En plein XIXe siècle puritain, Freud « découvre » qu'en chaque homme réside des pulsions destructrices cachées, résorbées dans l'inconscient par la formation du sujet social. Adam Curtis explore les utilisations faites de cette théorie à des fins de transformation sociale aux Etats-Unis au XXe siècle. Dans l'ensemble, deux écoles s'affrontent : l'une voulant employer la capacité à refouler ses mauvaises pulsions pour ordonner une société harmonieuse et homogène et ceux voulant au contraire laisser ces pulsions éclater au grand jour pour mieux permettre l'expression de l'individu. Les premiers ont rapidement échoué face aux seconds qui travaillaient d'abord pour le milieu de la publicité avant d'appliquer leurs théories à celui de la conquête électorale. En promouvant l'individu et ses désirs, l'on voulait stimuler la consommation dans une économie hantée par le spectre de la surproduction. Il s'agissait donc de briser les limites morales à la consommation afin de permettre l'avènement d'une société libérale plus juste et plus libre. Des théoriciens plus radicaux, comme Reich, espéraient, par le même procédé, rendre l'homme meilleur, ramené à sa bonté naturelle ; la CIA quant à elle a repris le même programme pour tenter de "reprogrammer" des individus en détruisant leur construction sociale pour mieux la refaçonner par suggestion.
Autant d'échecs ! Sauf, semble-t-il, pour ce qui est de la publicité : ces techniques qui ont si bien marché pour le commerce ont ensuite été employées pour la politique. Ces mêmes personnes issues du marketing conseillent à Reagan de fonder sa communication électorale sur l'individualisme contre les contraintes collectives (les impôts et les taxes notamment). Procédé qui chamboule les idées de la droite traditionnelle, mais aussi de la gauche, qui essaye désespérément reprendre le pouvoir suite à la période Reagan-Thatcher. Clinton décide donc d'utiliser le même cabinet de conseil que Reagan, afin de promouvoir des idées, en réalité, similaires. Et Blair au Royaume-Uni fera de même un peu plus tard, reprenant des passages entiers de discours de Clinton en fait écrits par les mêmes conseillers. Ainsi se neutralise l'opposition gauche-droite toute tournée vers le culte de l'individu, du marché libre et de la consommation dans un discours difficilement tenable en raison du surendettement qui commence à grever les finances. L'Etat-providence britannique, l'un des premiers élaborés historiquement, est ainsi liquidé en quelques décennies.
Le réalisateur de la BBC déplore ainsi la disparition d'un idéal de progrès collectif qu'auraient porté les partis sociaux-démocrates aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. On peut probablement avoir quelque doute sur la réalité effective de cet idéal, tout du moins, dans son exercice pratique. En outre, l'ambivalence demeure : les marketeux biberonnés à ce freudisme simplifié et tronqué ont-ils réellement, par eux seuls, transformé la société pour la rendre individualiste ou n'ont-ils pas fait que flairer, avec des méthodes d'étude statistique ou de psychologie sociale (une discipline par ailleurs hautement politisée et vouée depuis sa création essentiellement à la manipulation des masses), une transformation qui était en cours, voire avait déjà eu lieu ?
Un documentaire, quoi qu'il en soit, extrêmement dense et riche, s'attardant sur de nombreux détails historiques méconnus du siècle dernier.