Petit Ours Brun
5.7
Petit Ours Brun

Série France 3 (1988)

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Une série qui semble au premier abord réservée aux tout petits enfants, mais qui cache au demeurant une critique acerbe de la société, de ses mécanismes, de ses enjeux. "Petit Ours Brun", c'est l'humanité remise en question ; "Petit Ours Brun", c'est un drame psychologique sous couvert de petite histoire amusante.
Parce qu'il est impossible de décrire chaque épisode de cette saga à couper le souffle, je vous propose d'analyser le générique, ainsi qu'un épisode caractéristique. Nous verrons par ce biais la dimension quasi universaliste de ce chef d'œuvre télévisuel ; nous comprendrons, à travers ces exemples, dans quel mesure la production de Danièle Bour se veut à la fois le porte-parole et le dénonciateur d'une société à la dérive, mettant en exergue les peurs et les maux de chacun, évaluant leur impact sur la société et la politique d'un monde moderne en pleine déréliction.

Premier exemple : le générique.

Le générique de Petit Ours Brun donne tout de suite le ton.
Le premier plan nous montre des arbres qui s'ouvrent, symbolisant l'ouverture des occidentaux sur le reste du monde, la mondialisation, autrement dit, la base même de notre époque et de ses enjeux. Les entités européennes rencontrant les autres civilisations, voilà le point de départ de chaque épisode.
S'en suit alors la première phrase de la chanson : "Oh oh tiens voilà quelqu'un". Le double "Oh" symbolise l'étonnement amplifié des civilisations indigènes face aux invasions barbares des peuples dits "civilisés". Ici, il est question d'un nouveau péché originel : après Ève croquant la pomme, voilà l'homme qui croque une partie du territoire inconnu. La critique est d'autant plus sévère que l'indigène semble naïf, innocent, et que l'invasion en devient cruelle et traîtresse. Le "Salut c'est toi mon copain, tu fais toujours ton coquin" (la phrase suivante) est bien évidemment ironique ; elle laisse penser que les peuples envahisseurs sont amicaux et que leurs actions ne relèvent que de la plaisanterie. La machine satirique est en route.
L'ironie nous prend encore au détour ("Tape tape dans tes mains", comme s'il fallait applaudir les ennemis de leur exploitation forcée) puis laisse place à une critique sans double sens cette fois : "Saute saute à pieds joints". Le mauvais traitement des populations soumises au joug des envahisseurs est ici souligné, ils ont les "pieds joints" et - la chanson ne le dit pas, mais le téléspectateur le devine - les poings liés.
Le générique dans son ensemble scande souvent le nom de "Petit Ours Brun", c'est pour nous expliquer que le personnage principal est au coeur du cheminement argumentatif et critique proposé par Danièle Bour dans son oeuvre.
Ses parents, qui lui offrent un câlin à la fin du générique, semblent l'encourager à participer activement à ce processus ; à dénoncer la société par tous les moyens possibles.

Le générique n'aborde-t-il donc que la question des origines de la mondialisation ? Sans doute. Mais c'est justement cette question qui est à la base d'une construction économique et politique frappée de vice et de corruption, entraînant les hommes dans la surconsommation, le désir malsain de vitesse et la destruction des valeurs traditionnelles.
La conquête totale du territoire mondial a lancé toute une série d'exportations et d'importations - mais surtout d'exploitations - pervertissant l'homme et sa pensée, pervertissant l'homme et sa vision de l'autre. Plus le territoire est grand, plus l'homme est avide de richesse. Cette avidité est la base même du capitalisme ; elle stresse l'employé frustré, pousse le patron tyrannique dans ses derniers retranchements. Elle crée un monde apocalyptique que "Petit Ours Brun" condamne sans appel.

Deuxième exemple : Petit ours Brun a perdu son doudou

"Ce soir, Maman ours va rentrer tard...". Maman ours est victime d'un système économique détraqué qui la pousse à faire des heures supplémentaires. Dans cet épisode, petit Ours brun panique parce qu'il a perdu son doudou : il n'aurait pas été plongé dans cet état si sa mère avait pu rentrer à la maison comme d'habitude. Danièle Bour dénonce ici la délicate position dans laquelle se trouve la femme dans notre société moderne ; alors que ses enfants la réclament pour garantir une certaine stabilité, ses obligations extérieures la retiennent et l'empêchent de remplir son rôle à la perfection.
Quoi qu'il en soit, au tout début de l'épisode, Petit Ours Brun n'est pas apeuré : il rit de bon coeur en compagnie de son père après avoir fait du "bazar". Le désordre dans lequel ils sont plongés n'est qu'une allégorie frappante du monde et de l'état dans lequel il se trouve désormais ; Petit Ours Brun et son papa symbolisent les gouvernements riant de leurs méfaits et ne se souciant pas des conséquences de leur acte ou des jouets qu'ils ont laissé traîner par terre en Irak.
Le père, un peu plus raisonnable que son fils, finit par tirer la sonnette d'alarme et demande à son fils de ranger.
Nous sommes là dans une situation d'utopie ; on nous propose une vision optimiste de l'avenir de l'humanité. Le message est le suivant : une des figures diaboliques du gouvernement devrait sommer l'autre de réparer les erreurs commises pour avancer. Une difficulté est rencontrée cela dit, puisque Petit Ours Brun veut "jouer encore un peu", il veut autrement dit "continuer à balancer des bombes sur les gens et à déverser du gazoil dans la mer". À cela - c'est fini ensuite pour ce point, je vous rassure - le plus gentil deux deux propose une course au rangement pour rendre l'activité amusante. Mais quelle troupe se retirera du combat en premier ? Quel bateau pétrolier rentrera au port avant les autres ?
Quoi qu'il en soit, la séance de rangement est suivie par le coucher : cela voudrait-il dire qu'une résolution des problèmes mondiaux se suivrait par la fin du monde ? L'humanité est-elle destinée à réparer ses erreurs avant d'en subir l'ultime conséquence, celle du néant ? Celle du sommeil ? Pourquoi pas d'un sommeil éternel ?
Petit Ours Brun n'arrive pas à dormir de toute manière, le problème ne se situerait donc pas là. Son doudou a disparu.
Son attache affective semble s'être évaporée.
La critique à une échelle mondiale et politique laisse place à une critique plus individuelle, il s'agit désormais d'observer les conséquences désastreuses et dramatiques que la perte d'un objet peut avoir sur l'état psychologique d'une personne.
Petit Ours Brun se ment à lui-même, il se convainc qu'il ne PEUT PAS dormir sans son doudou comme si avoir un pantin en tissu dans son lit était sa seule et unique chance d'accéder à un autre degré de conscience.
Petit Ours Brun apparaît comme fou ; son père apparaît quant à lui comme un miroir de sa folie puisqu'il se retrouve, à un moment de l'épisode, avec un jouet sur la tête. Notre personnage principal se persuade de chimères, il se crée un univers pour échapper à la misère d'un quotidien dominé par la malbouffe, le stress, la peur, la pression professionnelle et - dans son cas - scolaire.
Le doudou est difficile à retrouver, c'est pourtant le seul moyen que Petit Ours brun a pour se rassurer. Il va alors générer un nouveau désordre et commettre, sans le vouloir, la même erreur que les gouvernements au-dessus de sa tête, à savoir tout mettre sans dessus-dessous pour des raisons strictement personnelles et égoïstes.
La mère est là pour interrompre le massacre, elle trouve le doudou et la situation est réglée. La femme occupe ici deux places : elle apaise psychologiquement Petit Ours Brun (rôle social) et empêche l'allégorie politique du personnage (rôle politique, justement) d'aller trop loin.
Danièle Bour veut-elle nous expliquer qu'une femme pourrait changer les choses ? Que ce n'est pas Barack O'Bama mais Hilary Clinton qui aurait dû être à la tête de l'Amérique, Amérique qui demeure le principal instigateur du dilemme éthico-politiquo-économique mondial ?
Une chose est certaine, le message final est clair :
"Les Papas Ours et les Petits Ours ne savent jamais chercher, heureusement que les mamans sont là pour tout retrouver".
La femme est là pour guider l'humanité, l'homme, pour soigner les maux du monde et de ses habitants.
La femme retrouvera le doudou de l'Homme, perdu au milieu de la pollution, de la famine, des guerres, du soda light cancérigène.
Cet épisode de "Petit Ours Brun" est certes féministe en un sens, mais il faut surtout retenir qu'il propose à la fois une critique de la société, du monde, de la politique, mais aussi une solution aux problèmes posés. Quelle que soit cette solution, qu'on soit d'accord avec ou non, n'est-il pas magnifique qu'elle vienne d'une série pour enfants ? N'a-t-on pas là affaire à un véirtable chef d'oeuvre et à une preuve d'intelligence exceptionnelle ?

Petit Ours Brun est une oeuvre intemporelle, elle propose une vision du monde aussi acerbe que pertinente, le tout servi par une réalisation exceptionnelle et une ambiance étonnamment maitrisée. J'espère que cet exemple d'épisode, ainsi que l'analyse du générique, vous auront aidé à comprendre que "Petit Ours Brun" va extrêmement plus loin qu'il n'y paraît... c'est l'oeuvre-clé des XX et XXIe siècle.



Botwin
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le 22 déc. 2010

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