Attention, spoilers ! Je n'ai vu que la saison 1
Lorsqu'en 2010, Andrew Jarecki réalise une libre adaptation cinématographique sur la vie troublante de Robert Durst, intitulée Love & Secrets, il est loin de se douter que son opus (sorti chez nous directement en DVD) va le conduire tout droit vers le succès, la vérité et ... devant la justice !
En effet, à la suite de la sortie du film en salles, le réalisateur est contacté par Robert Durst en personne, qui lui propose, dans un accès probable de mégalomanie et contre l'avis-même de ses propres avocats, de lui livrer sa propre version de l'histoire.
3 crimes lui sont reprochés, perpétrés sur 3 décennies (1982 à 2001).
Plus qu'un documentaire, The Jinx est une opportunité inespérée pour le réalisateur,
une aubaine qui va le propulser au-devant de la scène médiatique, mais aussi juridique. En effet,
cette pépite documentaire tournée en 6 épisodes de 45 min,
n'est pas sans poser des questions d'ordre éthique, tant sur la forme que sur le fond.
1 - True Detective, mais en vrai ...
D'emblée, le documentaire sait capter l'attention, avec l'ouverture du premier épisode sur des images d'investigation policière et un générique, dont la musique accrocheuse et l'esthétique ne sont pas sans rappeler la sublime True Detective, qui cartonne la même année sur HBO. Choix judicieux s'il en est, mais on en oublierait presque qu'il ne s'agit pas ici d'une fiction.
Robert Durst est à deux doigts de passer pour un héros de série.
Le mélange des genres me dérange.
2 - Robert Durst, un psychopathe convaincu de sa superbe
Regard sombre, glaçant et sans âme, Robert Durst est à l'évidence un homme dangereux, en plus d'être arrogant. De ses yeux presque noirs, impénétrables, d'où ne luit aucune émotion et ne transparaissent que le vide et la mort, Robert Durst me fait froid dans le dos.
Assis de façon hiératique, comme pour exprimer sa supériorité et son assurance lors de sa première interview, l'homme se trahit pourtant lui-même. Perclus de tics nerveux, qui semblent traduire l'incohérence entre ses propos et les faits, il tente de nous embobiner avec son discours pourtant atone, monocorde, où il met sur un même plan, tous les éléments de sa vie.
Racontés de façon froide et clinique, le suicide sous ses propres yeux de sa mère, alors qu'il n'avait que 7 ans ; sa relation avec sa première femme Kathleen ; l'avortement forcé qu'il fait subir à son épouse, dont il dit bien que "ce sont ses affaires à elle" ; les coups qu'il lui a infligés, les multiples humiliations, sa disparition ... Tout sonne étrangement banal dans la bouche de cet homme, on y croirait presque. Et pourtant ...
Pourtant, trois personnes a minima ont disparu dans son sillage : sa première femme Kathleen, en ce funeste dimanche de 1982, sa meilleure amie Susan Berman en l'an 2000, et l'année suivante, son voisin Morris Black, devenu semble-t-il, un élément gênant.
On croirait presque à de la malchance. Presque.
3 - Des témoignages bouleversants et essentiels
Plus que les images-chocs de cadavre découpé à la scie et les sordides reconstitutions des différents crimes, j'ai été bouleversée et émue par les nombreux témoignages tout au long de cette enquête (car il s'agit en réalité bien d'une enquête). Que ce soient les proches de Kathleen (sa famille, ses amies de longue date), les policiers, et même les avocats du vieux Bob ... tous viennent corroborer la vacuité et la froideur émotionnelle de Robert Durst.
Des témoignages essentiels qui viennent conforter l'impression laissée par cet homme : violent, manipulateur, dangereux.
4 - Le silence et le chagrin, transmis de génération en génération
Mais ce sont bien aussi les dégâts collatéraux, auxquels on ne pense pas nécessairement, qui m'ont le plus touchée. La douleur de ceux qui n'ont pas côtoyé Robert et Kathleen, mais qui pourtant portent un lourd fardeau généalogique.
Le témoignage en particulier de la nièce de Kathie, qui est née au moment de sa disparition, et qui - fait troublant - lui ressemble comme deux gouttes d'eau, raconte comment cet événement tragique est venu l'affecter. Elle n'a jamais connu sa tante et n'a pris la pleine mesure des faits que lorsqu'elle est entrée dans l'adolescence, son entourage lui faisant alors la remarque (le reproche?) d'être le sosie de sa tante.
Ou celui, tout aussi fugace, d'un héritier de la dynastie Durst, qui semble étouffer sous le poids du chagrin et du silence dévastateur de sa propre famille. Il faut dire que la dynastie Durst a pris le pli depuis le suicide de Bernice, la mère de Robert. Les femmes disparaissent dans des conditions tragiques et suspicieuses, sans que personne ne semble s’en émouvoir.
Le silence règne en maître au sein de la puissante famille Durst.
Mais la douleur a bien été transmise à la prochaine génération.
5 - Andrew Jarecki est-il un réalisateur malhonnête ?
J'ai été profondément dérangée par l'attitude d'Andrew Jarecki, que j'ai trouvée très complaisante à l'encontre de Robert Durst, pendant toute la durée de la première interview. Ses questions m'ont semblé suffisamment vagues, ouvertes, pour laisser tout le loisir au vieux roublard d'y répondre de façon floue, détournée, comme un manipulateur psychopathe de sa trempe sait si bien le faire. Un jeu d'enfant pour Robert Durst, qui visiblement, prend un malin plaisir à rouler dans la farine, le réalisateur peu aguerri - semble-t-il - à l'exercice journalistique et surtout convaincu de l'innocence de Durst. Mais encore, passons.
J'ai été choquée lorsque le réalisateur parvient à mettre la main sur un élément de preuve capital (la fameuse enveloppe "Beverley Hills" écrite à son amie Susan Berman) ... et qu'il prend la décision - selon moi, totalement insensée - de la mettre sous scellés et dans un coffre. "Pour un mois", précise-t-il dans son documentaire. Tiens, le réalisateur se prend pour un flic et décide visiblement de faire justice lui-même !
Dans la séquence d'après, il présente cette fameuse pièce à conviction à la procureure en charge de coincer Durst depuis 1982, mais la temporalité pose question.
Jarecki a -t-il présenté cette pièce à conviction et à charge, immédiatement après sa découverte ? Impossible de répondre à cette question.
Malaise.La temporalité documentaire semble primer sur la temporalité judiciaire. Le scoop, plutôt que l'exigence éthique et juridique de communication des preuves, qui permettraient de mettre Durst à l'ombre, pour le meurtre de son amie Susan, abattue d'une balle dans la tête.
6 - Des aveux en or sur un plateau en argent massif
Lorsque cette fameuse lettre de "Beverley Hills" est découverte, Andrew Jarecki réalise soudain qu'il s'est fait berner. Depuis le début. Comme un bleu. Mais que surtout, il doit trouver le moyen de coincer Durst, dans un ultime entretien. Sauf qu'on ne la fait pas à ce vieux rusé, qui flaire certainement le traquenard et mène Jarecki et son équipe en bateau. L'affaire semble compromise, mais un événement improbable va venir précipiter les choses : Durst est arrêté pour n'avoir pas respecté une injonction d'éloignement et lorsqu'il sort de prison, se met en tête de recontacter le réalisateur.
Une stratégie est mise au point, pour confronter celui qui est désormais à l'évidence un tueur multirécidiviste.
Seconde interview : Robert Durst a changé de visage. Il a perdu de sa superbe et semble fatigué. Il parvient pourtant à déjouer les pièges tendus par le réalisateur et lui fait l'affront suprême de nier l'évidence qui s'offre pourtant à lui : l'écriture sur l'en-tête de la lettre adressée à Susan Berman et la note écrite à la police signalant un "cadavre" sont la même. La sienne. Le vieux rote à la gueule du réalisateur, comme un aveu de ce qui le submerge, qu'il ne peut plus contenir.
Et dans un final aussi rocambolesque que le season finale d'une grande série à l'américaine, Robert Durst se rend aux toilettes, micros ouverts et marmonne : "Qu'est-ce que j'ai foutu ? ... Je les ai tous tués !".
Des aveux en or, sur un plateau en argent massif.
Trop beaux pour être recevables lors du procès de Robert Durst ? Toujours est-il qu'au terme de ce documentaire hors-normes, Andrew Jarecki a été appelé à la barre comme témoin et que son film Love & Secrets, qui avait pourtant été un flop commercial, est en passe de devenir une pièce à conviction maîtresse dans le cadre du procès de Robert Durst.
Mais mon intuition me dit que le bon vieux psychopathe s'en sortira.
Encore une fois.