Vivement Lundi

Et pourtant !

Pourtant ce dimanche n'était pas particulièrement pluvieux. Il y avait même un joli petit soleil qui pointait son museau tout jaune.
Je n'étais pas particulièrement fatigué non plus. Un dimanche classique en somme.
Un peu de spleen peut-être à l'idée de retourner au boulot le lendemain mais c'est tout.
Je m'apprêtais donc à sortir prendre un bon bol d'air avant de rentrer m'alcooliser pépère en attendant l'heure du boulot, quand malencontreusement je suis tombé sur la deuxième chaîne.

Là, dans un décor qui se veut faussement jeune, avec des canapés rouges et des plaques de plexi' du meilleur goût, une personne âgée au brushing impeccable.
Un homme d'un certain âge est posée là, la pogne tremblante et le regard un peu perdu: Michel Drucker !
Animateur télé inamovible, immortel; une sorte d'Highlander télévisuel tout ridé au sourire figé d'un blanc immaculé.
Dès les premières secondes je sentis mon corps se ramollir et s'enfoncer inexorablement dans mon canapé en cuir de libellule.
Mon cerveau pourtant si vif perdait, au fil des secondes, toutes velléités de résistance et se laissait envelopper par une douce torpeur parfumée à l'eau de Cologne à la lavande.
Là, les yeux perdus dans le rouge des canapés Druckeriens, écoutant la voix caressante de Michel, j'étais bien.

Je me laissais paisiblement aller au doux ronronnement des interviews balisées et prévisibles de Maître Michel.
J’acquiesçais naturellement au " Oui !" franc et massif de l'ami Garou lorsque Michel lui demanda si il aimait les chiens.
J'écoutais attentivement Véronique Genest nous parlait de sa carrière fabuleuse sur TF1, des ventes records du jambon Madrange et de son prolapsus de deux kilos.
Je pleurais avec Michel lorsque Christophe Maé nous expliquait l'affreux accident de cordes vocales dont il a été victime; cette saleté d'angine du Portugal, qui lui laissa cette voix salement dégueulasse de porc qu'on égorge.

Les stars du cinéma, de la chanson, du Music-Hall passaient chez Michelou vendre leur soupe et se faire caresser sous le ventre comme Feu sa chienne Olga, affalées dans ce canapé rouge un peu usé aux entournures.
Les hommes politiques aussi prenaient rendez-vous chez Mimi pour se faire câliner et expliquer aux Français qu'ils étaient exactement comme eux, mais avec de l'argent et du pouvoir.

J'étais bien, assis là, à écouter Michel dire du bien de tout et n'importe quoi.
Le voir s'ébahir devant le dernier épisode de Joséphine Ange Gardien, s'extasier sur le nouveau disque de Christophe Willem ou pleurer d'admiration face au dernier bouquin de Nadine Morano et ses mille et une solutions pour sauver la France.
Tout devenait beau, tout s'illuminait dans sa bouche.
Le mal n'existait plus. Plus rien n'était mauvais et par conséquent plus rien n'était bon.
Tout devenait neutre, sans saveurs, pas mauvais mais jamais bon.
Le monde ne me faisait plus peur.
Fini les attentats, les guerres, la haine, le foot et les grosses araignées dégueulasses. Place à un monde d'une platitude rassurante, d'une fadeur sécurisante.
La Druckerisation des esprits était en marche et allait changer mon monde.

Je profitais de la publicité et me levais péniblement de mon vieux divan pour aller directement à la cuisine me faire une petite camomille avec trois sucres.
Au passage, je remis en place le petit napperon en macramé sur la table du salon, j'allumai mon vieux poêle à bois et pris mon vieux plaid à carreaux dans l'armoire.
Je retournai cahin-caha me rasseoir en tenant le bas de mon dos, qui depuis que j'avais allumé la télé me faisait souffrir le martyre; j'étendais mes jambes et rajustais mes doubles foyers sur mon nez.

Laurent Gerra arriva au moment où je trempais ma madeleine dans mon infusion.
Je réglai mon appareil auditif au maximum pour ne rien rater des imitations du chansonnier.
Michel Drucker demanda au public de l'applaudir bien fort, ce que je fis également avec un grand sourire béat.

J'étais bien.