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Une fresque historique poignante et visuellement saisissante

Sortie en 2021 sur Prime Video, The Underground Railroad est une série événement réalisée par Barry Jenkins, le réalisateur acclamé de Moonlight et If Beale Street Could Talk. Adaptée du roman éponyme de Colson Whitehead, lauréat du prix Pulitzer, cette mini-série en dix épisodes explore une période sombre de l'histoire américaine : celle de l'esclavage. Mais au lieu de suivre une narration classique, Jenkins et Whitehead prennent une approche singulière, en introduisant des éléments de réalisme magique pour réimaginer le chemin de fer clandestin, un réseau historique d'évasion pour les esclaves, comme une véritable ligne ferroviaire souterraine. La série aborde des thèmes profonds de survie, de liberté et de résilience, tout en plongeant le spectateur dans une expérience sensorielle unique.


The Underground Railroad parvient à équilibrer l’horreur brutale de l’esclavage et la beauté visuelle caractéristique de Jenkins. Portée par des performances puissantes, notamment celle de Thuso Mbedu dans le rôle principal de Cora, la série se démarque par son ambition narrative et sa réalisation minutieuse. Cependant, certains spectateurs pourraient trouver son rythme contemplatif et sa violence émotionnellement épuisante, ce qui empêche la série de plaire à tous. Malgré cela, The Underground Railroad est une œuvre incontournable, à la fois pour sa relecture artistique de l’histoire et son traitement nuancé des traumatismes.


The Underground Railroad suit l’histoire de Cora, une jeune esclave qui s’échappe d’une plantation en Géorgie à la recherche de la liberté. Accompagnée par Caesar, un autre esclave, elle découvre que le chemin de fer clandestin est littéralement une ligne ferroviaire souterraine, complète avec des tunnels, des stations et des conducteurs. Cette interprétation imaginative du réseau d’évasion symbolise le désir universel de s’échapper des chaînes de l'oppression et de créer un monde nouveau, un thème central tout au long de la série.


Ce choix narratif de fusionner l’histoire et la fiction fantastique permet à Barry Jenkins d’explorer des thèmes profonds d’espoir et de résistance d'une manière singulière. En transformant un réseau historique en une véritable infrastructure souterraine, The Underground Railroad crée une métaphore puissante du chemin difficile et souvent incompréhensible vers la liberté. Les voyages de Cora à travers les États-Unis, de la Géorgie à l’Indiana en passant par la Caroline du Sud et le Tennessee, deviennent autant de chapitres symboliques qui illustrent les différentes formes d'oppression et les complexités de la vie des Noirs dans l’Amérique du XIXe siècle.


Cependant, ce réalisme magique n’est jamais gratuit ni excessif. Jenkins l’utilise avec subtilité pour enrichir le récit sans le détourner de sa gravité. Les moments de magie apparaissent presque comme des respirations dans une réalité terriblement dure. Ils permettent au spectateur de faire face aux horreurs de l'esclavage tout en offrant une échappatoire, une alternative onirique à l’oppression omniprésente. Mais cette alternance entre la violence brute et les moments plus poétiques peut également déconcerter certains spectateurs, qui peuvent se sentir déstabilisés par le contraste parfois abrupt entre ces deux registres.


Au cœur de The Underground Railroad se trouve la performance de Thuso Mbedu, qui incarne Cora avec une intensité et une vulnérabilité saisissantes. Cora est une héroïne complexe, qui porte en elle une rage contenue et un profond désir de liberté, tout en étant marquée par les traumatismes de l’esclavage et la peur constante de la capture. Mbedu parvient à transmettre toutes ces nuances à travers un jeu subtil et puissant, rendant son personnage à la fois poignant et inoubliable.


La relation entre Cora et Caesar, joué par Aaron Pierre, est également l’un des piliers émotionnels de la série. Caesar, plus éduqué et stratège, incarne une autre facette de la lutte pour la liberté. Sa décision d'emmener Cora avec lui dans sa fuite montre la solidarité et le courage nécessaires pour survivre dans un monde où la vie des Noirs n'a aucune valeur aux yeux des propriétaires de plantations. Aaron Pierre apporte une douceur et une gravité à son rôle, créant un personnage tout aussi mémorable que Cora.


La série est également marquée par la présence inquiétante de Ridgeway, joué par Joel Edgerton. Ridgeway est un chasseur d'esclaves implacable, déterminé à retrouver Cora à tout prix. Son personnage incarne le visage déshumanisant du système esclavagiste et la cruauté institutionnalisée de l’Amérique de cette époque. Edgerton livre une performance intense, où il parvient à rendre Ridgeway à la fois terrifiant et étrangement captivant. Son obsession pour la capture de Cora devient une métaphore des mécanismes de contrôle et de domination qui perdurent au-delà de l’esclavage.


L’actrice Sheila Atim, qui interprète Mabel, la mère de Cora, offre également des moments bouleversants, malgré une présence limitée à l’écran. Les scènes qui traitent de l’héritage de Mabel et de son influence sur la vie de Cora ajoutent une profondeur supplémentaire au récit, soulignant la manière dont le traumatisme se transmet d'une génération à l'autre, même en l’absence.


Barry Jenkins, connu pour son talent visuel et sa capacité à capturer la beauté dans des moments de souffrance, ne déçoit pas avec The Underground Railroad. La série est visuellement époustouflante, chaque plan étant soigneusement composé pour accentuer l’atmosphère lourde et poétique du récit. La caméra de Jenkins capte aussi bien les vastes paysages du Sud américain que les moments intimes entre les personnages, avec une attention aux détails qui transforme chaque scène en une œuvre d’art à part entière.


La photographie de James Laxton, collaborateur régulier de Jenkins, joue un rôle essentiel dans la création de cette atmosphère immersive. Les couleurs, les jeux de lumière, et l'utilisation des ombres et des contrastes renforcent la dichotomie entre l’espoir et la terreur, entre la beauté et l’horreur. Par exemple, les scènes se déroulant dans les souterrains du chemin de fer sont filmées avec une lumière tamisée, presque mystique, tandis que les scènes de violence sur les plantations sont crues et directes, plongeant le spectateur dans une réalité brutale et inévitable.


L'utilisation des paysages naturels, des vastes champs de coton aux forêts menaçantes, joue également un rôle symbolique dans la série. Le Sud des États-Unis devient à la fois un espace de captivité et un espace de fuite, un territoire de domination mais aussi un lieu de possible émancipation. Jenkins capture la beauté du Sud avec une profondeur tragique, rappelant que ces paysages, aussi pittoresques soient-ils, sont le théâtre d'atrocités inimaginables.


Si The Underground Railroad est visuellement superbe et narrativement ambitieuse, elle n’en reste pas moins une série difficile à regarder, en raison des thèmes qu’elle aborde et de la violence qu’elle dépeint. Jenkins ne cherche pas à adoucir la réalité de l'esclavage, et certaines scènes de brutalité sont extrêmement dures. Cela peut rendre le visionnage émotionnellement éprouvant, et de nombreux spectateurs pourraient trouver la série difficile à suivre d’un bout à l’autre en raison de cette intensité constante.


De plus, le rythme de la série, souvent lent et contemplatif, peut être perçu comme un obstacle pour certains. Jenkins prend le temps d'explorer chaque moment, chaque interaction, ce qui permet de plonger en profondeur dans les émotions des personnages, mais cela peut aussi entraîner un sentiment de longueur, notamment dans les épisodes centraux. Certains spectateurs, habitués à des récits plus rapides ou à des structures narratives plus classiques, pourraient trouver que la série manque parfois de dynamisme ou d’une progression plus linéaire.


Néanmoins, cette lenteur est aussi ce qui permet à The Underground Railroad de se distinguer des autres œuvres sur l’esclavage. Jenkins ne se contente pas de raconter une histoire de survie ; il interroge ce que signifie vraiment être libre dans un monde construit sur la subjugation des Noirs. La série prend son temps pour explorer les nuances du traumatisme, de la mémoire et de la rédemption, ce qui en fait une œuvre profondément méditative.


The Underground Railroad est une série ambitieuse qui réussit à capturer à la fois l'horreur de l'esclavage et la beauté résiliente des personnages qui luttent pour échapper à cet enfer. Grâce à une réalisation soignée, une esthétique époustouflante, et des performances d’acteurs exceptionnelles, la série se démarque comme une œuvre majeure dans la représentation historique et la relecture artistique du passé.


Cependant, son rythme lent, sa violence parfois insoutenable, et son mélange de réalisme magique et d'histoire pourraient ne pas plaire à tout le monde. Cela dit, pour ceux qui cherchent une série profonde, émotive et visuellement envoûtante, The Underground Railroad est une œuvre incontournable, une exploration essentielle des ténèbres de l’histoire américaine et de la force du désir humain de liberté.

CinephageAiguise
8

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Créée

il y a 10 heures

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