Amateur irrégulier de fantasy, particulièrement en matière cinématographique, télévisuelle et vidéoludique, je ne connaissais cependant que vaguement la licence The Witcher, pour avoir entendu des proches me louer la qualité de ses jeux vidéos. C'est ainsi sans attentes particulières mais avec un relatif enthousiasme que je décidais de découvrir cette série Netflix promettant, parait-il, d'assumer un rapport moins tiède au fantastique que l'illustre prédécesseure télévisuelle qu'elle ambitionnerait, d'après certains, de détrôner. Si GoT a en effet eu le mérite de réhabiliter avec brio un genre souvent méprisé, ce fut cependant au pris d'une relative frilosité dans son traitement du surnaturel et plus spécifiquement de la magie, plus souvent évoquée que véritablement exposée. Bien que, depuis la trilogie LotR, les formats cinématographiques et télévisuel next-gen assument aujourd'hui sans peine l'intégration d'un bestiaire fantastique aux épopées médiévales qu'ils sont susceptibles d'accueillir, la figure du mage convoquant une boule de feu - motif archétypal de la fantasy dans ses déclinaisons littéraires et vidéoludiques - se voit quant à elle le plus souvent soigneusement évitée (à l'image d'un Gandalf qui, en dépit de son charisme ne dispose guère d'autre pouvoir que celui de servir de lampe torche). Loin de servir la mise en image d'univers fantastiques paradoxalement expurgés de magie, une telle timidité dans la représentation de l'occultisme s'est en fait avérée en servir largement la cause, conférant aux arcanes de la sorcellerie le charme de la rareté et du mystère. Comme beaucoup cependant, c'est convaincu que ce ressort, un temps efficace et judicieux, se trouvait aujourd'hui largement éculé, réclamant par la même l'avènement d'un genre enfin prêt à pleinement s'assumer sur nos écrans, que je me lançais dans le visionnage du dernier show de Netflix. Joueur de mages invétéré dans les RPG, le visionnage d'une série fantastique à gros budget dans un univers télévisuel post Game of Thrones, me promettait un divertissement aussi spectaculaire que malin, aussi grandiose que léché... Hélas quelle ne fut pas ma déception…
1) Une direction artistique médiocre :
Le parti pris esthétique de la série ne frappe pas au premier abord. Et pour cause, après un visionnage entier de cette première saison, de parti-pris esthétique l'on ne trouvera nullement. Convenus, les environnements intérieurs comme extérieurs feraient l'affaire de n'importe quelle série médiévale dans quelque région que ce soit. Soit. Le choix fort d'une esthétique scandinave aurait sans doute conféré une identité visuelle à la série permettant d'en singulariser les ambitions au sein du genre fantastique (à l'instar de ce qu'a pu être Skyrim en matière de RPG par exemple), mais cette déception ne paraît pas insurmontable.
Oui mais voilà, cette absence d'ambition esthétique définie s'avère plus grave qu'elle n'y paraît immédiatement. Si la photographie reste digne des standards d'une série next gen, et bien que les chorégraphies de combat du premier épisode surprennent agréablement, au fil de la saison s'impose l'évidence d'une laideur généralisée de l'ensemble des autres aspects de la série, de la bande originale (anachronique) jusqu'aux dialogues (affligeants) en passant par les effets spéciaux (médiocres pour l'époque) et la mise en scène (souvent paresseuse, parfois carrément grotesque). En outre, si les environnements offerts par l'Europe de l'Est sauvent les scènes d'extérieur, ils restent trop rarement sublimés par une réalisation convenue. La palme de la laideur revient cependant indéniablement aux costumes - plus spécifiquement à ceux de la sorcière Yennefer et aux soldats de Nilfegaard (malgré la prestation également honorable en cette matière du barde Jaskier) - qui ruinent ainsi notre espoir de voir pleinement assumées les potentialités magiques de la fantasy, sans l’embarrasser de tout le kitch de ses précédentes adaptations télévisuelles des années 90.
2) Une narration superficielle (Attention cette seconde partie spoil généreusement l'intrigue) :
A l'inverse d'autres commentateurs critiques, la découverte de ce que la série se déployait autour de trois personnages, non pas uniquement éloignés géographiquement, mais pris dans des lignes temporelles différentes, m'a initialement paru une originalité bienvenue. Le fait que la chose soit progressivement amené à l'intuition du spectateur, plutôt qu'explicitée d'emblée, incite ce dernier à jeter un regard renouvelé sur les péripéties déjà visionnées, ouvrant la voie à une résolution non linéaire du puzzle proposé. Un telle option offre en outre au spectateur d'appréhender de manière beaucoup plus complète (non seulement spatialement mais chronologiquement) l'univers dans lequel il se trouve plongé, sans recourir aux ficelles surannées du flash-back. Aussi se prend-on a regretter que cette possibilité soit relativement gâchée par la grande stabilité du monde que traversent les trois trames temporelles que nous sommes amenées à suivre. Finalement assez rapprochées et d’emblée vouées à se rattraper, rien ne sépare vraiment les trois époques sur le plan social, politique ou magique.
Le prix de cette originalité se révèle cependant particulièrement élevé. Destinés à converger vers le plus actuels d'entre-eux (celui de Ciri), les différents horizons chronologiques dans lesquels se situe l'action progressent ainsi à des vitesses très inégales. Tandis que l'interminable course de la jeune princesse en fuite, qui l'occupe tout au long de la saison, se décline sur quelques jours, les épopées de Géralt et Yennefer se déploient – à grand renfort d'ellipses - respectivement sur plusieurs années et sur plusieurs décennies, pour un présence à l'écran à peu près égale. Le flou entretenu initialement sur les temporalités (leur situation chronologique, mais aussi leur vitesse de progression) laisse ainsi l'impression persistance que les pérégrinations du Witcher et de la magicienne se déroulent chacune à une vitesse folle, enchaînant les aventures et les rencontres, cependant que boucle d'or (Ciri) ne fait que progresser péniblement dans les bois. Si le spectateur se retrouve en conséquence à soupirer d'ennui chaque fois que la série en revient à ce personnage, ce n'est pourtant pas elle qui pâtit le plus de cette volatilité de la temporalité.
En effet aussi dynamiques et divertissants qu'ils soient en regard de ce que propose les déambulations de Ciri, les arcs de Géralt et Yennefer se voient privés de toute épaisseur narrative, et donc de toute substance psychologique. Les deux protagonistes se liant profondément et s'éloignant brutalement, par exemple, d'autres personnages – amis ou amants – en moins de temps qu'il n'en faut au spectateur pour constater leur rapprochement. La série enchaîne ainsi les scènes d'expositions sans âmes - où se nouent et se dénouent pourtant les destins de nos héros – comme autant de passages obligés, successions de saynètes maladroites mais nécessaires à la progression au pas de course du récit. Ainsi, à l'issue du premier épisode, après une nuit de galipettes, un combat d'épées, un décès brutal et, en tout et pour tout, une poignée de minutes à l'écran avec Rentri, correspondant à une poignée d'heures dans la temporalité du récit, le taiseux Witcher se retrouvera-il hanté jusqu'à la fin de la saison par cette histoire d'amour éclaire. L'éclosion, le développement puis la fin des relations amoureuses respectives de Géralt et Yennefer sont en effet systématiquement expédiés en un ou deux épisodes, y compris en ce qui concerne leur histoire commune : après s'être enfin rencontré dans un épisode 5 qui voit Géralt contrecarrer les plans d'une Yennefer dévorée par son désir de puissance, ils mettent fin à leur looongue et passionnelle relation épisodique (mais qu'on aura littéralement pas vu passer), durant l'épisode 6 dont on comprend à cette occasion que quelques années au moins le séparent du précédent.
Un tel empressement dans le développement des arcs narratifs ne permet dès lors pas de traiter convenablement la personnalité des personnages et leur évolution. Les linéaments les plus fondamentaux de leur psyché sont ainsi coutumièrement pris brutalement en défaut par le show :
-> Après avoir exploré sur plusieurs épisodes la genèse d'une Yennefer narcissique, misanthrope et avide de pouvoir, la série la leste brutalement d'une impérieuse envie de maternité, puis la conduit à s'engager corps et âme (à la faveur d'une facilité scénaristique invraisemblable) dans une bataille à laquelle elle n'a rien à gagner. Même avec la meilleure volonté du monde, en s'efforçant de se rappeler que ces revirements portent en réalité la marque des années qui s'écoulent entre les épisodes, la rapidité avec lesquels ils se déploient concrètement sur notre écran les rend particulièrement indigestes.
-> De la même manière, notre taciturne Witcher - dont les histoires d'amours étalées sur plusieurs années se trouvent ramassées en une poignée d'épisodes - passe pour un inconsistant coeur d'artichaut. Pire, peu bavard, mais, poussé par un âme étonnement généreuse à prendre systématiquement le parti de la veuve et l'orphelin, Géralt ne s'avère pas tellement moins monolithiquement vertueux que le super-héros en slip rouge duquel il partage l'interprète. Au mieux pourrait-on éventuellement y reconnaître un Batman médiéval, mais nettement moins sombre que celui de Nolan. Certes il tue parfois du vilain, mais c'est toujours en dernier recours, et sans doute faute d'un système judiciaire auquel livrer les criminels. Les scénaristes ont bien essayé de lui faire abattre un faon blessé en tout début de saison pour asseoir sa réputation de dur à cuir… à la réflexion cela laissait présager du désastre à venir... En son temps déjà, Xena la guerrière semblait plus borderline. Après Game of Thrones, voir la fantasy renouer avec des personnages aussi archétypaux paraît difficilement pardonnable.
3) Une intrigue indigente (spoil toujours)
Un royaume sudiste attaque un royaume nordique, sans aucun autre motif affiché que la capture d'une jeune princesse ayant hérité du don de crier super fort. Ayant réalisé un bon démarrage celui-ci poursuit sur sa lancée conquérante en direction des royaumes suivants. Loin de tout calcul géo-politique, la situation est en fait uniquement déterminée par le fait qu'une loi mystique - pourtant totalement indépendante des enjeux diplomatiques et d'ailleurs largement ignorée de la partie conquérante - ait été rompue, amenant ainsi la désolation sur les terres du Nord.
La volonté de ménager le mystère de l'intrigue ne saurait justifier une telle paresse scénaristique, d'autant que d'après nombre de lecteurs des nouvelles, les enjeux de l’œuvre s'avèrent bien plus fins. Bien des éléments restent sans doute à découvrir, mais l'on ne peut se satisfaire d'une première saison qui ne nous offre d'indications ni sur les motivations, ni sur la nature des belligérants.
In fine l'on se prend naturellement à soutenir les royaumes du Nord parce que d'une part la conquête c'est pas bien, et que d'autre part les sudistes de Nilfegaard ont l'air bien renfrognés et sont quand même très mal habillés.
Conclusion :
Alors qu'elle se déploit dans un ère télévisuelle nous ayant offert 8 saisons de Game of Thrones, The Witcher renoue obstinément avec toutes les tares des téléfilms fantasy des années 90, que la première semblait avoir définitivement relégué à un passé préhistorique. Louable dans son ambition d'assumer sans frilosité un univers fantastique, une direction artistique et narrative extrêmement maladroite conduit régulièrement la série de Netflix à se rapprocher d'avantage des donjons de Naheulbeuk (cf le calamiteux épisode 6) que d'une série des années 2010.
Si les déterminants de la débâcle paraissent multiples, une partie d'entre eux semblent tenir au choix malheureux d'une narration excessivement rapide et décousue. Naviguant d'ellipse en ellipse les arcs narratifs de Géralt et Yennefer installent les protagonistes de la série dans un horizon temporel distant de celui du spectateur, lequel voit défiler en quelques heures plusieurs décennies d'évolutions des personnages. De cet écart résulte l'impression d'une aventure éthérée, sans véritables enjeux dramatiques et incarnée par des personnages-fonctions, tels les PNJ des productions vidéoludiques. Loin de compenser la précipitation du reste du show, la longue fuite de la jeune Ciri - pêchant dans l'extrême inverse - n'offre aucun développement à une héroïne toute occupée à courir l'air hébétée. L'erreur fondamentale des scénaristes aura ainsi sans doute été de chercher à adapter un recueil de nouvelles plutôt que de s'attaquer directement au premier tome de la sage littéraire.
Ce constat autorise néanmoins à quelque réjouissance : les trois lignes temporelles s'étant rejointes, la seconde saison devrait ainsi éviter nombre des scories narratives de la première. N'ayant a priori plus de raison de recourir à l’ellipse, elle pourrait être l'occasion d'un travail décent sur la personnalité des personnages qui donnerait un peu de chair et d'épaisseur à leurs motivations comme à leurs relations. Adaptant non plus un recueil de nouvelles mais le premier tome de la série littéraire, les scénaristes devraient ainsi y être aidés par un récit qui s'annonce moins éparpillé dans le temps et l'espace. Croisons les doigts pour qu'une réaffectation de budget (mais où sont donc passé les 80 millions dont ne disposaient même pas les premières saison de GoT ?!) vienne en outre amoindrir la laideur kitch de l'ensemble. Ainsi serait-on en droit d'espérer un sursaut qualitatif qui lui permettent de ne pas rester un indécrottable nanar, tout juste bon à satisfaire un coupable plaisir régressif.