Rares sont les films ou les séries qui s’intéressent à cette micro société juive orthodoxe qui vit à New York. Pour le spectateur, la très belle série Unorthodox est un saut vertigineux et à fleur de peau dans l’aliénation d’un quotidien.
La série d’Anna Winger et Alexa Karolinski, qui adapte les mémoires de Deborah Feldman, a cette particularité de jouer sur deux tableaux bien distincts. En nous narrant la fuite à Berlin de la jeune et enceinte Esther, où séjourne sa mère biologique, dans le but de quitter les affres d’un mariage liberticide, Unorthodox nous explique à la fois sa vie passée à New York et sa vie présente dans un Berlin qui lui semble bien loin de ses habitudes coutumières. La grande force de la série est son aspect documentaire, voire son ethnocentrisme respectueux et observateur des rituels de la communauté des juifs orthodoxes de Williamsburg, à New York.
Si les épisodes, seulement 4, font le pont entre les deux temporalités et se superposent, pour mieux nous faire comprendre les velléités d’Esther dans sa quête de libre arbitre, et pour mieux nous faire saisir le choc des cultures que la jeune femme subit en allant à Berlin, c’est avant tout sa justesse, sa douceur et son parti pris représentatif qui font de la série une oeuvre passionnante à découvrir. Anna Winger nous immerge dans le quotidien d’une société aux rites, aux croyances et à la manière de fonctionner bien particuliers : un micro système en vase clos, par coutume, dogme mais aussi par peur de l’inconnu ou aliénation, qui derrière cet apparat, dissimule une volonté de se protéger des autres, sachant que le génocide perpétré durant la seconde guerre mondiale est encore dans toutes leurs pensées.
Cette imbrication du passé et du présent qui occupe les peurs de cette communauté, du drame au repli sur soi jusqu’à la presque autosuffisance économique n’est jamais utilisée par la série pour légitimer la condition des femmes mais est uniquement employée afin de densifier la description des tenants et des aboutissants de cette introspection ethnique. Sauf que derrière cette observation assidue, cette illustration naturaliste et parfois majestueuse des us et coutumes (le mariage), cet hommage à ces hommes et femmes, notamment de tout ce qui touche autour du mariage et de la famille, qui nous en apprend beaucoup sur le rôle des mariés, leurs droits et leurs devoirs, Unorthodox n’en oublie pas d’avoir un regard critique, émouvant, parfois cru et difficile sur le rôle de la femme dans cet ordre établi et son objectivation. On pense aussi beaucoup à M, documentaire foudroyant de Yolande Zauberman.
Unorthodox, avec sa mise en scène assez douce, agrémentée de grands moments de grâce (la scène de baignade), n’est pas une série qui condamne au pilori cette société et a l’intelligence de ne pas opposer cette idée de bien ou de mal, entre Berlin et la communauté orthodoxe. Il n’y a qu’à voir l’amour que porte Esther pour sa mamie, les premiers échanges bienveillants et timides entre Esther et son futur mari Yanky, ou même observer le bordel de prostituées à Berlin pour s’apercevoir qu’Anna Winger ouvre – essaye en tout cas – un large champ d’application dans son analyse. Analyse qui s’avère être autant une attaque fortuite sur la condition des femmes dans un système patriarcal et sclérosé qu’une fable sur l’émancipation, le droit au destin et la possibilité pour chacune des femmes de pouvoir suivre sa propre voie.
C’est à travers le regard d’Esther, et surtout de sa fabuleuse actrice Shira Haas, que le spectateur va pouvoir observer le poids que les femmes doivent supporter et les responsabilités « reproductrices » qui leur sont affairées dans cette société orthodoxe. Par le biais de ses yeux et de son physique aussi vaillant que frêle, Esther va alors découvrir un Berlin, à ciel ouvert, libre, hétéroclite, accueillant mais tout aussi difficile, avec la notion de compétition, d’isolement (sa mère sans diplômes) et de dures responsabilités. Certes, la partie berlinoise semble un brin naïve – groupe d’amis musiciens et tous « wokes », le bon vivre ensemble, la liberté de culte, les nuits berlinoises et leurs fougues, l’obtention d’une bourse – mais cela ne nuit en rien à la force, à la véracité et à l’intensité des personnages et leurs complexités (Yanky), faisant d’Unorthodox une oeuvre à ne pas rater.
Article original sur LeMagduciné