La cicatrice encore saillante de l'annulation de la formidable "The OA" (on ne vous pardonnera jamais ce coup-là, Netflix !), c'est avec un plaisir non dissimulé que l'on retrouve enfin Brit Marling et Zal Batmanglij à la tête d'une nouvelle série ! L'espoir d'assister à un objet télévisuel qui ne ressemble à aucun autre est évidemment présent, attisant notre curiosité autour de ce projet de whodunit high-tech potentiellement capable de transcender le genre pour l'emmener vers des firmaments éclairés par la vision unique du duo.
Après avoir révélé au grand jour l'existence d'un tueur en série aux États-Unis, Darby a fait de son enquête menée avec l'aide de son ancienne âme soeur Bill un livre qui rencontre un succès prometteur. Un beau jour, elle reçoit une invitation de la part d'Andy Ronson, un des plus importants milliardaires de la planète, pour une retraite au bout du monde en compagnie de certains des esprits les plus brillants de ses contemporains.
Dans le complexe futuriste isolé du reste de la population humaine, alors que Darby a la surprise de découvrir un visage qu'elle ne connaît que trop bien parmi les invités, un meurtre se produit...
Crevons l'abcès d'emblée: non, "A Murder At the End of the World" n'est pas la nouvelle "The OA", aussi bien en termes de proposition originale susceptible de vous faire tomber à la renverse par ses dimensions inattendues que par l'impact qu'elle laissera dans les mémoires sur le long-terme.
Trop étalée sur certains épisodes à la durée déséquilibrée, pas aussi surprenante qu'elle ne le voudrait sur la globalité de son propos et, bizarrement, pas très l'aise pour maintenir un suspense durable avec les règles du whodunit (trop de suspects restent en arrière-plan, à peine esquissés devant l'importance prise par un noyau central de protagonistes), "A Murder..." souffre d'un rythme en dents-de-scie évident et de partis pris scénaristiques ayant parfois tendance à s'appesantir autour de points sur lesquels la série réussit à nous faire vibrer au niveau émotionnel (la relation Darby/Bill en tête) avant de se répéter au détriment d'événements qui, eux, mériteraient plus de développements.
Mais, si "A Murder At the End of the World" n'est pas aussi grande que nos espérances vis-à-vis du duo Brit Marling/Zal Batmanglij, elle n'en demeure pas moins une bonne série, habitée de personnages superbement brisés, à commencer par son héroïne meurtrie par une quête obsessionnelle de son passé qui se met dangereusement à résonner avec la volonté du milliardaire et de ses invités de se présenter en remparts de l'humanité par la supériorité intellectuelle ou de moyens.
Mêlant la critique envers une caste gouvernée par une suffisance au moins aussi grande que leurs richesses ou leurs failles universellement humaines, la mise en avant de quêtes utopistes servant avant tout à couvrir des objectifs désespérément nombrilistes, le point de non-retour écologique, la dénonciation des violences faites aux femmes ou les avancées toujours plus importantes de l'intelligence artificielle, la minisérie fait transpirer l'ensemble de ces nombreuses thématiques alarmistes à l'aune des différentes interactions de Darby et des différents suspects tout en s'attardant sur le passé de son héroïne et sur cet amour naissant qui l'a forgée (et dévastée) dans la noirceur de son enquête, avec l'objectif de la conduire au cœur d'un monde dont la proche obscurité est symbolisée par ceux qui prétendent en être les sauveurs.
Solidement mise en scène par ses créateurs et interprétée par un casting de qualité (dont Brit Marling, mention spéciale à Emma Corrin, enfant caché de Jodie Foster et d'Elisabeth Moss), capable de toucher par de vraies belles montées en gamme émotionnelles ou de rebondissements efficaces (la fin de l'épisode 4 est folle), "A Murder At the End of the World" n'atteint peut-être pas les sommets inoubliables de "The OA" mais elle reste un très intéressant détournement du whodunit porté par la sensibilité et les préoccupations humanistes de ses concepteurs, encore toujours à part dans l'intelligence des oeuvres qu'ils entendent offrir au public, et ce même quand celle-ci est plus mineure que leurs meilleurs faits d'armes.