Du conte enfantin, à une histoire plus intense
[AVEC SPOILER] Les anime arrivent parfois à nous surprendre. Ainsi, un anime qui semble être le parfait exemple du conte pour enfant peut se transformer en histoire plus tortueuse et traumatisante. Kemono no Souja en est le parfait exemple. Alors qu’il commence comme la parfaite histoire d’une petite fille curieuse, heureuse et adorant les animaux, il se transforme en histoire impliquant une guerre civile, des choix difficiles et le rapport de l’homme avec les animaux.
L’histoire nous amène dans le village d’Ake, au sein d’un territoire contrôlé par le grand Duc. Le village d’Ake est spécialisé dans l’élevage des Touda, sorte de lézards géants utilisés par l’armée du Duc pour repousser les envahisseurs et protéger l’autre royaume, celui de la Reine. La mère d’Erin, Soyon, est à la fois éleveuse et vétérinaire pour Touda. Elle est constamment à leur chevet afin qu’ils soient en parfaite condition. En plus de subir les quolibets d’une partie du village, car elle est une femme qui travaille, elle est discriminée à cause de son appartenance au peuple de la brume, peuple qui aurait des pouvoirs mystiques.
Malgré cela, elle a décidé de rester pour élever sa fille, Erin, personnage central de l’histoire. Le prénom d’Erin signifie « pomme sauvage ». Il correspond parfaitement à son caractère : elle est curieuse, s’interroge énormément sur les choses et à la volonté ne pas se laisser imposer des règles. Ce prénom renvoie aussi au fruit défendu, la pomme, et à sa signification classique (la connaissance du bien et du mal, thème central tout au long de l’histoire). Tout le long des 50 épisodes, divisés en trois arcs, nous suivront les aventures d’Erin durant l’enfance, l’adolescence et sa vie de jeune adulte.
Ce résumé pourrait faire croire à un conte pour enfant où tout va bien se passer. Mais peu à peu, l’on comprend que l’histoire n’est pas aussi simple.
La question du rejet des autres est très vite abordée. Les préjugés des uns et la nécessité de prouver aux autres ce que l’on faut sont parfaitement illustrés. Les attitudes aussi. Certains ne font par la différence alors que d’autres se focalisent sur cela. Erin est à a fois spectatrice et victime de ces comportements.
Mais c’est surtout le rapport de l’homme à l’animal qui est mis en avant. Les touda sont des armes et le but des dresseurs est qu’il soit opérationnel peu importe leur bonheur. Ils sont enlevés tôt à leur nid et modifiés grâce à des méthodes d’élevage particulières afin de devenir des armes de guerre. Erin pose la question du bonheur de ces animaux, de leur nature profonde et de l’utilisation de ces animaux par les hommes. Sont ils comme cela dans la nature ? Ou est ce l’homme qui les force à devenir ainsi ? Doivent-ils subir ce type de traitement et au nom de quoi ? Reliée à cette interrogation, c’est la question de la liberté qui est traitée. Faut-il suivre des règles que l’on estime injustifiées ? Si l’on s’y refuse, est-on prêt à en subir les conséquences ?
Toutes ces questions vont trouver une réponse à travers la relation qu’Erin noue avec un Ouju, autre bête surpuissante, Lilan. Elle va avoir la mission de la sauver et de l’éduquer à la fois. Les relations entre ces deux êtres font peu à peu se développer et une vraie relation fusionnelle entre les deux va naître. Cette relation va mettre en doute toutes les certitudes que les professeurs avaient sur les Ouju et vont conduire Erin à avoir des doutes et à faire des choix difficiles.
Toute cette histoire n’aurait pas été possible dans ce personnage incroyable. Erin alterne entre les périodes de découvertes et de traumatismes. Cet anime surprend par cette alternance ou en quelque épisodes on passe d’une vie idyllique à un enfer émotionnel. A cause de ces blessures, Erin souffre et cela aura des répercussions sur ses actions. Mais à chaque fois, elle parviendra à surmonter ses peurs grâce à des soutiens qui l’aideront lorsqu’elle en aura besoin. C’est cela l’un des grandes forces de l’anime : elle grandit sous nos yeux. L’écriture est-elle que ce développement est progressif. On accompagne Erin lors de ce périple et les émotions ressenties, que ce soit de joie, d’émerveillement ou d’impuissance sont toujours exactement retranscrites. Cela est aidé par une ost magnifique qui colle parfaitement à l’ambiance.
Mais contrairement à la musique, la qualité du dessin oscille entre la beauté et le brouillon de certaines scènes (notamment les scènes de batailles ou lorsque du sang est susceptible d’être déversé). Cela s’explique par le côté hybride de cet anime, à la croisée des chemins entre conte enfantin et histoire plus profonde. Les dessinateurs ont voulu éviter de choquer le jeune public et ont donc transformé ces scènes en brouillon, mais malheureusement peu réussis. Une autre interprétation serait qu’ils aient essayé de montrer, par le dessin, le chaos de ces situations. Mais, dans l’ensemble, cela nuit à l’histoire. On retrouve ce même défaut avec le duo comique dans l’anime. Il a certainement été introduit pour alléger le récit t lourd de l’anime, vu qu’il n’est présent dans le light novel, mais dès le premier épisode, il devient agaçant.
Un autre reproche possible serait le rythme lent de l’histoire. Cela est parfois une force, car grâce à ces 50 épisodes, le monde, les relations entre les personnages et les enjeux peuvent être posés. Mais dans d’autre cas, cela casse complètement le rythme global. Certains épisodes ne sont là que pour meubler et ne font ni avancer l’intrigue, ni les relations entre les personnages. Il en va de même pour la répétition abusive de certaines scènes dans divers épisodes. On a parfois l’impression d’avoir regardé un demi-épisode, sans pour autant en apprendre plus. Ainsi, 40 épisodes auraient été largement suffisant pour boucler cette adaptation des deux premiers volumes ( sur quatre) du light novel.
Au final, cet anime fait partie d’une catégorie qui est de plus en rare. Il est de ceux qui prend le temps de raconter son histoire, de poser son intrigue, de développer son personnage principal et qui le fait de manière très efficace. Il n’est pas calibré pour tous les publics et aiment surprendre son téléspectateur. La longueur de l’anime en rebutera peut être certains, mais ce voyage en compagnie d’Erin en faut réellement la peine.
PS : SPOIL LIVRE : cet anime est l’adaptation des deux premiers volumes du light novel. Malheureusement, seuls les deux premiers volumes ont été édités en Français. En faisant quelque recherches sur internet, j’ai trouvé la fin de l’histoire, qui comme on pouvait le pressentir dès le début, fini mal. Erin devient dresseuse, s’est mariée à Ial et ont un enfant. La guerre avec les pays voisins devient de plus en plus intense et la reine ordonne à Erin de créer un bataillon de Ouju. Au début, elle refuse, mais les pays ennemis ayant volé les techniques d’élevage des Touda elle se résigne et s’exécute. Lors de la bataille, deux armées de Touda se font alors face, mais s’évitent et ravagent une ville. Erin décide alors d’utiliser les Ouju mais ils deviennent incontrôlables. A cause de cette attaque, les Toudas paniquent et émettent un gaz toxique qui décime toutes les personnes présentes dans la ville. Erin décide alors de se rendre au milieu de la ville et d’utiliser la technique de rédemption (la même que sa mère a utilisé). Les Touda et Ouju sont paralysés et la bataille se finit. Mais Lilan se trouve paralysée dans les airs avec Erin sur son dos. Elles font alors une longue chute et meurent à cause de l’impact. La reine, à la vue de cette hécatombe, signe un accord de paix avec le pays voisins et interdit l’élevage de Touda et de Ouju.