La terrible douceur de la peine
Petit bijou d’intelligence sur les conséquences de la perte d’un être cher et les failles émotionnelles qu’elle peut engendrer. Tout est superbement écrit, c’est beau, tendre, triste et terriblement...
le 25 avr. 2020
SAISON 1
Facebook Watch ne s'était pas encore fait remarquer avec la qualité de ses séries mais les choses risquent de changer avec cette petite pépite qu'est "Sorry for your Loss" composée de 10 épisodes de 30 minutes chacun.
Drame à forte charge émotionnelle mais toujours entrecoupé d'instants plus lumineux, la série nous raconte l'incapacité de Leigh (Elizabeth Olsen) à faire le deuil de son mari décédé voilà trois mois. Perdue au bord du précipice de la douleur que peut engendrer un tel drame, la jeune femme tente difficilement d'aller de l'avant avec l'aide de son entourage : sa soeur ex-alcoolique, sa mère propriétaire d'un club de fitness (où ses filles travaillent) et son beau-frère avec qui elle entretenait des rapports conflictuels. Oscillant constamment entre la colère, la tristesse, l'incompréhension, le manque de l'être aimé, le désespoir et le repli sur soi-même, Leigh n'arrive tout simplement pas à envisager un avenir sans son compagnon et chaque maigre étape franchie la renvoie irrémédiablement à des souvenirs morcelés de leur relation (celle-ci nous est d'ailleurs racontée par l'intermédiaire de ces souvenirs/flashbacks).
Si la série traite avant tout de la façon de surmonter un deuil (et si cela est vraiment possible) par le regard de son héroïne, elle montre aussi l'influence que celui-ci peut avoir sur un microcosme de proches gravitant autour de Leigh et la manière que ceux-ci ont de le gérer même s'ils ne sont pas les premiers concernés. Et puis il y a cette idée émergeant au fur et à mesure des épisodes qu'une personne n'en connaît jamais réellement une autre et ce, quelque fut la force des sentiments de l'une envers l'autre, le paroxysme de cette notion de "jardin secret" infranchissable sera atteint avec l'épisode 5, petit bijou à lui tout seul et osant un changement de point de vue audacieux qui rabat les cartes sur la manière dont on a eu d'appréhender certains évènements au coeur de la série.
Pour traiter un sujet aussi sensible que cette douloureuse guérison, la grande qualité de "Sorry for your Loss" est sans doute son sens de l'écriture aiguisé, ancré dans un véritable souci de réalisme pour ne jamais ignorer que la cicatrisation de la plaie béante de Leigh se déroule dans un quotidien qui ne l'attendra pas forcément malgré sa gravité, ses proches étant obligés de suivre leurs propres routes jonchées elles-mêmes de tourments plus ou moins internes. À cette finesse et cette intelligence de traitement, s'ajoute une plus-value non négligeable avec le choix d'Elizabeth Olsen dans le rôle principal de ce qui est sa première série : entourée par une distribution impeccable -mentions spéciales à Mamoudou Athie, formidable dans le role du défunt mari, et à Janet McTeer, irrésistible en mère autant adepte des préceptes new-age que d'une rationnalité cassante- la comédienne apporte toute la fragilité de son jeu à fleur de peau afin de retranscrire le flot de sentiments contradictoires qui habitent Leigh.
La dernière partie de saison nous laissera entrevoir des horizons plus sereins sur l'avenir de cette jeune veuve dans sa quête vers le retour à une existence normale mais la question de savoir si guérir de sa souffrance revient à se séparer du souvenir de son mari, elle, demeurera bel et bien comme, par exemple, avec cette blague qu'il lui avait raconté et dont elle ne parviendra à se remémorer la chute avant un long moment, preuve peut-être que son inconscient commence à passer lui aussi à autre chose. Le plan final pourrait être envisagé comme une conclusion mais le voyage pour elle et ses proches semble être encore loin d'être achevé et Dieu sait qu'on a envie de le terminer avec elle désormais... Une saison 2, vite !
SAISON 2
(Attention Spoilers !)
Avec la BD de Matt enfin publiée, Leigh entre dans une nouvelle étape transitoire de son deuil. Le regard de la jeune veuve se tourne vers l'avenir, vers la nécessaire reconstruction de sa personne après la douleur de ces six derniers mois.
Les premiers choix pour repartir sont maladroits (du sexe sans lendemain, une nouvelle coupe de cheveux, ...) et les opportunités mises sur sa route (une rubrique journalistique) pas encore considérées à leur juste valeur mais, malgré sa fébrilité compréhensible, Leigh semble avoir choisi d'avancer. Même son inconscient que l'on verra littéralement à l'écran lors d'une séquence de trip sous hallucinogènes (épisode 2) la pousse à ne plus ouvrir la porte de son esprit où les souvenirs partagés avec Matt l'attendent pour la freiner.
Bien sûr, la remontée à la surface ne se fera pas sans heurts, la peur d'oublier tout ce qui a défini l'union avec son défunt mari est bien présente et Leigh n'est jamais à l'abri d'être emportée par une lame de fond lui rappelant l'immensité du vide laissé par Matt sur son existence. Ce sera d'ailleurs le cas avec la réminiscence d'un simple mot enfoui dans la mémoire de Leigh lors d'une commémoration au lycée, elle en sortira complètement dévastée (et nous avec), régressant au stade des premiers jours de son deuil. Comme pour mieux symboliser ce retour en arrière, ce quatrième épisode sera véritablement le premier de cette deuxième saison à délivrer un flashback sur Matt venu de l'esprit de Leigh car, jusqu'ici -et c'est un des grands tournants de cette saison par rapport à la première afin de montrer l'évolution de son héroïne- Matt ne ressurgissait qu'à travers les yeux de son frère Danny.
Après avoir révélé ses sentiments pour sa belle-soeur par l'intermédiaire du téléphone de son frère, Danny s'est en effet emmuré dans le silence vis-à-vis de Leigh. Rongé par un mélange d'incompréhension, de ressentiment et de culpabilité vis-à-vis de la mort de Matt, celui qui était devenu le confident de Leigh grâce à leur souffrance partagée s'est détourné d'elle et ne peut lui concéder qu'un envoi régulier d'emojis pour maintenir leur lien. Danny essaie lui aussi de passer à autre chose en suivant de mauvaises directions mais, de son côté, l'ombre de Matt ne le quitte pas, elle le hante toutes les nuits et, évidemment, la présence de Leigh ne fait que renforcer son mal-être.
La rechute de la jeune femme va néanmoins être pour lui l'occasion de se rapprocher d'elle et leur relation va passer ainsi un cap majeur. Mais est-ce quelque chose fait pour durer ou encore une autre étape vers leur guérison mutuelle ? Là sera toute la question de la deuxième partie de cette saison avec les doutes et la gêne induits par la tournure des événements. Plus que tout, ce sera leurs manières opposées d'appréhender le deuil et l'image que Matt leur a laissé à chacun qui deviendront leurs principaux sujets d'interrogations ou de frictions. La vision idéalisée de Leigh pour son mari et celle blessée de Danny pour son frère vont sans cesse opposer, devenant les synonymes de l'impossible stabilité de leur relation (un meuble à trois pieds en construction viendra malicieusement l'incarner). Certes, leurs souffrances s'amenuiseront momentanément dans le réconfort qu'ils s'apporteront mais, au final, ils ne feront qu'amplifier l'ombre de Matt par l'intermédiaire d'un non-dit terrible le concernant et en train de couver pour mieux exploser...
En parallèle, "Sorry For Your Loss" s'intéressera toujours aux destins de la mère et de la sœur de Leigh. Tout comme dans la saison 1 (et avec l'intelligence qui la caractérise), la série le fera évidemment en écho des épreuves traversées par son héroïne et, notamment, celle de se tourner vers le futur en pansant les plaies du passé.
Sa sœur adoptive Jules va peu à peu s'émanciper de l'influence familiale, elle va s'affirmer aussi bien sentimentalement que professionnellement et ne va jamais éluder le poids de ses problèmes passés. Surtout, la jeune femme va faire du poids de la question de ses origines biologiques (qu'elle mettait volontairement de côté) une force pour aller de l'avant.
De même, en ce qui concerne leur mère, celle-ci va prendre soudainement conscience qu'elle s'est mise à se définir uniquement vis-à-vis des malheurs de ses filles et va laisser exploser ses failles existentielles devant tous ses invités du repas de Noël de l'épisode 3 (une séquence incroyable d'intensité dominée par une Janet McTeer encore une fois exceptionnelle !). Elle décidera d'elle-même de se mettre à l'écart pour se laisser le temps de se reconstruire.
L'évolution des deux femmes amènera à des bouleversements majeurs en fin de saison répondant, par la force des choses, au chemin entrepris par Leigh et dans lequel elle ne peut rester de toute évidence sur le statu quo de sa souffrance. Mais, là encore, les dernières minutes poignantes nous montreront que son odyssée est une nouvelle fois loin d'être terminée...
Quelle série ! Alors, oui, du fait de l'inévitable reconstruction de son héroïne et de ses conséquences, cette saison 2 perd (légèrement) en puissance émotionnelle face aux ténèbres qui menaçaient de l'engloutir à chaque épisode de la première mais, bon sang, "Sorry For Your Loss" nourrit une telle justesse de traitement afin d'aborder tous les méandres d'une si terrible épreuve qu'elle ne peut qu'impressionner !
Que cela soit à travers son espèce de narration évolutive où les flashbacks ne sont désormais plus provoqués par le présent mais paraissent s'extirper du passé pour influer sur le moment vécu ou sa manière de relier tous ses personnages dans une même spirale de problématiques afin de les faire grandir conjointement, "Sorry For Your Loss" continue d'atteindre des sommets de sensibilité et d'humanité dont peu de séries peuvent se targuer !
Dommage encore une fois que son mode de diffusion via Facebook Watch la condamne à un relatif anonymat car, oui, "Sorry For Your Loss" est définitivement une très grande série et elle vient de le confirmer avec sa deuxième saison.
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Créée
le 12 oct. 2018
Critique lue 835 fois
5 j'aime
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