Vous reprendrez bien un peu de désert ?

Après Band of Brothers, The Pacific et Generation Kill, la prochaine série-de-guerre-à-gros-budget-avec-pleins-d’acteurs-que-vous-avez-déjà-vus-ailleurs-mais-vous-ne-savez-plus-où débarque non pas sur HBO, mais chez nos amis de la BBC.

Et pour cause, ce sont cette fois des britanniques qui vont être au centre de l’intrigue, et plus particulièrement le SAS (Special Air Service), unité spéciale de l’armée britannique formée en 1941, lors des opérations militaires en Afrique du Nord. La série de six épisodes (pour l’instant) prévient dès les premières minutes “les événements relatés, qui semblent peu croyables … sont en grande partie véridiques”.

Les principaux faits d’armes du SAS, y compris les plus absurdes, sont donc relayés avec une fidélité relative par Steven Knight, le géniteur de Peaky Blinders, qui y rejoue ses obsessions dans un autre décor. On enlève les fumées et le brouillard de Birmingham, remplacé par la chaleur écrasante du Sahara et ses dunes à perte de vue, mais on garde les anachronismes musicaux et les groupes de mecs habillés tous pareil qui défient l’ordre établi, passent leur temps à boire, à fumer et à se castagner.

Malheureusement pour Knight, tout le monde ne peut pas être Cillian Murphy, et les trois leaders du SAS qui font office de protagonistes s’en sortent plus ou moins bien. En chef du SAS aristo, alcoolique et arriviste, Connor Swindells (le grand dadais de Sex Education) fait ce qu’il peut, mais il dispose d’un charisme très réduit qui ampute un peu le potentiel de l'œuvre. Jack O’Connell, qui depuis qu’il s’est laissé pousser la barbe est devenu un très bon acteur, apporte une grande intensité au rôle du taré de la bande, avec un accent irlandais à couper au couteau. Le malheureux Alfie Allen hérite du personnage le moins intéressant du trio, et doit donc se contenter de serrer la mâchoire et de réciter des versets de la Bible pendant 6 heures. Côté personnages secondaires, Sofia Boutella est, comme d’habitude, cruellement sous-employée dans le rôle d’une espionne Franco-Algérienne qui intrigue pour le compte du général de Gaulle. Dominic West, cabotine joyeusement dans le rôle de son pendant britannique, mais là encore sans avoir grand chose à faire. Les membres du SAS manquent cruellement de relief, du moins jusqu’à l’arrivée de sang neuf dans les derniers épisodes.

Portée à bout de bras par ses interprètes Peaky Blinders n’a jamais brillé par son originalité narrative. Si SAS: Rogue Heroes prend plus de risques, cela mène à une impression de trop plein narratif : l’organisation des 6 épisodes gène le développement d’une intrigue cohérente. On zappe sans cesse d’un endroit à l’autre, pas toujours de façon crédible (les personnages qui traversent 500km de désert en trois minutes). Pire encore, les ellipses narratives et la marche forcenée du scénario n’aident guère à s’attacher aux personnages, qui demeurent en grande partie des pions interchangeables dans la narration et dont la disparition ne laisse pas beaucoup de traces émotionnellement parlant. De façon plutôt drôle, aucun des arcs narratifs des personnages principaux n’appartient au même univers, ce qui produit des changements de registre assez violents:

• Le personnage de Jack O'Connell, grand tourmenté, est dans un pastiche de Lawrence d’Arabie, (sous)-texte queer inclus.
• Swindells est dans un remake d’OSS 117, multipliant les gags la plupart du temps très drôles. Les efforts du scénariste pour lui donner une profondeur tragique vers la fin tombent donc un peu à l’eau.
• Le personnage psycho-rigide d’Alfie Allen est le héros d’une romance pleine de répression à la Atonement, on dirait un bouquin d’E.M. Forster dans les dunes le truc.
• Le reste du SAS est dans une suite un peu nulle des séries de guerre d’HBO : on garde les scènes d’action et le budget explosion de The Pacific, les 15000 personnages secondaires de Band of Brothers (ha ! mais c’est pas machin ?) l’humour de Generation Kill, mais pas vraiment sa critique mordante de l’absurdité de la guerre.
• Le désert est dans un pastiche de Dune.

L’autre problème du scénario réside dans son côté beaucoup trop écrit. Dans le cas du personnage de Jack O'Connell, qui est censé être poète, c’est tout à fait logique : il est crédible qu’il monologue pendant 5 bonnes minutes, perché sur une dune, le regard dans le vague. Appliqué aux autres personnages ça sonne creux, répétitif et vaguement embarrassant. Les nombreuses scènes d’action s’en sortent beaucoup mieux, avec de vrais moments de bravoure et un budget effets spéciaux que je suppose conséquent.

En conclusion, pas mal de points positifs (les panoramas à couper le souffle, les tenues de Sofia Boutella, Jack O’Connell qui cite T.S Eliot en permanence), quelques surprises (l’humour très présent et plutôt réussi) et quelques déconvenues (casting perfectible, un scénario trop écrit et trop chargé, trop peu d’épisodes pour le propos à développer). Cependant la série s’améliore d’épisodes en épisodes, avec un final qui donne envie de voir la suite, en espérant que la BBC ne soit pas effarouchée par le budget explosions et choisisse de faire une deuxième saison. Allez @bbc, comme diraient les gars du SAS : Who dares, wins.