Weeds.
Je pourrais parler de longues heures de ce chef d'oeuvre télévisuel. Mais puisque vous n'aurez sûrement pas le courage de tout lire, je vais m'efforcer d'être concis. Dans la mesure du possible.
Tout d'abord, sachez que je n'ai jamais touché à la drogue ;
ce n'est donc pas cet aspect de la série qui m'intéresse.
C'est pourtant le sujet principal, non ?
Non.
Weeds parle de drogue, certes, mais ce n'est qu'un prétexte.
Un prétexte pour parler d'un concept bien plus large...
La vie.
Weeds, en d'autres termes, c'EST la vie.
Je m'explique.
Alors que certaines séries se contentent de relater une suite d'événements dans le seul but de divertir l'auditoire, le bijou de Jenji Kohan va particulièrement loin : il se forge, d'années en années, sa propre identité. L'univers de Weeds est superbement travaillé ; ses personnages, plus vrais que natures, permettent au show de constituer une entité à part entière. Weeds ne raconte pas une histoire... Weeds EST une histoire. Une histoire qui se veut critique, auto-critique, une histoire qui ne cesse de se renouveler en puisant sa force dans l'être humain et ses vices, dans les tabous et les travers de la société pour nous offrir une fresque honnête de la société dans laquelle nous vivons.
Dotée d'une puissance artistique incroyable, Weeds s'impose comme un immense concert de son et d'image. Les aventures de l'héroïne et de son entourage se déroulent à plusieurs niveaux, se développent sur plusieurs "couches" : la musique, les dialogues, l'interprétation des personnages, tout contribue à la création d'une aventure autonome, riche et profonde.
Weeds ne se regarde pas comme n'importe quel autre divertissement ; je l'ai compris récemment, mais l'on ne peut pas apprécier la série sans la regarder différemment.
Je donnerai un exemple caractéristique issu de la saison 1. Ce n'est pas un énorme spoil, ceux qui n'auraient pas encore vu la série pourront donc l'apprécier sans se gâcher toute la découverte de ce show.
Au terme du cinquième épisode, on découvre que Celia Hodes Hodes, la salope de service, souffre d'un cancer du sein.
Au même moment, une caisse de sodas est larguée sur sa maison par erreur. Célia débarque alors dans sa chambre, et, au lieu de prêter attention au bordel qui vient de s'insinuer dans sa barque, annonce froidement à son mari ce qu'on vient de lui diagnostiquer.
Le téléspectateur pourrait alors croire à un bordel scénaristique sans nom, mais il n'en est clairement pas question : le désordre extérieur, symbolisé par les sodas tombés de l'avion, sont écrasé par le désordre intérieur de Madame Hodes, cette fois symbolisé par le cancer.
Cette scène n'est évidemment qu'un exemple parmi tant d'autres. Il montre à quel point Weeds est un jeu d'images qui font sens, qui donnent une dimension toute particulière à ses protagonistes et au monde dans lequel ils évoluent.
On pourrait facilement être choqué par les storylines de cette série et pour cause : tout y passe. Drogue, inceste, racisme, politique, Jenji Kohan ne nous épargne RIEN. Il faut comprendre ce choix de ne rien mettre sous silence de la manière suivante : Weeds a décidé d'être honnête.
D'être honnête sur la vie.
D'être honnête sur les hommes.
La nature humaine est ici décrite dans ses tréfonds. Il n'est plus question de faux-semblants ou de non-dits, tout est affirmé avec acidité et franchise. Nancy, Shane et Andy sont plus vrais que natures : ils incarne une société américaine - et même une société tout court - à la dérive.
Cette dénonciation n'offre que plus de puissance à l'ensemble.
Dépassant toutes les limites imaginables, la vie se met ici à nu, s'offre le luxe d'être elle-même sans jamais rien cacher.
Suis-je en train de vous dire que nous sommes tous des dépravés ? Bien sûr que non. Weeds offre une vision globale du genre humain, on ne peut décemment s'identifier à chaque personnage et à chaque situation. Mais au final, tout le monde en prend pour son grade, du monde politique (Weeds évoque sparfois l'armée, le gouvernement, les relations internationales...) aux maisons chics de quartiers (même le notable réputé de votre banlieue se défonce dans sa voiture).
De manière plus factuelle, Weeds est terriblement bien écrite.
Les vannes se multiplient, les répliques cultes foisonnent. On pourrait presque écrire un manuel d'humour tiré directement du show. Les échanges entre les différents protagonistes peuvent être aussi poignants qu'hilarants ; c'est là toute la force du cast, dont les acteurs sont formidables, et des personnages qu'il incarne.
Car oui, Weeds n'est pas qu'une série humoristique (bien loin de là), elle peut aussi s'avérer émouvante, poignante, tragique, sans jamais tomber dans le mélodrame gratuit ou la surenchère d'émotions.
Le personnage principal incarne à lui seul la grâce de l'ensemble : Nancy Botwin est un des meilleurs personnages jamais créé pour la télévision. Cette femme fatale, incarnée par la sulfureuse Mary-Louise Parker, nous entraîne dans toute la complexité de sa vie sans jamais être incohérente, ses choix, si parfois faits sur un coup de tête, n'en restent pas moins réfléchis tout du long.
La saison une propose une entrée en matière. Si les premiers épisodes sont assez gentillets (particulièrement le pilote, plutôt faible comparé au reste), les bases sont bien posées et proposent un bon tremplin pour...
La saison deux, qui est tout simplement magnifique. C'est ici que "Weeds" joue le mieux avec son univers ; on atteint le sommet de la série et de ses capacités comiques et dramatiques.
Est-ce que ça signifie que le reste est mauvais ? Pas du tout.
À part la cinquième saison qui m'a déçu, tout le reste est d'excellente facture. Weeds ne perd jamais de sa superbe, de son talent, de sa capacité à faire interagir l'art et l'intrigue, la réalité et la fiction.
Weeds est une entité à part entière, un géant, une sorte d'OVNI téléviseul qu'il faut apprécier à sa manière, sans chercher de comparaison et de référents.
Weeds est une histoire complète, une histoire de fond, une histoire de forme, un parallèle constant entre ce qui est dit et la façon dont cela est dit.
Reprocher à Weeds d'avoir des storylines faiblardes, c'est comme reprocher à votre voisine d'avoir mal fait ses courses ou son jogging, c'est comme s'attaquer à l'existence de votre voisin de classe. La série a atteint son propre niveau, sa propre vie, tous ses personnages "existent" d'une manière ou d'une autre et évoluent dans une sphère qui leur est propre.
Provocante, unique, terriblement écrite et jouée, il s'agit sûrement de l'une des meilleurs séries jamais réalisée pour la télévision.
Ma note est bien évidemment de 10/10.
P.S : Le générique de la première saison est vraiment affreux, mais j'ai appris à leur pardonner. À partir de la saison 2, l'interprète change à chaque fois (ça fait mieux passer la pilule), et plus de générique à partir de la 4. Pour la saison 8, le générique revient avec de nouvelles images à la clé, pour marquer tout le chemin traversé par la série jusqu'ici.
Mes notes et remarques par saisons :
Saison 1 : 8/10
La saison du début. L'insouciance des premiers deals, une série qui se cherche encore un peu (voire beaucoup). Assez peu d'enjeux dans l'ensemble malgré une brochette d'épisodes plus intenses vers la fin. À ce stade, Jenji Kohan et son équipe favorisent l'humour et écrivent une petite série sympathique à suivre pendant l'été ; avec cette touche de drame qui ne déplaît pas.
Saison 2 : 10/10
La douce saison 1 laisse place au premier grand cru de la série : tout ce qui a été mis en place dans les épisodes de la première année est démultiplié pour un cocktail explosif. L'humour est toujours au rendez-vous (et comment !), mais c'est surtout l'intrigue qui s'améliore et s'intensifie. La trame autour de Peter est incroyablement bien ficelée même si le personnage lui-même agaçant ; l'histoire de la famille Botwin est racontée avec beaucoup de justesse et beaucoup d'intelligene. Les vannes fusent, autant que les rebondissements : la série s'est trouvé un ton.
Saison 3 : 7/10
On comprend pourquoi les scénaristes ont décidé de déménager dès la saison suivante. La formule "Agrestic" s'essoufle un peu, même si je ne comprends pas les critiques trop négatives à l'encontre de cette saison. Quoiqu'il en soit, il est vrai qu'après le boom de la saison 2, cette troisième année parait un peu plus fade ; les intrigues manquent parfois de piquant et toutes les idées ne se valent pas (toute cette intrigue autour de l'ex-femme de Peter était-elle vraiment nécessaire ?). L'embrasement final permet de redistribuer les cartes.
Saison 4 : 10/10
Une saison que j'ai mis un peu de temps à apprécier, et que certaines critiques sur Internet se sont d'ailleurs fait un plaisir de descendre. Et pourtant, Dieu que je la trouve bonne avec du recul. La formule de base est en grande partie repensée, même si l'on garde toujours cet équilibre malin entre l'humour et le drame. Les nouveaux paysages et les nouveaux enjeux font du bien ; on ne perd pas pour autant de vue ce qui fait le sel de la série. Sur le plan artistique aussi, ils se sont vraiment donnés : les scènes de la saison 4 comptent parmi les plus belles scènes de toute la série (l'entrée dans le tunnel, le chagrin de Nancy et sa mise en scène quand elle culpabilise, le retour de Nancy après avoir été griffée de partout par Esteban...).
Saison 5 : 6/10
Même si j'ai appris à l'apprécier un peu plus à force de revoir la série, et à découvrir qu'elle n'était pas si mauvaise que je le pensais à la diffusion, cette saison 5 reste celle que j'aime le moins. La formule mexicaine, pourtant efficace en saison 4, est déjà épuisée. Nancy ne sert pas à grand chose. L'humour tourne un peu en rond, au même titre que l'intrigue et ses rebondissements. Certains personnages sont vraiment maltraités (Pauvre Célia...). Un peu comme lors de la saison 3, il était temps de se diriger vers autre chose. De se débarrasser au possible d'Esteban, par exemple.
Saison 6 : 10/10
... Et c'est ainsi qu'est arrivée la saison 6 ! Une des meilleure saisons de la série, très surprenante et très rafraichissante. Exit le statisme de la saison 5 : la saison 6 est celle du voyage, du rebondissement. La série s'essaye même aux épisodes "looners", qui se suffisent à eux-mêmes et qui offrent une nouvelle dynamique à l'ensemble. On est emmenés, pour notre plus grand plaisir, dans un road trip à travers les USA plein de chansons entraînantes, de gags qui font mouches ("Thanks for the blowjob !"), d'idées intéressantes. Peut-être ma saison préférée.
Saison 7 : 7/10
Ce détour à New-York n'a pas fait l'unanimité. Le plus gros problème de cette saison, c'est qu'elle manque de suivi ; elle est paradoxalement moins bien organisée que la saison 6 qui partait pourtant dans tous les sens. La saison 7 est capable du meilleur comme du pire, dans une inconstance assez déroutante.
Saison 8 : 8/10
Cette saison aurait pu obtenir un joli 10 et se ranger du côté des autres saisons à chiffre pair. Mais non. Excellente dans ses deux tiers, très bien pensée pour une saison finale avec un retour au source qui reste globalement subtile, cette ultime fournée souffre malheureusement d'une fin décevante. Les derniers épisodes, qui marquent le retour à Agrestic et évidemment la conclusion de toutes les péripeties de Nancy, manquent de mordant et d'inspiration. Mais je n'ai pas mis 8/10 pour rien ! La plupart de la saison reste vraiment rafraichissante et drôle, là où la saison 7 se prenait un peu trop au sérieux. En fait, en s'arrêtant un poil plus tôt et en faisant d'autres choix pour l'épisode final, cette 8e année aurait pu être parfaite.