Un voyage dans les vestiges de l'ère industrielle socialiste

Sortie en 2021, The Last Socialist Artefact est une série croate produite par HRT (Hrvatska Radiotelevizija) qui explore la lente désintégration de l’héritage industriel de l'ex-Yougoslavie. Adaptée du roman No-Signal Area de Robert Perišić, la série se distingue par son mélange de drame social, de comédie noire et de critique politique, tout en capturant l'esprit d'une époque révolue et les espoirs déçus des générations post-socialistes. En six épisodes, elle raconte l’histoire de deux hommes de Zagreb qui arrivent dans une petite ville déchue, autrefois prospère grâce à une usine de turbines, avec l’ambition de la relancer.


The Last Socialist Artefact parvient à capter avec finesse l’essence des luttes contemporaines dans les pays des Balkans post-socialistes. La série, à travers ses personnages attachants et son humour sombre, mêle nostalgie et critique sociale pour offrir un portrait captivant des restes de l'utopie industrielle socialiste, tout en posant des questions sur l’avenir et le désespoir des petites communautés laissées pour compte. The Last Socialist Artefact est une série à la fois profondément locale, ancrée dans les réalités des Balkans, et universelle dans son exploration des défis du capitalisme tardif, de la désindustrialisation et de l’identité collective.


Le cœur de la série réside dans la mission apparemment impossible de deux personnages, Oleg et Nikola, de relancer une usine abandonnée dans une ville post-industrielle dévastée, symbole de la grandeur perdue de l'ère socialiste. L’usine en question fabriquait autrefois des turbines de renommée mondiale, mais le temps a passé, la ville s'est éteinte, et ses habitants ont sombré dans l'apathie et le désespoir. Lorsque Nikola et Oleg arrivent, ils rencontrent une communauté désillusionnée, confrontée à la perte de son identité et de son sens du collectif.


Les deux hommes, qui viennent de Zagreb avec la promesse de l'investissement d’un mystérieux acheteur, ne sont pas des sauveurs héroïques. Au contraire, ils sont pleins d’incertitudes, de défauts, et eux-mêmes sceptiques quant à la réussite de leur mission. Cependant, leur ténacité et leur charisme les poussent à motiver la communauté, à rallumer une lueur d'espoir dans les cœurs des ouvriers qui sont encore là, comme des fantômes du passé.


La ville elle-même, avec ses bâtiments délabrés, ses rues vides et son atmosphère grise, devient un personnage à part entière. Ce décor austère, chargé de l’histoire de l’industrialisation et de la désindustrialisation, est filmé avec soin, révélant à la fois sa beauté et sa désolation. La série utilise cette toile de fond pour aborder des thèmes profonds liés à la désintégration du rêve socialiste, la trahison des promesses économiques, et l’impact humain de ces transformations sur une communauté qui autrefois prospérait grâce à l’industrie.


L'une des grandes forces de The Last Socialist Artefact est son habileté à mélanger plusieurs tons et registres. La série oscille constamment entre la comédie noire, qui se moque des absurdités bureaucratiques et de la naïveté de certains personnages, et le drame social, qui explore les réalités du quotidien dans une ville post-industrielle abandonnée. Cette combinaison de légèreté et de gravité permet à la série de maintenir un équilibre délicat entre l’humour et la tragédie, créant une expérience narrative riche en émotions.


Le personnage de Nikola, incarné par Tihana Lazović, est au centre de cet équilibre. En tant que figure principale de la relance de l'usine, il est à la fois optimiste et pragmatique, mais souvent dépassé par les défis logistiques et humains auxquels il est confronté. Oleg, de son côté, interprété par Pavle Čemerikić, est plus désillusionné et sarcastique, apportant un contrepoint comique aux efforts de Nikola. Leur dynamique, parfois conflictuelle, mais toujours empreinte d’une solidarité tacite, crée une tension dramatique qui fait avancer l'intrigue.


Les habitants de la ville, quant à eux, sont à la fois des caricatures et des figures tragiques, représentatives de ceux qui ont été laissés pour compte par l'effondrement de l'industrie et la transition vers un capitalisme précaire. Ces personnages secondaires, souvent drôles dans leur désespoir ou leur cynisme, apportent une richesse supplémentaire à l’intrigue. La série parvient à rendre hommage à leur humanité tout en exposant les absurdités de leur situation, coincés entre un passé glorieux et un futur incertain.


The Last Socialist Artefact aborde des thèmes puissants, ancrés dans la réalité de la Croatie post-yougoslave, mais aussi pertinents pour d'autres pays ayant traversé des processus similaires de désindustrialisation. L’usine de turbines, autrefois source de fierté nationale et symbole du progrès socialiste, est maintenant un vestige rouillé, une relique d'un temps révolu où le collectif et le travail industriel étaient glorifiés. La série utilise cette usine comme métaphore de la désillusion qui a suivi l'effondrement du bloc de l'Est et la transition vers une économie de marché capitaliste.


L’un des aspects les plus poignants de la série est sa capacité à explorer la manière dont cette transition a affecté les individus et les communautés. Les personnages de la ville sont des héritiers d’un rêve brisé, vivant dans les ruines d’un projet économique qui n’a jamais atteint son plein potentiel. L'enthousiasme initial de certains ouvriers lorsqu'ils entendent parler de la relance de l’usine contraste avec leur profond scepticisme, nourri par des décennies de promesses non tenues et d'abandons répétés.


À travers cette histoire de tentative de redémarrage industriel, la série pose des questions sur la viabilité de ces tentatives de réindustrialisation dans un monde globalisé où les industries lourdes ne trouvent plus leur place. Les personnages de Nikola et Oleg, bien que sincères dans leurs efforts, semblent parfois se battre contre des forces plus grandes qu'eux, que ce soit la mondialisation, l’économie de marché ou même la simple obsolescence de l’industrie en question. The Last Socialist Artefact soulève ainsi des interrogations importantes sur la manière dont ces anciennes nations industrielles peuvent se reconstruire ou trouver de nouvelles identités dans un monde post-industriel.


Bien que critique, The Last Socialist Artefact n’est pas uniquement une dénonciation des échecs du socialisme ou du capitalisme. Il y a dans la série une certaine nostalgie pour l’époque où l’usine fonctionnait à plein régime, où la communauté était unie par un objectif commun, et où le travail industriel représentait quelque chose de noble et de valorisé. Cette nostalgie est omniprésente, non seulement dans les dialogues des personnages, mais aussi dans la manière dont la série filme les machines rouillées, les hangars vides, et les visages fatigués des anciens ouvriers.


Cette nostalgie n'est pas naïve. La série ne glorifie pas l’époque socialiste, mais elle reconnaît l’importance du travail, du collectif, et de la fierté que l'on pouvait ressentir dans une société industrielle structurée. En même temps, The Last Socialist Artefact explore les réalités économiques et politiques d’aujourd'hui, où ces idéaux semblent hors de portée, et où les communautés post-industrielles doivent naviguer entre désillusion et survie.


Visuellement, The Last Socialist Artefact est un plaisir à regarder. La série capture magnifiquement les paysages industriels dévastés et les petites villes en déclin, créant une atmosphère à la fois mélancolique et saisissante. La photographie, souvent froide et minimaliste, renforce l'impression de désolation tout en rendant hommage à la grandeur passée de ces espaces industriels.


Le montage est fluide et soutient bien la progression de l'intrigue, alternant entre moments de tension dramatique et scènes plus légères où l'humour noir prend le dessus. La série utilise également des moments de silence et de contemplation pour laisser respirer ses personnages et ses décors, renforçant l'immersion du spectateur dans cet univers à la fois familier et étrange.


La bande-son, subtile et bien choisie, accompagne parfaitement les moments clés de la série, ajoutant une dimension émotionnelle supplémentaire sans jamais être envahissante. Elle contribue à l’atmosphère à la fois nostalgique et critique qui caractérise la série, rappelant l'héritage d'une époque révolue tout en laissant entrevoir l'incertitude du présent.


The Last Socialist Artefact est une série captivante qui parvient à combiner une réflexion profonde sur l’héritage industriel post-socialiste avec une intrigue dramatique humaine et touchante. Grâce à ses personnages bien développés, son mélange de comédie noire et de drame social, et sa réalisation soignée, la série offre un portrait poignant et réaliste d'une communauté en quête de renouveau dans un monde en constante mutation.


En abordant des thèmes universels tels que la désindustrialisation, la perte d'identité collective, et les promesses déçues du capitalisme, The Last Socialist Artefact parvient à toucher un public bien au-delà de la Croatie et des Balkans. C'est une série qui allie habilement critique sociale et nostalgie, tout en posant des questions essentielles sur la manière dont les sociétés post-industrielles peuvent se réinventer face à des défis économiques et sociaux toujours plus complexes.

CinephageAiguise
8

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures séries de 2021

Créée

il y a 10 heures

D'autres avis sur The Last Socialist Artefact

The Last Socialist Artefact
akaratlan-dallam
9

Yougonostalgie

Dans cette série adaptée du roman les Turbines du Titanic, de Robert Perišić, deux hommes d'affaires de Zagreb, Oleg et Nikola, débarquent dans une ville perdue des Balkans, pour relancer une usine...

le 9 nov. 2023

2 j'aime

The Last Socialist Artefact
themadcat
8

Une réussite mélancolique

Passionnant portrait d’un village croate marqué par l’héritage de la guerre et de l’ère soviétique et convoité par les investisseurs étrangers, The Last Socialist Artefact vaut aussi par la justesse...

le 10 juil. 2023

2 j'aime

Du même critique

Portrait de la jeune fille en feu
CinephageAiguise
8

Une histoire d’amour enflammée par le regard et le silence

Sorti en 2019, Portrait de la jeune fille en feu est un film réalisé par Céline Sciamma, qui a su se distinguer dans le cinéma français contemporain avec une œuvre à la fois poétique, sensuelle et...

il y a 4 heures

Le Chant du loup
CinephageAiguise
7

Un thriller sous-marin haletant, porté par le réalisme et la tension

Sorti en 2019, Le Chant du loup est le premier long métrage d'Antonin Baudry (sous son pseudonyme Abel Lanzac), qui a su s'imposer dans le cinéma français avec un thriller sous-marin captivant et...

il y a 4 heures

Les Misérables
CinephageAiguise
9

Une fresque sociale percutante et actuelle sur les tensions des banlieues

Sorti en 2019, Les Misérables, réalisé par Ladj Ly, s’est rapidement imposé comme un film marquant du cinéma français contemporain. Inspiré des émeutes de 2005 et de l’expérience personnelle du...

il y a 4 heures