On ne dit pas assez à quel point le rire trouve sa base dans le confort. Disposer à rire. Je trouve qu'il n'y a pas une idée plus géniale que d'installer le spectateur au rang de Dieu, afin qu'il se moque des personnages humains et pleins de défauts. C'est ce qui se passe dans Saiki Kusuo No Psi Nan, où le héros est absolument démiurge et voit tout le monde de haut. Saiki Kusuo, lycéen de seize ans, a, dans un monde semblable à notre réalité, des pouvoirs magiques lui permettant notamment de lire dans les pensées, se téléporter, ou intervertir la position spatiale de deux objets. La conclusion logique à ça, c'est qu'il devient l'archétype du blasé. C'est vrai que c'est super comique là rien que le dire
Mais c'est dans le rapport qu'il a aux personnages ! Puisqu'il peut tout faire, ça ne lui fait ni chaud ni froid d'être connu, alors il vie sa vie et ne veut pas être dérangé par eux. Il est cynique en fait. La présence de Saiki est bien étudiée pour qu'on ait envie de rire de ceux qui se présentent un peu comme ses playmobils.
Nendou, que Saiki veut éviter, et qui est divinement bête
Kaido, que Saiki veut éviter qui se prend pour le personnage principal d'un shônen nekketsu. On le voit croire dur comme fer à ses autoproclamés pouvoirs magiques cachés. Du coup à un moment Saiki lui fait vraiment produire une étincelle et il fait "QUOI! J'ai vraiment des pouvoirs ??"
Ainsi que d'autres lycéens, comme Teruhashi, qui est une "jolie fille" folle amoureuse de Saiki car il lui est indifférent. Elle parle très rapidement, quand elle veut le séduire. Évidemment, ce n'est pas "elle" qui parle rapidement, mais le montage met ses propos en accéléré parce qu'on a bien compris ses intentions, c'est des trucs stéréotypés, on ne découvre rien, allez.
C'est très drôle ! Et ce procédé est à l'œuvre dans tout l'anime, pour tous les personnages. À un moment, un joueur de baseball tient la batte, et il va frapper dans la balle qui est en train d'arriver. Il dit "Elle est très rapide ! C'est impressionnant ! J'espère qu'elle n'a pas d'effet car autrement je doute que je pourrais la renvoyer !"
Saiki dit : "Dans le monde normal, un humain ne pourrait pas réfléchir à autant de choses en une demi seconde, juste le temps que la balle arrive. J'ai modifié la temporalité de l'humain en temps de stress."
Ce petit tacle aux incohérences des animés de sports est brillant. C'est délicieusement cynique.
Alors
Ce serait ennuyeux si Saiki ne côtoyait que des personnes banales. Enfin, si, dans un épisode, il y a un gars qui dit" Salut ! Je suis une personne extrêmement normale comment ça va "- on est en plein dans le thème avec ce genre d'humour.
Bref du coup, on se rend bien vite compte que tous ces personnages ont un lien de près ou de loin avec la perfection et la puissance. Nendou est incroyablement bête, Kaido se prend pour l'Elu... Un des lycéens a le pouvoir de voir les fantômes ! Un autre est le délégué de la classe totalement investi dans ce qu'il fait et dans les encouragements qu'il promulgue à ses camarades.
Ces petits gestes nous font rire d'un rire semblable à celui de Dieu, qui regarde les humains galérer, le même qui nous fait délirer en voyant un poisson rouge coincé sous des pierres dans son bocal. Mais cependant, Saiki n'est pas parfait. Il n'est pas comme Sakamoto desu ga, attention, même si l'idée ressemble. On ne rit pas de Sakamoto: puisqu'il est parfait et sans saveur.
Saiki subit quand même les humains; ils l'énervent parce qu'ils sont excités. Le délégué de la classe arrive à être apprécié par tout le monde. Saiki l'admire pour cela. Et puis, Saiki a un péché mignon, les desserts au chocolat. Ça le fait redescendre de sa toute puissance insensible, quand même, en ajoutant de l'étoffe au personnage, le rendant crédible
Il a également un grand frère surdoué, avec qui il est en rivalité.
La série ne se limite pas à une prolifération de situations humoristiques: elle présente un univers cohérent et des bons personnages. Des situations s'appliquent à ces personnages, et il suffit de dérouler, c'est très plaisant.
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Du coup, ça lui arrive de sauver des vies ou d'annuler des situations non souhaitables, mais il ne le fait pas trop, il tempère. Durant un épisode, il explique qu'une fois par an, il s'isole dans un endroit sur Terre où il n'y a personne dans un rayon de 50 km, et il jongle avec des rochers de trois tonnes. Il fait ça pour s'entraîner à arrêter une éruption qui revient à chaque fin d'année et qu'il ne cesse de stopper. C'est touchant, on le voit endosser une responsabilité pour l'espèce humaine. Saiki maintient l'existence de la planète tranquillement, et ça aussi ça nous le rend sympathique.
Je ne vous cache pas que cette sympathie pour Saiki a renforcé ma tentation de regarder avec dédain le troupeau humain. Il est intelligent, peut prévoir tout, son cynisme est hors pair, ça s'est imprimé en moi. Tout comme la sociologie, et toute œuvre qui tient un propos sur les gens, on en ressort rincé de toute naïveté, et le risque hélas, c'est de désespérer du bonheur et de sombrer dans l'absurde.
Mais je suis comme ces gens ! Moi aussi, quand une fille jolie m'aborde avec son plus bel air et me parle, mon premier mouvement sera de gémir un "Oh !"
Je suis comme ça, me dis-je
Les gens sont comme ça, répond Saiki
Et moi je me convaincs: "Je ne suis pas comme ça !"