Cohle of Cthulhu
Du jour où j'ai appris l'existence d'une série policière portée par le duo d'acteurs McConaughey/Harrelson, j'avoue avoir été emballé dans la seconde. Cerise sur le gâteau, HBO chapeaute le tout. Vu...
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le 16 mars 2014
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“I don't sleep, I just dream” Rustin Cohle, True Detective, épisode 1, saison 1
True Detective est définie comme une anthologie de deux saisons de huit épisodes de 60 minutes chacune, sortie en 2014 pour la première et en 2015 pour la seconde, distribuée sur le premium network HBO. Cet article concerne la première saison, créée par Nic Pizzolatto, écrivain et scénariste de séries (The Killing) et dirigée par Cary Joji Fukunaga (Sin Nombre, Jane Eyre, prémices de son attrait et de sa clairvoyance pour retranscrire en image un univers sombre).
La saison une s’étale sur une période longue de 17 ans, avec trois temporalités : 1995, 2002 et 2012 qui correspond au temps présent. Elle suit deux détectives de la section criminelle de l’État de Louisiane, Rustin Cohle, Rust (Matthew McConaughey) et Martin Hart, Marty (Woody Harrelson). Ils enquêtent sur le meurtre d’une prostituée, Dora Lange, retrouvée morte en 1995, dans une mise en scène occulte, au pied d’un arbre gigantesque. Cet arbre, introduit dès la première séquence, donnera le ton sur la symbolique de la Nature, tantôt jungle, tantôt Eden, toujours envahissante, plus grande que les Hommes et leurs constructions industrielles en décrépitude. La Louisiane, avec son Bayou et ses raffineries, sera un support romantique pour notre voyage. Depuis mes trois visionnages de la série, j’ai la sensation étrange mais douce de connaître la Louisiane, comme si elle avait peuplé mes rêves. La Nature y est tellement sublimée du premier au dernier épisode par Cary Fukunaga qu’on en ressentirait presque la chaleur et l’humidité si caractéristiques du Bayou. Au cours du dernier épisode, il lui rend particulièrement hommage. Dans un long plan, on parcourt l’ensemble des scènes qui ont magnifié la dramaturgie, indice du deuil qu’il va falloir affronter, celui de la fin d’une série qui change un spectateur.
True Detective n’est pas un polar, ni un thriller. True Detective est une épopée philosophique, une traversée psychologique, orchestrée par un vrai détective qui sonde les âmes. Rust Cohle est notre guide. Il prend des allures de prophète qui conte notre humanité. Parler de True Detective, c’est avant tout parler de Rust. True Detective est une poésie, tant la forme soutient le fond, sur ce qui fait l’Homme. Elle interroge ce qui fait et défait la vérité, l’amour, l’espoir, la mort, les illusions, le destin... Tout y est sensible, autant la représentation de la Nature débordante que le chant des accents. Tandis que Rust, le poète, mûrit et tend vers la compassion, nous nous élevons. Nic Pizzolatto demande de la concentration et de l’énergie : un effort d’implication totale. Si le spectateur accepte le contrat, il ressort bousculé, pour le meilleur. Car derrière une façade noire, c’est bien la lumière et l’amour qui irradient
"Well, once, there was only dark. If you ask me, the light’s winning.” Rust (ep.8, Form and Void).
C’est là que repose la vraie enquête de True Detective : celle de la chasse à l’Homme.
Les apparences lui donnent celle d’un whodunit comme on en voit tant. Ces codes sont en réalité une surface pour un plus profond voyage, celui au plus près des méandres de l’Être.
Dans notre monde occidental très souvent caractérisé par sa perte de sens, cette série se donne l’ambition d’en fournir. Pas le droit à l'erreur ! Au risque de transformer une ambition en prétention. Force est de constater que cette ambition a fonctionné, au regard des récompenses qui l’entourent : scénario, réalisation, générique, jeu d’acteur... En tant que personne, j’ai évolué avec la série, en déplaçant pour mieux l’ajuster le curseur de la morale.
La première séquence inscrit la temporalité présente, en 2012 et l’usage des flashbacks sera ensuite savamment dosé et maîtrisé. L’enquête sur le meurtre de Dora Lange débute le 3 janvier 1995, date anniversaire de la mort de la fille du détective Rust Cohle. Alors séparé de sa femme depuis plus de quatre ans et affecté à la division de Louisiane, Rust est arrivé depuis 3 mois. Ancien Texan, ayant vécu en Alaska, il dégage une aura mystique dès sa première apparition. Il a un passé mystérieux, son dossier est toujours classé secret en 2012. On apprendra plus tard l’existence d’un autre Rust, lorsque celui-ci reprend sa couverture de Crash, une version antérieure de Rust, un narco infiltré, pour les besoins de l’enquête en 1995 (ep.4, Who goes there), en couverture dans un gang de motard du Texas lors d’un plan séquence magistral. Cette nouvelle dimension du personnage complète le rébus Cohle : l’origine de ses hallucinations (ep.3, Seeing Things), de son insomnie chronique et de ses addictions. Bon nombre d’énigmes ne seront pas dévoilées. On comprendra cependant que lui aussi est passé par des transformations, la perte de sa fille, sa couverture, les drogues... Rust a déjà suivi son parcours initiatique. À la trentaine, il l’a vécu plus vite que les autres. Il se connaît. Nic Pizzolatto nous raconte l’humanité de Rust : la clairvoyance s’acquiert, elle n’est pas innée.
Revenons à 1995, la première temporalité. Tout chez cet homme interpelle. Solitaire, minutieux, ses collègues le surnomment même le Tax Man en lien avec sa manie de tout noter, dessiner sur un grand carnet. Il fascine avec son regard perçant, ses gestes, sa droiture lorsqu’il marche lentement. Rust n’a de raison de vivre que son métier, son utilité, c’est là où il est très bon. Rust est pessimiste, anti-natalité mais n’a pas une prédisposition au suicide. Peu d’indices seront donnés, beaucoup de mystères resteront et cela suffira pour nous convaincre. Les autres personnages de la fiction, comme nous les spectateurs, sommes happés par son point de vue qu’il narre d’emblée au cours d’un monologue épique dans un espace qui sera propice aux ballades philosophiques : la voiture.
Rust “I'd consider myself a realist, alright? But in philosophical terms I'm what's called a pessimist... I think human consciousness is a tragic misstep in evolution... I think the honorable thing for our species to do is to deny our programming. Stop reproducing, walk hand in hand into extinction - one last midnight, brothers and sisters opting out of a raw deal.” (ep.1 The Long Bright Dark).
Quelque chose de grand est en train de se passer sur le petit écran. Le ton est donné. Qui est ce professeur, ce philosophe, ce poète ? Les dés sont jetés. Je reste. Advienne que pourra ! Je suis accro.
Rust forme un binôme avec Martin Hart. Marty est originaire de la région, il se présente comme un détective normal “a regular dude with a big ass dick” (ep.1), qualification révélatrice. Il est social, chaleureux, familier, marié à Maggie Hart (Michelle Monaghan), a deux filles aux tempéraments opposés. Qu’est-ce qu’un détective normal ? Un homme avec ses faiblesses peut-être, avec ses contradictions surtout. Il se revendique social, il est en fait autocentré. Il s’indigne face à la tenancière d’un bordel dans la campagne, qui emploie une mineure ; mais il n’est pas attentif avec sa femme. Il place la famille comme valeur cardinale mais il ne respecte pas la sienne. Son inattention et sa soif de réassurance virile se traduisent par ses infidélités, qui le mèneront au divorce. Maggie évoluera à travers lui et grâce à Rust. Au sens figuré et au sens littéral puisqu’elle va tromper Marty avec Rust, profitant de son état d’ébriété plus qu’avancé, presque fou, afin de s’assurer du départ de Marty, que seul un trauma pouvait décider à quitter sa femme. D’une certaine manière, Marty ressemble à notre société soi-disant pleine de repères, qu’il met pourtant en péril. Il incarne nos individualités et nos talons d’Achille : l’individualisme voire le narcissisme. La critique de ses faiblesses en devient d’autant plus acerbe et sa rédemption nous montre que la nôtre est possible. Sa rédemption viendra avec Cohl : Marty termine seul, mais entier. Il termine en pleurant mais réconcilié avec sa famille et donc avec lui-même, en tant qu’homme. Marty fut mon premier repère. Il m’a rassurée lors de mon premier visionnage ne comprenant pas moi-même tout ce que Rust disait. Au départ, nous sommes avec Marty, nous les hommes qui ne savons pas encore. Petit à petit, la vraie rencontre avec Rust s’établit. Nous sommes alors guidés, tout comme Marty, par la prophétie de Rust.
La seconde temporalité est celle de 2002, une année clé qui scelle l’éloignement des deux détectives avec une violente bagarre devant le poste de police, avec un Marty enragé qui plaque au sol et tape violemment Rust ; la résultante de la tromperie de Maggie. La virilité blessée de Marty s’exprime dans cet affrontement. Marty a la présence d’esprit de retirer son arme juste avant d’aller tabasser Rust. Lui, ne répond presque pas, sinon pour se défendre. Il s’en suivra la mise à distance de Rust par le shérif et au final, la démission de ce dernier. Entre le moment où Rust apprend que le tueur, surnommé le Yellow King, est encore là et celui où il démissionne, il part à sa recherche cassant les codes de la chain of commands, franchissant les interdits sans se poser la question d’une limite. D’ailleurs, on voit Rust perdre pour la première fois son sang-froid tapant, tapant plus fort encore sur un prisonnier qui lui apprend que le Yellow King - personnification d’un être obscur, à l’origine de rituels macabres, dont les incantations sont fréquentes et le mystère entier- court toujours (ep.5, The Secret Fate of all Life). Avec Marty ils n’ont pas éliminé les bons meurtriers. Alors il cherche, fouille, obstiné et sûr que l’affaire est bien plus grande qu’un simple homme. Il fait le lien entre la sphère du pouvoir et de l’Eglise et les disparitions qu’il découvre, en regardant et analysant des centaines de photos de cadavres. Mettant à profit son insomnie permanente pour son enquête, il lit du bonheur dans le visage des morts, il se distancie des hommes : se rapproche-t-il du Yellow King ? Il est en transe, en quête : nous les vivons avec lui. Rien ne l’arrête. Déjà marginal, il apparaît psychotique. Après plusieurs réprimandes du shérif, il est contraint de s’arrêter pour un temps et de voir un psychiatre. Il déclame alors que s’il y a bien une personne qui n’en a pas besoin dans tout l’Etat, c’est bien lui. Ne sont-ils pas tous aveugles et soumis volontairement ? La bagarre avec Marty aura terminé de l’achever et il s’en va avec un mémorable “Fuck this ! I quit!” (ep.5). Ils le prennent pour un maniaque et pourtant je suis du côté de Rust. Est-ce normal d’être du côté du fou ? Il repose ici une sorte de magie dans un récit où le spectateur ouvre ses perspectives. Rust ne rentre pas dans le jeu des injonctions. Il les nomme et les déconstruit. Je vois les choses différemment, je m’interroge.
La dernière temporalité, 2012, correspond au temps présent dans la narration. Deux nouveaux détectives, Gilbough et Papania, interrogent séparément Rust, Marty et plus tard Maggie alors ex-femme de Marty. Les ouragans Andrew (1992) et Katrina (2005) sont des prétextes pour justifier la nécessité d’interroger ces deux détectives qui avaient vraisemblablement, au cours de leur enquête, en 1995, tué les auteurs des viols et des meurtres occultes de femmes et d’enfants : des meurtriers aux rituels macabres, rattachés au Yellow King et Carcosa, l’antre du Roi Jaune. Je plonge dans un mysticisme total, mi poétique, mi gothique, totalement inédit. On apprend qu’un nouveau meurtre (ou plusieurs ? Encore des énigmes...) a eu lieu en 2010. Un meurtre qui reprend les codes mystiques et noirs de celui de 1995 avec une mise en scène élaborée et la récurrence des signes du premier. Lorsque Marty comprend dans l’épisode 5 que Gilbough et Papania suspectent Cohle d’être l’auteur présumé de l’ensemble des meurtres, il précise en souriant :
If you talked to Rust, you weren’t getting a read on him, he was getting a read on you.
Ayant vécu sept ans avec Rust, sept ans de relation conflictuelle et intense, il est aussi celui qui le connaît le mieux. Indéchiffrable, mystérieux, est surtout différent de tous. Différent et par là même, fascinant. Il ressemble tant aux psychopathes : pourquoi ne serait-ce pas lui alors ? En tant que spectateur, je n’ai aucun doute sur son innocence. Nic Pizzolatto donne le nécessaire pour le savoir assez vite. Comme un signe de plus nous confortant dans l’idée que l’intérêt de cette série, son supplément d’âme, ne réside pas dans l’intrigue policière
À partir de l’épisode 7 (After You’ve gone) nous nous installons dans le présent. Les deux détectives se retrouvent après dix ans sans aucune nouvelle suite à l’incident de la bagarre au commissariat. Rust a besoin de Marty pour avancer dans son enquête. Enquête qu’il a poursuivie, seul, hors de tout cadre, vivant dans une caravane, en barman à l’alcoolisme planifié. D’une certaine manière, Marty a besoin de Rust. C’est Marty qui a assassiné le tueur présumé, en 1995, dans un élan de rage. Si d’autres meurtres ont été commis, c’est parce qu’ils ont laissé des choses ‘undone’. Rust lui fait prendre conscience qu'il a une dette et qu'il ne peut plus fuir. Marty est responsable et doit, par devoir moral l’aider à retrouver le vrai Yellow King. Marty tourne alors en rond, isolé. Il trouvera sa résolution à la fin de cette ultime enquête. Il va enfin affronter ses peurs et prendre ses responsabilités. Il en sortira plus intègre et plus honnête.
Les trois actes fondent la singularité de la narration de True Detective, terrain de jeu exemplaire pour une série. De manière frontale, le physique traduit ces temporalités. Rust, parfaitement aiguisé en 1995 est complètement négligé en 2012, cheveux longs et sales, un visage et des postures d’alcoolique. Marty a naturellement vieilli, il est enrobé, presque chauve. Ces temporalités sont aussi un terrain propice pour la photographie. Le réalisateur s’amuse avec son 35 mm et les possibilités de nuances. Il joue avec la lumière et la clarté de l’image. À mesure que le temps avance, l’image est de plus en plus nette. Il donne de la texture au contenu. Ces trois actes offrent des opportunités d’amplitude dans le fond et la forme. Une symbiose à l’origine d’une expérience immersive pour le spectateur. Quel exemple de maîtrise pour tout créateur de séries.
Ainsi, l’histoire de True Detective est-elle celle de Rust et Marty à travers l’enquête ? Et si l’histoire plus profonde était celle de Marty à travers Rust ? ‘Without me, there is no you’, Rust à Marty, (ep.6), en 2002. Enfin, la vraie histoire est celle de l’Homme, grâce à Rust. La seule alternative à la faiblesse (Marty) serait le pessimisme et l'extinction de l'homme, si seulement nous étions capables du suicide (Rust) ? Mais si même Rust, n'en est pas capable, nous ne le sommes certainement pas. Nous serions donc condamnés à une vie sans bonheur ni sens. La grandeur du dénouement chez les deux personnages éclate : Marty repart avec une grandeur d'âme et Rust avec un regard optimiste sur le monde. D'abord pessimiste en 1995, il migre dans un état semi-altruiste. Il pose des questions comme un simple “How are you Marty” ? (ep.7). Marty en rit et nous aussi. Rust cherche à se libérer en enquêtant, en 2012. Se libérer, mais alors, il veut vivre sans subir ? Dirait-il oui à la vie ? Sa métamorphose est complète après son épiphanie dans la gorge de Carcosa. Rust reçoit un coup de couteau profond du Yellow King. Lors de cette épreuve, Rust vit un état de surconscience, une near death experience, au cours de laquelle il éprouve tout l'amour de sa fille et de son père disparus. Il meurt pour mieux renaître et devient un vrai héros. L’alternative – une humanité normée ou un pessimisme dont la seule issue louable serait la fin de l'espèce – est remplacée par une issue optimiste, porteuse d'espoir et d’un amour profond. La transformation des deux personnages atteint une dimension exceptionnelle, conférant à True Detective une place unique dans le panthéon des œuvres primordiales, celles qui questionnent le destin, l’Homme.
True Detective tend vers l’universalité et c’est la qualité des grandes œuvres, celles des romantiques russes, qui plongent dans l’âme. La Louisiane prend des airs de Sibérie, Rust de Dostoïevski.
Une confession s’impose : je n’ai rien compris à la trame du Yellow King et pourtant, je n’ai jamais cessé d’être accrochée. Le cliffhanger mis à l’honneur, terriblement efficace, systématiquement. Pour une personne passionnée, cette série est une pépite. Elle l’invoque sans arrêt et celle-ci n’est jamais rassasiée. J’y goûte les inspirations assumées de Nic Pizzolatto : Robert W. Chambers, ses nouvelles ‘Le King in Yellow’ (1895), surnaturelles et noires, décrivant un monde de désespoir et de folie, où règne le roi jaune, mystique et obscur. De nouveaux visionnages : nouvelles aventures. Mon enquête ne s’arrête pas, je suis les filiations. Quand j’en trouve, elles donnent plus de hauteur au poète Rust et m’emmènent dans plus d’obscurité et de lumière. Stephen King, Lovecraft, Thomas Ligotti... Je deviens détective. Où se cache la vérité ? Quelles révélations à la prochaine étape ? Le moment de la série ne s’arrêtera pas, il faut l’admettre. Il y a toujours un tas de matières à explorer ; Nietzsche dark philosophie, M-Brain théorie, bouddhisme, méditation, pessimisme, Schopenhauer... Que cette série est riche ! À chaque nouveau visionnage, des mondes s’ouvrent.
True Detective développe une philosophie percutante. Elle éclaire sur tant de sujets. La religion reçoit un coup violent.
Marty: “Not everybody wants to sit alone in an empty room beating off to murder manuals. Some folks enjoy community. A common good” Rust: “Yeah, well if the common good's gotta make up fairy tales then it's not good for anybody (…) If the only thing keeping a person decent is the expectation of divine reward, then brother that person is a piece of shit” ep.3.
Ce n’est pas tant la religion qui est remise en cause, mais bien notre société occidentale figée par ses codes, individualiste et naïve, fustigée par les interventions calmes de Rust. S’il apparaît si lointain aux personnages de la série, ceux-ci s’en rapprochent progressivement. Marty ne supporte pas ses interventions au départ ; il ne le comprend pas, lui demande de se taire. Pourtant, il ressort transformé de son voyage avec Rust et c’est même lui qui incite Rust à parler des étoiles dans la séquence de fin de la série. Il a compris que Rust peut lui révéler des indices sur sa quête. Maggie joue un rôle dans notre compréhension de Rust. C’est avec elle que Rust parle le plus aisément, dès leur première rencontre, lorsque celui-ci arrive pourtant ivre pour le dîner, le jour du début de l’enquête et donc date de l’anniversaire de la mort de sa fille. Dîner vécu comme une épreuve pour Rust, celle de voir une famille, quand la sienne a été décimée. Il boit, alors qu’il avait arrêté, car il ne sait pas comment faire autrement. Maggie affirme à de multiples reprises que celui-ci a peut-être plus raison que la plupart des gens et ce, sur beaucoup de sujets. Nous sommes incapables de l’entendre au départ car ce serait trop dur de vivre dans le vrai.
Je n’ai parlé que de la première saison et je l’isole avec raison, avec mes raisons. Si certains ‘échos’ se retrouvent d’une saison à l’autre, ils se font tout de même rares : les génériques sublimes par exemple, entrent en résonance esthétique. Je ne retrouve pas le thème. Je suis perdue. Est-ce la grandeur de la première qui ne pouvait être égalée ? Pas seulement. Nic Pizzolatto nous déçoit en tant que spectateur. Il ne respecte pas le contrat qui unit le spectateur et le créateur. Il nous donne rendez-vous avec autre chose. Le grand écart est trop large pour trouver un équilibre. Il dilue l’intensité qui forge une série : de deux personnages nous passons à quatre dans la seconde saison, une chorale plutôt qu’une relation. Le conflit dramatique est minoré, l’histoire prend le dessus sur les personnages. Or, c’est bien le conflit entre Rust et Marty qui absorbe. D’un conflit, nous passons à un vrai polar. De plus, et ce n’est pas anecdotique, nous passons d’un lieu réel à un lieu fictif. : de la Louisiane à une ville fictive, Vinci, à côté de Los Angeles. Comment est-il possible de faire subir un tel changement au spectateur ? C’est une prise de position créative drastique que de passer du réel au fictif ; d’autant plus lorsqu’on sait que Nic Pizzolatto est originaire de Louisiane. On le ressent dans les lignes de dialogues, dans les décors de la Nature et des espaces urbains. Pourquoi ‘Vinci’ ? Après la déception, la colère : difficile de faire la part des choses entre la fascination pour la saison une et les éléments déceptifs de la saison deux, qui pourraient l’expliquer. Un mélange peut-être ? True Detective pose des questions sur la responsabilité du créateur et sur le processus de production. Est-ce parce que la saison une était le résultat d’un travail d’abord personnel ? Est-ce la séparation d’avec le réalisateur, Cary Joji Fukunaga, et la mise en place pour la saison deux, d’un roulement ? La chaîne a-t-elle imposé un rythme d’écriture trop rapide pour la production de la saison deux ? Les réponses ne sont pas toutes résolues, au contraire. Aussi, des points positifs émergent car cette anthologie continue de questionner les facettes de la création et de la production d’une série. Difficile de concilier les deux saisons comme formant un tout. La seconde aurait dû porter un autre nom, c’est une question d’honnêteté.
True Detective rend le spectateur actif, elle ouvre des champs de recherches. Le décor y est sublime, la trame complexe mais c’est bien le personnage qui agrippe. La puissance de cette série se joue dans le détournement. Elle porte le titre et offre toutes les apparences d’un polar, genre bien délimité, et pourtant c’est l’âme qu’on sonde. Rupture de stock sur Amazon du ‘Yellow King,’ saturation du serveur HBOgo pour le dernier épisode... Symptômes de la contagion d'une œuvre historique. La puissance du personnage de Rust Cohle m'a convaincue. J’ai vécu son épiphanie. Je crois à la rédemption dans la compassion, à la victoire de l’optimisme et à l’amour pour l’Homme comme sens de la vie. Plus je visionnais la série, plus je m’attachais à comprendre Rust. Il me semble avoir senti chez lui un élan vital profond lors de mon dernier visionnage. Et si, en réalité, il avait déjà en lui tout cet amour et cette compassion dès sa première apparition ? Et si la force du scénario a été d’instiller ces éléments de la personnalité de Rust pour nous donner à nouveau rendez-vous, dans d’autres dispositions intellectuelles ? Je doute, j’ai besoin d’un niveau visionnage. Je vais attendre. Attendre de mûrir et voir ce qu’il se passera alors.
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Créée
le 1 août 2017
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