Seven Seconds est une « mini série », format récemment en recrudescence à la télévision américaine, qu’il s’agissent d’histoires tournant autour d’une seule intrigue ou d’anthologies. Ce genre regroupe un bon nombre de succès récents à la télévision (The Night of, Big Little Lies, Black Mirror…) et a sa propre catégorie durant les cérémonies de récompenses mainstream (Golden Globes, Emmy…). Le maître en la matière reste l’indécrottable magnat de la télévision Ryan Murphy (qui a notamment créée les séries d’anthologies American Crime Story, American Horror Story ou encore Feud). Ces séries jouent sur l’idée d’un format court sur l’ensemble et une durée importante pour chaque épisode - environ une heure : Le but est de prendre le temps de raconter une SEULE histoire, de produire des personnages travaillés dont les complexités peuvent s’installer de manière incrémentale. En théorie, c’est totalement ma cam.
L’avantage de ce genre de formule est qu’elle permet de nous introduire à de nouvelles têtes dans le paysage télévisuel « mainstream » -ET CIEL, ON EN A BESOIN- ou de nous réintroduire à des acteurs en perte de vitesse ou cantonnés à un registre bien particulier depuis un moment : Jessica Biel (The Sinner) Susan Sarandon (Feud) Angela Bassett - MERCI RYAN MURPHY - (qui ressuscite dans American Horror Story et très très récemment dans 911). Mais je m’égare… Je pourrais écrire une dissertation avec trois parties / trois sous-parties sur Angela Bassett.
Seven Seconds narre la quête d’une assistante du procureur dans le New Jersey, KJ Harper, qui tente de résoudre un crime qui a vu la mort d’un jeune afro-américain de 15 ans lors d’un accident de voiture impliquant un policier blanc (Vous le sentez venir?) dissimulé par ces collègues (Ca vient…) ces derniers ayant laissé le jeune adolescent baigner dans son sang pendant 12 heures… entrainant son impossible survie.
Mettons les choses aux claires ; Cette série n’est pas révolutionnaire, mais j’ai été agréablement surpris. Le thème n’y est pas étranger. Les questions de tensions raciales aux États-Unis - AKA, la Mecque des inégalités - sont sur-traitées dans toutes séries « woke » qui se respectent, sous tous les angles possibles (Et Netflix est une des plateformes ayant permis ce type de développement : cf Dear white people, The 13th… ). Ici, c’est la même chose. Le racisme s’écoulent dans toutes les veines du système américain majoritairement blanc (l’opinion populaire, les médias et surtout l’ordre juridique) empêchant la protection de droits humains les plus basiques pour des personnes n’ayant pas la couleur de peau adéquates pour être considérés dans l’espace social. Une protection qui entre en collusion avec les intérêts personnels d’acteurs pourtant dépositaires de l’autorité publique… Rien de nouveau sous le soleil, donc.
Pour autant, se sont les personnages et leurs interprètes qui arrivent à donner du relief à cette série qui n’aurait pu rester dans les (mes) mémoires comme une série labellisée « série de noirs », « série de minorité » « série pour ’eux’ ».
Prenons quelques exemples : le personnage principal - Si tenter qu’il puisse être possible de clairement en dégager un - l’assistante du procureur qui est en charge de l’affaire et ceux des parents du jeune adolescent. Cette procureure est une épave, un bordel, a Hot mess. Alcoolique, elle écume le bar karaoké du quartier et s’offre en spectacle reprenant des classiques style Bridget Jones/All By Myself, s’envoient la moitié des mecs de la ville (elle tente par ailleurs de se taper son coéquipier, créant une scène de malaise hilarante à souhait), et par conséquent apparaît au premier abord comme… médiocre. Cependant c’est un personnage qui évite les clichés (et oui je trouve du confort dans ce fait). Elle est une avocate pourrie qui noie ces problèmes dans l’alcool, mais cela s’explique par les nombreux procès défendant des noirs qu’elle a perdu. Elle boit le système dans l’alcool, ce système qu’elle n’arrive pas à vaincre. Elle est noire, et vient d’une famille riche dans le quartier huppée de la ville (Oui c’est possible) et -THANK GOD- nous n’avons pas droit à la rhétorique de la/du noir(e) bourgeois(e) déconnecté(e) des réalités, déconnectée des « vrais noirs », de la noire pas assez noire en quelque sorte… Pour faire plus simple, de la « négresse de maison ». De plus, il ne s’agit pas d’un personnage ultra formaté qu’aurait pu nous pondre Shonda Rimes qui arriverait toujours à ces fins grâce à je ne sais quel talent inné (coucou Olivia Pope).
Elle est interprétée par l’actrice anglaise Clare-Hope Achitey qui est brillante (crush aside, haha) et notamment dans le dernier épisode : on vibre pour et avec elle.
Le tandem qu’elle forme avec son coéquipier Joe Rinaldi « Fish » est un des points saillants de la série. La pair est caractérisée par une proximité qui sort des carcans imposés par ce qui prévaut dans les intrigues policières mainstream, meaning : Les deux ne veulent pas forcément baiser, ils ne sont pas forcément amis (ils éprouvent même du dédain l’un pour l’autre) mais ils sont unis par leur détermination à obtenir justice. Et c’est de là que naît leur complicité : se sont les seuls, dans leur institution, à en avoir quelque chose à foutre du meurtre du jeune Brenton Butler.
Les parents joués par Regina King (Latrice Butler) et Russel Hornsby (Isaiah Butler) - récemment vu dans Fences - sont un régal. On peut s’identifier à leur peine et au processus de deuil qui ne finira pas à la fin de la série. C’est surtout un réel plaisir de voir Regina King enchaîner des rôles complexes où le public peut prendre la mesure de son jeu d’actrice (voir : American crime, Southland, The Leftovers et bientôt If Beale Street Could Talk) et non plus le rôle de la meilleure amie noire dans un film de pré-ado.
Ce qui ressort principalement de cette série est la représentation même du racisme, qui peinent, à mon avis, à être correctement mis en lumière dans les autres séries ayant l’ambition de montrer son essence. Cette série ne s’embarrasse pas de poncifs et le montre tel qu’il est : éhonté/perfide/macabre/réel quand certaines séries se penchant sur cette question ne vont - clairement - pas au fond des choses où loupent carrément le coche. Ce racisme s’exprime à travers le policier - Pete, ‘Petey’ Jablonski et ces collègues responsable de la mort du jeune Brenton Butler. Pour eux, les noirs sont des animaux, des sauvages qu’il faut mater. C’est cette idée du « eux » et du « nous ». « Nous » ne « sommes » pas comme « eux », « Tu » - le policier responsable de l’accident - n’a pas à « te » sentir coupable, il ne s’agissait probablement qu’un mec faisant partit d’un gang, puisqu’il est noir. Tu n’as pas à te sentir coupable, en le tuant, tu as probablement rendu service à la communauté. « That’s on them, not on you ».
La question de la perception - certes, amenée de manière peu subtile - est omniprésente et omnipotente dans cette histoire, tant les policiers ont recours aux méthodes d’auto-justification les plus tordues pour faire taire leur conscience. Ils sont rongés par le remord - le policier ayant commis l’accident souhaitent à plusieurs reprises se dénoncer - mais ne vont jamais jusqu’au bout. Cette dualité chez ces personnages, entre volonté de dénoncer mais un sens de privilège offert par le statut de policier dans lequel il se complaise, est intéressante. En effet, il semble que les scénaristes eurent la volonté de mettre en évidence que l’aspect humain des policiers, quand il émergence - et surtout de Peter Jablonski - leur sens de l’entitlement, de leur vision d’eux même comme étant supérieur et ayant toujours la possibilité de s’en sortir reprend toujours le dessus, et efface toute leur aptitude à éprouver des remords. White priviledge. D’ailleurs, pour se protéger, ils deviennent tour à tour ceux qu’ils conspuent : Des animaux.
Seven Seconds n’est probablement pas une série révolutionnaire. Nope. Mais elle a le mérite de montrer l’horreur d’un système dans toute sa splendeur. Elle a le mérite d’éviter tous les excès et simplifications d’autres séries traitant de ce thème. Elle a le mérite de tenir la route et de tenir en haleine son audience - les policiers seront ils punis ? S’en sortiront ils ? Est-ce que la couleur de peau de la famille sera un élément déterminant ? Un procès aura t’il lieu ?
Aux critiques pointant un thème surexploité, je répondrais qu’il est tristement inépuisable. Tant ces injustices s’approfondissent, escaladent et atteignent des sommets qui ne sont pas - encore - entièrement présentés à la télévision. Elle montre de manière vraisemblable la cruauté d’un racisme institutionnel à travers le prisme de tous les individus affectés par ce dernier. Et on y croit. On y croit tellement qu’on a l’impression d’être devant un documentaire sur le racisme. Espérons que comme les autres documentaires, on reste conscient du thème qu’il traite plus d’une journée et demi.