Il y a des oeuvres où les maigres défauts sont littéralement écrasés sous d'énormes qualités.
C'est le cas d'Oz.
Car des défauts, il y en a. Commençons par cela.
D'abord, une fausse bonne idée : avoir choisi Harold Perrineau comme narrateur. Chaque épisode est scandé par ses multiples apparitions. Et, bien souvent, c'est pour débiter des banalités ou des inepties sur la drogue, la famille, etc. Ca casse le rythme, c'est souvent lourd. On aurait pu s'en passer.
De plus, la réalisation n'est pas toujours très inspirée. Des effets visuels plutôt kitschs, qui devaient déjà être démodés à la diffusion des épisodes.
Et pourtant...
Quel chef d'oeuvre !!! Quel monument de la télévision ! C'est tout à la gloire de HBO d'avoir diffusé une telle série, intelligente, violente, réaliste, engagée, sans concession.
Oz, c'est la prison d'Oswald, pour criminels dangereux. Et au sein des murs de cet établissement se mène une expérience sociale dans le quartier d'Emerald City. Sous la direction de Tim MacManus, des prisonniers sélectionnés sont placés à "Em City", avec l'obligation de travailler, des prisons de verre où on peut les observer en permanence et la possibilité de se promener dans une salle commune.
Le premier épisode est ponctué par l'arrivée de plusieurs prisonniers qui auront une grande influence sur la suite. Il y a Kareem Saïd, qui se présente comme un imam et constitue rapidement autour de lui un groupe de détenus musulmans.
Il y a Tobias Beecher, avocat qui a renversé une fillette alors qu'il était ivre, et qui est totalement déplacé dans cet univers de brutes.
Il y a O'Reilly, personnage fourbe et manipulateur.
Et tout cela s'ajoute aux différents clans en présence : les Noirs, les Siciliens, les Néo-Nazis, etc. Tout un peuple constamment au bord de l'implosion, où les violences sont permanentes, où on cherche la moindre occasion pour assassiner un ennemi.
Un monde de luttes d'influences également : les alliances entre clans se font et se défont au gré des intérêts particuliers.
Où on tente de reconstituer la vie de l'extérieur : vie sexuelle, traffic de drogue, pratique religieuse ou politique, mais aussi télévision, sens de l'honneur, etc.
Car une des grandes qualités de cette série c'est, à travers ses prisonniers, de dresser un portrait de la société américaine. Un portrait désabusé, brutal. Celui de l'échec du melting pot. D'une société fondamentalement inégalitaire et communautariste. D'une pratique quotidienne de la violence, qu'elle soit physique, verbale ou sociale.
Interprétés avec un exceptionnel talent, tous les personnages sont ambigus. Les scénarios échappent à tout manichéisme. O'Reilly, que l'on déteste à cause de sa façon de monter les uns contre les autres pour arriver à ses fins, devient subitement humain, émouvant quand on le voit avec son frère ou [SPOIL] quand il apprend sa maladie.
Difficile aussi de juger la gardienne Diane, qui trafficote avec les détenus et qui n'est pas très farouche sexuellement, mais qui fait tout pour assumer son statut de mère célibataire et qui tente simplement de survivre et de faire survivre sa famille.
MacManus nous est a priori sympathique, mais force est de constater qu'il est un utopiste, un idéaliste peu au courant de ce qui se passe réellement à Em City.
Beecher est un des personnages les plus fascinants. L'intello, le gratte-papier qui arrive en prison et devient l'esclave (sexuel) du patron des Nazis. L'exemple même de celui qui n'aurait pas dû se trouver là. De l'individualité brisée, piétinée par le système carcéral et qui va, brutalement, se transformer en criminel. Car c'est la seule façon de survivre ici. Car c'est tuer ou être tué. Une transformation peut-être salutaire dans un premier temps, mais qui paraît irréversible. Qui condamne Beecher à être constamment emprisonné, car devenu inadapté social. La prison transforme les êtres, certains pour le meilleur, mais la majorité pour le pire.
Au fil des épisodes, on comprend que le pire des personnages, le seul auquel on ne trouve aucune excuse, c'est le gouverneur (magistralement interprété par Zeljko Ivanek). Exemple de l'injustice sociale, de l'abus de pouvoir, de la corruption aussi, et surtout du mépris inhumain envers les prisonniers.
Réflexion sur la justice bien sûr, sur la peine de mort, sur la culture et son importance pour établir une personnalité saine et équilibrée, réflexion sur la société dans son ensemble mais aussi, au fil des épisodes, sur la famille, la mort, l'usage de la violence, etc. Le tout sans prendre position, sans grands discours moralisateurs, mais avec subtilité et intelligence.
Il faudrait citer tout le casting pour rendre hommage à tous ces acteurs exceptionnels. Citons juste, pour le plaisir, l'immense J.K. Simmons en chef nazi.
[critique écrite à la fin de la deuxième saison]