May Queen est un mélo. Les gentils y sont assidûment brimés par les méchants, ça pleure à tout va, ça hoquette de malheur, et seule la phrase prophétique de Danny Madigan permet de tenir le coup pendant 38 épisodes ("You're gonna pay for that! Oooh you're gonna pay!")
D'aucuns pourraient s'en détourner avec un froncement de narine désapprobateur devant tant de tripes et d'émotions mises à l'air sans aucune pudeur ni arrière-pensée. Pensez-donc, ma bonne dame : pas le moindre deuxième degré, pas l'once d'une subtilité permettant de disserter sur le sexe des anges ni les profondeurs de l'âme humaine. Pouih donc, c'est du chiqué !
Quand j'étais plus jeune (surtout pendant les après-midi en automne-hiver), je me serais sans doute égaré dans ces sentiers intellectuels fascinants à la destination incertaine. Mais c'eût été une erreur. Tout bien pensé, le mélo est une version moderne aux tons maintenant sépia de la tragédie grecque, et je ne remercierai jamais assez Roland Barthes de m'avoir mis sur la voie dans Mythologies en parlant du catch :
« Ce public sait très bien distinguer le catch de la boxe ; il sait que la boxe est un sport janséniste, fondé sur la démonstration d'une excellence ; on peut parier sur l'issue d'un combat de boxe : au catch, cela n'aurait aucun sens. Le match de boxe est une histoire qui se construit sous les yeux du spectateur ; au catch, bien au contraire, c'est chaque moment qui est intelligible, non la durée. Le spectateur ne s'intéresse pas à la montée d'une fortune, il attend l'image momentanée de certaines passions. Le catch exige donc une lecture immédiate des sens juxtaposés, sans qu'il soit nécessaire de les lier. L'avenir rationnel du combat n'intéresse pas l'amateur de catch, alors qu'au contraire un match de boxe implique toujours une science du futur. Autrement dit, le catch est une somme de spectacles, dont aucun n'est une fonction : chaque moment impose la connaissance totale d'une passion qui surgit droite et seule, sans s'étendre jamais vers le couronnement d'une issue.
« Ainsi la fonction du catcheur, ce n'est pas de gagner, c'est d'accomplir exactement les gestes qu'on attend de lui. On dit que le judo contient une part secrète de symbolique ; même dans l'efficience, il s'agit de gestes retenus, précis mais courts, dessinés juste mais d'un trait sans volume. Le catch au contraire propose des gestes excessifs, exploités jusqu'au paroxysme de leur signification. Dans le judo, un homme à terre y est à peine, il roule sur lui-même, il se dérobe, il esquive la défaite, ou, si elle est évidente, il sort immédiatement du jeu ; dans le catch, un homme à terre y est exagérément, emplissant jusqu'au bout la vue des spectateurs, du spectacle intolérable de son impuissance.
« Cette fonction d'emphase est bien la même que celle du théâtre antique, dont le ressort, la langue et les accessoires (masques et cothurnes) concouraient à l'explication exagérément visible d'une Nécessité. Le geste du catcheur vaincu signifiant au monde une défaite que, loin de masquer, il accentue et tient à la façon d'un point d'orgue, correspond au masque antique chargé de signifier le ton tragique du spectacle. Au catch, comme sur les anciens théâtres, on n'a pas honte de sa douleur, on sait pleurer, on a le goût des larmes. »
Remplacez "catch" par "mélo coréen", "boxe" et "judo" par des œuvres cinéphiliques encensées par la critique, et vous aurez le fond de ma pensée, bien mieux exprimée que je ne saurais le faire.
Regardez May Queen. Si vous êtes comme moi une chochotte qui a les larmes aux yeux en écoutant Fréhel chanter "Pauvre Grand", vous y retrouverez l'émerveillement benêt qui sommeille au fond de nos cœurs anesthésiés par le triomphe du libéralisme, et ça fait un bien fou.
D'aucuns pourraient s'en détourner avec un froncement de narine désapprobateur devant tant de tripes et d'émotions mises à l'air sans aucune pudeur ni arrière-pensée. Pensez-donc, ma bonne dame : pas le moindre deuxième degré, pas l'once d'une subtilité permettant de disserter sur le sexe des anges ni les profondeurs de l'âme humaine. Pouih donc, c'est du chiqué !
Quand j'étais plus jeune (surtout pendant les après-midi en automne-hiver), je me serais sans doute égaré dans ces sentiers intellectuels fascinants à la destination incertaine. Mais c'eût été une erreur. Tout bien pensé, le mélo est une version moderne aux tons maintenant sépia de la tragédie grecque, et je ne remercierai jamais assez Roland Barthes de m'avoir mis sur la voie dans Mythologies en parlant du catch :
« Ce public sait très bien distinguer le catch de la boxe ; il sait que la boxe est un sport janséniste, fondé sur la démonstration d'une excellence ; on peut parier sur l'issue d'un combat de boxe : au catch, cela n'aurait aucun sens. Le match de boxe est une histoire qui se construit sous les yeux du spectateur ; au catch, bien au contraire, c'est chaque moment qui est intelligible, non la durée. Le spectateur ne s'intéresse pas à la montée d'une fortune, il attend l'image momentanée de certaines passions. Le catch exige donc une lecture immédiate des sens juxtaposés, sans qu'il soit nécessaire de les lier. L'avenir rationnel du combat n'intéresse pas l'amateur de catch, alors qu'au contraire un match de boxe implique toujours une science du futur. Autrement dit, le catch est une somme de spectacles, dont aucun n'est une fonction : chaque moment impose la connaissance totale d'une passion qui surgit droite et seule, sans s'étendre jamais vers le couronnement d'une issue.
« Ainsi la fonction du catcheur, ce n'est pas de gagner, c'est d'accomplir exactement les gestes qu'on attend de lui. On dit que le judo contient une part secrète de symbolique ; même dans l'efficience, il s'agit de gestes retenus, précis mais courts, dessinés juste mais d'un trait sans volume. Le catch au contraire propose des gestes excessifs, exploités jusqu'au paroxysme de leur signification. Dans le judo, un homme à terre y est à peine, il roule sur lui-même, il se dérobe, il esquive la défaite, ou, si elle est évidente, il sort immédiatement du jeu ; dans le catch, un homme à terre y est exagérément, emplissant jusqu'au bout la vue des spectateurs, du spectacle intolérable de son impuissance.
« Cette fonction d'emphase est bien la même que celle du théâtre antique, dont le ressort, la langue et les accessoires (masques et cothurnes) concouraient à l'explication exagérément visible d'une Nécessité. Le geste du catcheur vaincu signifiant au monde une défaite que, loin de masquer, il accentue et tient à la façon d'un point d'orgue, correspond au masque antique chargé de signifier le ton tragique du spectacle. Au catch, comme sur les anciens théâtres, on n'a pas honte de sa douleur, on sait pleurer, on a le goût des larmes. »
Remplacez "catch" par "mélo coréen", "boxe" et "judo" par des œuvres cinéphiliques encensées par la critique, et vous aurez le fond de ma pensée, bien mieux exprimée que je ne saurais le faire.
Regardez May Queen. Si vous êtes comme moi une chochotte qui a les larmes aux yeux en écoutant Fréhel chanter "Pauvre Grand", vous y retrouverez l'émerveillement benêt qui sommeille au fond de nos cœurs anesthésiés par le triomphe du libéralisme, et ça fait un bien fou.
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le 24 avr. 2014
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