Et si votre psychologue profitait de votre détresse afin de s'immiscer dans votre vie jusqu'à l'accaparer pendant des décennies ?
Poussé par sa soeur Phyllis (Kathryn Hahn) témoin d'une de ses énièmes crises d'angoisse, Martin "Marty" Markowitz (Will Ferrell) accepte de consulter le docteur Isaac "Ike" Herschkopf (Paul Rudd) pour enfin retrouver confiance en lui-même et assumer les responsabilités que tous attendent de lui au sein de l'entreprise familiale dont il a la charge. En entrant dans la salle d'attente du thérapeute, ce géant naïf, incapable d'embrasser l'image d'adulte responsable laissée en héritage par son père, est bien loin de se douter qu'il est sur le point de se retrouver sous la coupe d'un homme en proie à des désirs d'ascension sociale insatiables, lui-même victime d'une figure paternelle trop imposante.
Basée sur des faits bien réels, cette rencontre de deux hommes aux défaillances à la source finalement similaire mais que chacun a une façon bien différente de gérer va déboucher sur une relation toxique tout bonnement incroyable où le docteur Ike va progressivement vampiriser l'existence de Marty jusqu'à en faire un pantin idéal pour atteindre les hautes sphères qu'il pense tant mériter.
Même si elle n'évite pas quelques facilités scénaristiques ici et là (dont, au départ, des flashforwards aguicheurs servant uniquement à appâter le spectateur sur l'inévitable point de rupture entre le psy et sa victime), "The Shrink Next Door" va être évidemment une minisérie passionnante à suivre quant à la construction de l'ascendant total que le docteur Ike va prendre sur Marty.
La personnalité ambivalente de ce praticien est déjà un bel atout en soi, celui-ci se persuadant réellement et en permanence que sa bienveillance vis-à-vis de Marty repose sur des intentions sincères alors que ses agissements de plus en plus dirigés vers lui-même ne font que prouver le contraire, mais la montée en puissance de son emprise sur son patient reste le moteur le plus incontestablement fascinant de la série. Là où un point de vue extérieur ne verrait que de simples excentricités thérapeutiques faire leur apparition lors de leurs premières séances en commun, la relation de dépendance entre les deux hommes est en réalité déjà scellée : Marty a trouvé les encouragement du meilleur ami idéal qu'il n'a jamais eu pour imaginer guérir pendant que les regards du docteur Ike sur ce qu'il pourrait tirer de l'innocence de son patient se font toujours plus envieux.
De la rupture avec le peu d'entourage qu'il lui restait à l'appropriation de ses biens matériels dans des proportions ahurissantes, la main mise du docteur Ike sur Marty ne fera que s'étendre, ne trouvant sur sa route que de rares obstacles comme quelques éclairs de lucidité de sa victime rapidement balayés par une nouvelle manipulation de son ami/bourreau qui y trouvera toujours un outil parfait pour renforcer encore un peu plus son influence.
C'est d'ailleurs en ça que "The Shrink Next Door" frappe le plus fort, en s'attachant à chacun des paliers du malaise exponentiel de cette "amitié" improbable -où chaque potentiel échappatoire de Marty se retourne invariablement contre lui grâce à un subterfuge consolidant le bien-fondé de sa condition soumise- tout en parvenant à conserver un regard crédible sur les personnalités extravagantes (et malgré tout très touchantes) qui la régissent, et ce sans se départir d'une bonne dose d'humour noir induit par le caractère extraordinaire de la situation.
Bien sûr, même si ce rapport de domination va s'étaler sur une durée sidérante et atteindre des dimensions d'aliénation qui laissent pantois, renvoyant Marty toujours plus loin dans les cordes de son impuissance face à ce parasite et le mirage de la relation d'égal à égal qu'il pense avoir avec lui, la multiplicité des affronts encaissés au fil du temps finira à un moment ou à un autre par ouvrir les yeux du pauvre homme sur la réalité de leur complicité. Là encore, jusque dans ces derniers instants, la série abordera avec une vraie justesse de ton cette longue phase transitoire et difficile où Marty devra faire face au Docteur Ike pour s'en détacher et peut-être enfin prendre l'ascendant sur celui auquel il a voué sa vie durant des décennies. Dès lors, il suffira d'une ultime rencontre (excellente séquence finale) pour nous rendre compte que, pendant que l'un aura véritablement grandi dans l'adversité, l'autre aura préféré épouser complètement les œillères qu'il avait choisi de sciemment revêtir sur la vérité de son comportement nauséabond...
Il est impossible de conclure sur "The Shrink Next Door" sans aborder le talent de ses comédiens auxquels la qualité de cette minisérie doit énormément.
En prenant à revers ces personnages de grands enfants excessifs qui ont fait sa renommée comique au box-office, Will Ferrell fait figure ici de choix idoine pour incarner avec sobriété leur part la plus réaliste de clown triste, seul et inadapté au monde moderne qui s'exprime chez Marty (un visage qu'il avait déjà par exemple dévoilé dans "L'Incroyable Destin d'Harold Crick"). Face à lui, un excellent Paul Rudd joue habilement sur son naturel affable pour y laisser transparaître toute l'ambiguïté malveillante de ce thérapeute ou faire éclater sa soif à jamais inassouvie d'ambitions lorsqu'il se retrouve entouré de ceux qu'ils voudraient être ses pairs.
Au milieu de ce duel ô combien savoureux d'interprètes masculins, les seconds rôles féminins ont également une importance capitale à jouer : la toujours décidément géniale Kathryn Hahn en sœur extravertie et pétrie de contradictions (car elle-même très dépendante de son frère) sera finalement celle qui poussera inconsciemment Marty dans les bras de son prédateur à son grand désarroi (chacune de ses apparitions, notamment ses interactions avec Paul Rudd sont un régal !) et Casey Wilson en épouse au fait des actes de son psy de mari mais choisissant à chaque fois d'en ignorer volontairement la véritable portée sera aussi un personnage intéressant à suivre mais hélas peut-être un peu trop laissée au second plan là où il y aurait eu parfois la matière à la confronter plus directement à son binôme.
Dans tous les cas, ce quatuor d'acteurs, dominé par la partition sans failles du duo Ferrell/Rudd, est le casting parfait pour accompagner la création de Georgia Pritchett vers le meilleur de cette abracadabrantesque "bromance" psychologique qui, espérons-le, sortira un peu de son anonymat au moment d'éventuelles nominations en vue de récompenser ses interprètes, ceux-ci les méritent incontestablement en tout cas.