Youtube, c'est un peu la jungle. On y trouve tout et n'importe quoi. Si l'on s'intéresse plus particulièrement au domaine de ce que l'on appelle maintenant souvent les émissions web et les webséries (avec des nuances évidentes entre les deux, mais ne chipotons pas), c'est la même chose. Tous les concepts se côtoient, des plus démagos (le sketch douteux façon Norman et Cie, la présentation de vidéos wtf façon WTC ou SLG, les dizaines de milliers de let's play en tous genres...) aux plus risqués car s'adressant en principe à des gens plus patients, posés, voire parfois à un public de niche (je pense au Fossoyeur, Axolot, et même Crossed tant qu'on y est - loin de moi l'idée de dire qu'il n'y a pas de public commun entre les deux extrêmes, que du contraire, mais on voit clairement deux approches différentes: la première catégorie repose essentiellement sur la forme -discutable au demeurant, mais ne soyons pas médisant - tandis que la seconde construit avant tout un fond magnifié par la qualité de la forme : deux projets différents à la base). Un gars comme Linksthesun, il aimerait bien entrer dans la seconde catégorie, mais il appartient clairement à la première. Et ce n'est pas parce qu'il sort le grand jeu de l'analyse stylistique dans Nan mais t'as vu ce que t'écoutes que ça y change quoi que ce soit.
Mais qu'est-ce qui se cache derrière un nom si moralisateur ? Exactement ce que ça dit: Links (oui je l'appelle par son petit nom, ça fait longtemps que j'ai vu ses vidéos pour la première fois quand même, lui et moi c'est une longue histoire de non-amour) prend les chansons françaises qui marchent bien et les passe au crible de sa remarquable érudition (comprenez: il analyse phrase par phrase les tubes du Top 50 - c'est-à-dire des horreurs sans nom généralement reconnues comme telles - pour nous montrer à quel point on - qui se cache donc derrière ce "on" ? Le mystère reste entier - écoute de la merde. Au passage, je sais pas vous, mais cette tendance presque pathologique à vouloir absolument prouver qu'il a raison face à n'importe qui, ça me fait perdre mon français et me fait monter aux lèvres le terme "insecure". Mais c'est peut-être moi).
Vient alors la question inévitable: quelle est la fonction principale de l'émission (outre générer des clics, car soyons honnête, c'est le cas de 90% des émissions web qui marchent) ? Recevoir une leçon de stylistique ? Non parce que si c'est le cas, faudrait expliquer à Links qu'une analyse stylistique ne se contente pas à du phrase par phrase mais se doit de faire la navette entre particulier et général et interpréter le texte dans sa globalité en liant fond et forme. La partie la plus difficile, mais la plus importante, n'importe quel couillon avec un dictionnaire de poétique peut relever des figures de style. S'il le faisait, il se rendrait compte qu'une partie des titres qu'il défonce du haut de son immense savoir n'ont en fait que peu de prétentions, et ne méritent donc pas un tel déferlement de haine. Bon, du coup on va dire que c'est pas ça le but principal. Rigoler alors ? Mais de quoi ? De la chanson, donc se moquer, ou des gags de Links et Cie ? Ou les deux ? Excusez-moi, mais je crois que la plupart des gens n'ont pas besoin d'un youtubeur lambda pour rigoler du dernier titre de Colonel Reyel. De même, les gags de l'équipe à Links ne sont pas de la plus grande qualité (même si je dois reconnaitre que ses acolytes sont plutôt bons pour jouer l'absurde, un bon point pour l'émission). Donc... on va dire que ce n'est pas ça non plus la fonction principale de l'émission, parce que sinon c'est pas top (et notre ami Links si friand de figures de style reconnaitra ici un bel euphémisme).
Bon, allez, arrêtons de tourner autour du pot. Le but avoué de l'émission est clairement de faire prendre conscience aux gens qui les écoutent à quel point ces chansons sont médiocres d'un point de vue des paroles. Soit. Intention louable s'il en est. Mais euh... Bullshit ? Parce qu'en fait, c'est partir du principe que les gens ne sont pas capables par eux-mêmes d'écouter les paroles. Ne lui est-il pas venu à l'esprit que si les gens écoutent ces trucs... c'est parce qu'ils les aiment bien ? Malgré (voire "grâce à" dans certains cas) les paroles ? On distingue du coup deux catégories de personnes parmi les aficionados de ces musiques: ceux qui aiment malgré les paroles, qui sont donc pleinement conscients de la médiocrité du truc mais qui s'en foutent, et ceux qui apprécient les paroles ou qui y sont indifférents... et j'ai envie de dire que ce n'est pas en leur assenant ta science de petit littéraire prétentieux (pour désamorcer l'insulte, je tiens à dire que je me reconnais dans cette description. Comme quoi, on devient ce qu'on mange), et en hurlant toutes les 10 secondes (parfois plus souvent encore) "échec de rime" que tu vas y changer quelque chose. Ca ressemble juste au rageux qui tient à tout prix à prouver qu'il a raison même si tout le monde s'en fout.
On comprend mieux si l'on essaie de définir le public-cible de Links : je l'avoue, et l'erreur est humaine, j'ai tendance à tout juger comme si ça m'était destiné spécifiquement. Du coup j'ai envie de considérer l'émission comme visant les jeunes mâles blancs de la classe moyenne en pleines études, la vingtaine. Barbus. Très chevelus - euuuh je vais m'arrêter là. Sauf qu'en fait, Links vise assez visiblement les adolescents. Plus particulièrement les adolescents mal dans leur peau, bonne éducation, entrés récemment en contacts avec d'autres milieux sociaux et qui ressentent le besoin de crier à la face du monde à quel point la vie elle est trop pas cool. Genre. Et force est de reconnaitre qu'il cible assez bien ce public, étalant juste ce qu'il faut de culture pour avoir l'air cultivé sans devoir trop s'avancer ni trop effrayer. Tout en évoquant des sujets qui parlent à ce public : la qualité dégueulasse de la musique mainstream, la pop culture légèrement intello style Dr. Who et autres (je critique pas, j'adore cette série depuis quelques années déjà), Disney (parce que ça fait chébran dans les cours de récré de parler de Disney pour dire qu'il y a du sens caché, t'vois, et ça fait tomber les nénettes un poil sensible),... Du coup, si je devais évaluer Links d'un point de vue de l'efficacité (par rapport au but de plaire à ce public et de générer du trafic web), je serais tenté de lui mettre 10.
Seulement, ce n'est pas comme ça que ça marche. Déjà, je trouve que pour un mec de 26 ans (si je me souviens bien), il est pas net. Viser un public jeune, soit. Mais avec des tactiques aussi sales, j'ai du mal. Flatter leur ego, les encourager à mépriser ceux qui n'ont pas eu le même type d'éducation qu'eux tout en prenant un air légèrement paternaliste... eurk. Ensuite... j'ai du mal à apprécier quand un mec tire sur l'ambulance comme ça. Colonel Reyel, Vitaa, et tous les autres, c'est du très populo, assumé comme tel, je n'en avais même jamais entendu parler avant de voir le pilote de l'émission. Authentique. Je vois franchement pas l'intérêt du coup de s'en prendre à eux... Enfin, on parle quand même du mec qui a participé à un concours de clash avec Cortex, du coup on comprend mieux... Au moins, quand il a essayé de s'en prendre à Formidable de Stromae, c'était intéressant. Sauf qu'il était d'une telle mauvaise foi que je me suis retrouvé, moi qui le déteste, à être plus du côté de Stromae que de Links. Je suis même ressorti de la vidéo en appréciant plus la musique qu'avant. Ce qui m'amène à un autre des grands défauts de l'émission: une mauvaise foi inimaginable. Je ne suis pas sûr qu'il s'en rende vraiment compte, en fait. Mais c'est parfois à la limite du supportable. C'est un comble, reconnaissons-le. Tirer sur l'ambulance à ce point, et avoir tellement peu d'arguments que pour finir par faire preuve de mauvaise foi... Wow.
Pourtant, certains épisodes sont intéressants. Comme celui sur la musique de Black M, Mme Kalashnikov (bon ok c'était pas drôle mais je me souviens plus du nom et j'ai pas envie de m'en souvenir), par exemple. Mais ce sont des exceptions dans un océan de vacuité. Malgré tout, je regarde l'émission de temps à autres. Parce que quand je suis fatigué, ça passe bien. Et je n'ai jamais dit que j'étais une bonne personne. Moi aussi, j'ai parfois envie de me moquer, de cracher du fiel, de laisser parler ma méchanceté.
Et puis, comme je l'ai dit, si les gags ne sont que rarement remarquables, il faut reconnaitre une bonne interprétation des trois seconds couteaux, particulièrement les deux mecs, qui fait plaisir.
Donc... Pourquoi j'ai perdu plus d'une heure de ma vie à écrire une critique sur ce truc ? Sans doute pour les mêmes raisons qui poussent Links à produire ce même truc...
Damned. What have I become ?
'Tention, hein. Je sais que j'ai pu donner l'impression du contraire, mais je ne juge pas la personne, mais bien l'émission, même si je reconnais avoir eu beaucoup de mal à m'y tenir. Je sais aussi que beaucoup disent qu'il faut prendre l'émission au second degré... ok, c'est la raison pour laquelle je ne la buse pas totalement. Mais posons-nous la question: l'émission a-t-elle été conçue pour être prise au second degré ? J'aimerais répondre par l'affirmative et mettre 8-9 à l'émission, mais n'importe quel observateur un peu objectif devra bien reconnaitre que ce n'est pas le cas. Non mais t'as vu ce que t'écoutes n'est pas autoparodique. Et c'est bien là que le bât blesse.