1 (dead) girl 2 cops / apologie de la pesanteur
Attention Spoilers
UNE SERIE DE POLICIERS, PAS UNE SERIE POLICIERE
True Detective aurait pu être une série sacrément ennuyeuse si elle s’était concentrée sur son intrigue policière. Car disons-le franchement : l’enquête qu’elle propose est d’un classicisme à faire peur. En cherchant bien, on doit probablement pouvoir trouver certains épisodes des Cordier juge et flic plus inspirés et surprenants, si, si.
Mais voilà, True Detective n’est pas une série policière à proprement parler, entendez que le scénariste n’a pas inventé une affaire criminelle retors et sophistiquée pour lui greffer ensuite des personnages qu’il s’amusera alors à approfondir plus ou moins selon son humeur.
Non, True Detective est une série de policiers, une rencontre entre 2 hommes, admirablement écrite et interprétée à laquelle le scénariste est venu adosser une histoire de meurtres en série pour créer du liant, une affaire criminelle qui n’est clairement pas le sujet principal de la série.
La série ne s’en cache absolument pas d’ailleurs : toute l’histoire est racontée par les 2 personnages principaux lors d’un interrogatoire qui a lieu 15 ans après les faits tant et si bien qu’on en apprend bien vite plus sur eux que sur les victimes et les principaux suspects dont on ne sait finalement que très peu de choses.
Tout le suspense de la série n’est d’ailleurs pas basée sur l’enquête elle-même et son issue (on sait très rapidement qu’à l’époque, ils ont cru arrêter le meurtrier et même que ce n’est pas le bon puisqu’un meurtre similaire vient d’être commis !) mais sur la deuxième enquête, celle qui a lieu dans le présent et qui cherche à élucider.. les liens exacts qu’entretiennent entre eux les 2 policiers !
Marty et Rust sont incontestablement le coeur de la série, pas les meurtres et leur élucidation. Une originalité séduisante qui ne peut fonctionner sans une écriture béton de ces 2 personnages qui vont avoir la lourde tâche de palier un suspense policier qu’on est pourtant en droit d’attendre d’une série qui s’ouvre sur le meurtre d’un supposé tueur en série.
SEULS CONTRE TOUS, APOLOGIE DE LA PESANTEUR
Et l’écriture des 2 personnages fonctionne. Tout d’abord parce que Mc Conaughey et Harrelson sont remarquables, chacun dans leur style. On sent chez eux presque une jubilation à interpréter ces 2 flics qui n’ont pas grand-chose en commun mais sont tous les 2 mus par la soif de justice. Quel charisme ! Quelle claque, ils sont convaincants même quand leurs personnages flirtent de trop près avec la caricature, c'est dire !
L’écriture fonctionne aussi et surtout par une maîtrise remarquable de l’environnement dans lequel elle plonge ses protagonistes. Un univers de pesanteur extrême : chaque plan transpire la chaleur étouffante, presque paralysante de la Louisiane, les champs et mangroves s’étendent sur des kilomètres, les distances paraissent démesurées, les gens parlent peu, se méfient, mentent, se trompent. Tout, absolument tout, la terre comme les hommes semblent appeler à l’inertie la plus totale. Notons au passage que le rythme extrêmement lent, parfaitement maîtrisé de la série, participe lui aussi à cet effort de dessiner 2 hommes face à un monde qui ne veut pas bouger.
Comment, au milieu de cet environnement ultra hostile à tout changement, 2 hommes pourtant si opposés parviendront-ils à déterrer la vérité ? Eux qui semblent également embourbés dans une vie personnelle qu’ils ne maîtrisent plus (l’indécrottable infidèle qui voit, impuissant, son mariage lui échapper et le nihiliste cynique qui ne s’attache à rien ni personne après que sa vie ait été brisée).
Voilà comment, en se focalisant davantage sur les personnages que sur l’intrigue policière, True Detective parvient habilement à substituer à un suspense purement policier un suspense psychologique parfaitement orchestré avec 2 beaux personnages, forts et remplis de failles, profondément humains.
UN VOYAGE PASSIONNANT, MAIS...
L'étrange complicité de 2 hommes qui ne se comprennent pas mais se reconnaissent, liés par leur propension à briser leurs vies et à vouloir punir le crime dans une affaire ou tout concoure à l'immobilisme. Voilà donc avec quel pitch True Detective sera parvenu à me captiver, me faire douter, durant 7 épisodes.
Mais ce 8ème épisode m’a laissé un très mauvais goût dans la bouche. Finis toutes les subtilités, les rapports de force psychologiques, la lutte contre l’adversité, les fausses pistes et autres soupçons de mystère qui flottaient jusque-là. Ce dernier épisode tranche clairement avec tout le reste : c’est un épisode policier classique de traque de tueur. Ca y est : le passé a rattrapé le présent, les 2 amis se retrouvent, les indices s’enchaînent rapidement, la traque est musclée et justice est finalement rendue. La dernière réplique très positive et pleine d’espoir de Matthew Mcconaughey vient enfoncer le clou : cette expérience a changé les 2 flics, justice a été faite, la pesanteur a été vaincue, la vie est presque belle.
Cette fin abrupte a provoqué en moi un gigantesque « Tout ça pour ça ? » qui m’a fait complètement revoir l’appréciation que j’avais jusqu’alors de la série. Que lorsqu’elle abandonne les codes qui font son originalité, cette série n’est pas meilleure qu’une autre est déceptif mais compréhensible. Mais décider de le faire sur le dernier épisode pour conclure l’histoire me paraît vraiment dommageable.
Dépouillée du suspense psychologique de la relation entre les 2 personnages principaux qui faisait son originalité, la série se conclut sans superbe. Etait-ce vraiment un passage obligé, cet épisode « Esprits Criminels » ? Seules les 5 ultimes minutes viennent redonner un peu de cohérence à tout ça en recentrant le récit sur les 2 compères de manière assez émouvante et permet au spectateur de fermer la page avec ces 2 personnages qu’il aura suivis, souvent avec beaucoup de tendresse et de compassion.
Dommage tout de même, de se renier pendant la quasi-totalité de son épisode de conclusion.