas aimé, je sais pas si c'est un avis personnel ou si la série l'a prévu:
Il est déduit, après enquête et conversation avec une ex d'Espen, que sa rupture avec l'intéressée l'a complètement anéanti et que c'est ça qui l'aurait conduit à fuir la réalité. Et c'est la même raison qui le fait rechuter pour de bon dans le final, après 4 mois de guérison, en prenant une enveloppe contenant une invitation au mariage de Mina pour une déclaration d'amour de cette dernière.
Ah... C'est tout ? C'est...simple. Trop peut-être.
Bah justement, si tu croyais que l'explication elle allait péter le feu d'originalité, ben tu te voiles autant la face que le taré que tu suis et soutiens dans sa folie depuis l'épisode 1.
La vie, c'est pas le cinéma ou la télé, et on ressent la même peine qu'Espen: en fait c'est pas si drôle la vie. Oui mais c'est la vie.
(Je me rend compte en écrivant qu'en fait, c'est brillant, tout ça. En 10 courts épisodes, on comprend un peu Espen et on le plaint, tout en s'avouant qu'on a tous une part d'Espen en nous.)
Le spectateur se dédouane du bon sens et des règles établies par la société, en riant du malheur et de la folie d'un homme car on approuve son monde qui fait fi de ses tentatives de guérison, de ses tentatives de se ranger, en somme. On regarde des séries et des films pour fuir la réalité, il est donc normal qu'on supporte le monde d'Espen, c'est ça le plus important, le but de la série, le cœur du sujet. La fin de la série, c'est la mort de l'amusement et d'un monde non-naturel, immature. C'est une série sur le passage à l'âge adulte, mais à 30 ans.