Les meilleurs albums de 2019 selon Keith Morrison
69 albums
créée il y a plus de 5 ans · modifiée il y a plus de 3 ansAssume Form (2019)
Sortie : 18 janvier 2019 (France). Electronic, Hip Hop, Funk
Album de James Blake
Keith Morrison a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 9.6
Bon, je voulais vraiment faire une critique plus complète car j'ai beaucoup de choses à dire sur cet album, mais j'ai jamais trouvé le temps et quand je me suis lancé j'ai raconté ma vie au lieu de parler de l'album. Donc pour l'instant je dirais juste que j'aime cet album d'amour, qu'il est magnifique, que ce mélange d'influences offre tellement de saveur à la musique de James Blake et que ça faisait longtemps qu'un disque ne m'avait pas touché comme ça ! La bise.
Update du 2 août 2021 : je sais toujours pas quoi dire de cet album à part qu'il est véritablement sublime.
(à écouter : tout l'album vraiment, mais si je devais en choisir que trois... "Into The Red", "Where's the Catch" et "Don't Miss It")
Pang (2019)
Sortie : 18 octobre 2019 (France).
Album de Caroline Polachek
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 9.4
Caroline Polachek était déjà, avant "PANG", une musicienne pop accomplie : elle comptait à son actif trois disques avec son groupe Chairlift qui l'ont vu expérimenter avec la pop indie sous de nombreuses formes, un album de pop lo-fi sous le pseudonyme de Ramona Lisa et un projet de musique "ambient" sous celui de CEP. Une discographie déjà riche qui a permis à l'artiste américaine de révéler différentes facettes de son identité artistique, d'étendre et diversifier sa créativité et mettre en avant la force qu'elle pouvait avoir sur différents plans. "PANG", le premier opus de Caroline Polachek, réussit à unir tous ces aspects en un album pop grandiose. On y retrouve l'originalité et cette capacité à écrire de superbes mélodies pop déjà démontrés chez Chairlift ("So Hot You're Hurting My Feelings", "Look At Me Now"). On retrouve aussi sur "PANG" la théâtralité de Ramona Lisa ("Hey Big Eyes", "Caroline Shut Up") et l'aptitude de Polachek à créer une ambiance particulière, captivante et hypnotique, même sur les morceaux les plus épurés ("Parachute", "Insomnia") comme elle l'avait fait avec les sonorités abstraites de CEP.
De toutes ces expériences avec différents collaborateurs et sous différents acronymes, elle garde aussi un sacré soucis du détail, comme le prouve les productions vacillant entre PC Music, musique baroque, ambient, folk, trip-hop et art pop. Les textes de Caroline Polachek sont aussi très beaux, révélant de façon réservée, parfois cryptique et très souvent rempli d'humour les tourments amoureux de l'ex-membre de Chairlift ("You open the door to another door to another door" reste une ligne à la fois hilarante, imagée et très lourde de sens). Puis il y a surtout cette voix incroyable. Cette voix qui n'a peur de rien, qui expérimente en continu, tout au long de l'album. Cette voix qui donne l'impression d'avoir été trafiquée à l'aide d'un vocoder mais pas du tout. Digne héritière de Kate Bush, Caroline Polachek livre une performance vocale magistrale tout au long de "PANG", qui est un album tout aussi magistral, plein de fantaisie, d'originalité, d'humour et d'expérimentations mais aussi très fort émotionnellement ce qui ne le rend qu'encore plus fascinant.
(à écouter : "Door", "Hit Me Where It Hurts", "Look At Me Now", "Parachute")
NFR! (2019)
Sortie : 30 août 2019 (France).
Album de Lana Del Rey
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 9.1
Cas très étrange que celui de Lana Del Rey... il est assez intéressant de constater que la chanteuse américaine a souvent été acclamée pour beaucoup de choses mais très rarement pour ses talents d'auteures-compositrices. Et à mes yeux c'est pourtant bien là sa plus grande force parce que, si je peux comprendre qu'on n'accroche pas au personnage, ses excentricités, son style musical ou même sa voix, tous les albums de Lana Del Rey ont un aspect qui est irréprochable : cette plume unique, qui sest à la fois mélancolique, cinématique et très souvent humoristique. Après un "Lust For Life" qui la voyait expérimenter avec différentes sonorités, "Norman Fucking Rockwell!" est un retour aux sources pour l'artiste. Pas celui de "Born to Die", mais d'avant le succès, quand une certaine Lizzy Grant écrivait des textes personnels avec une forte imagerie 60s-70s sur sa guitare, sans prétention aucune. La plume de Lana Del Rey est le coeur de son cinquième opus, nostalgique et intime, vulnérable et joueuse.
Produit en très grande partie par Jack Antonoff - qui confirme au passage qu'il est le meilleur producteur pop du moment - l'album voit l'interprète de "Video Games" dans un paysage musical épuré mais qui ne se prive pas de certaines expérimentations brillantes (le trip de 10 minutes qu'est "Venice Beach", une reprise réellement réussie de Sublime). Mais très souvent sur "Norman Fucking Rockwell!", Lana Del Rey est seulement accompagnée d'un piano et parfois de quelques instruments à cordes. Le côté très "organique" des productions n'est pas sans rappeler une certaine Joni Mitchell que Del Rey référence plusieurs fois sur son disque et dont elle n'a jamais semblé aussi proche. Il y a bien sûr un côté introspectif très fort dans ce cinquième album ("hope is a dangerous thing", "Cinnamon"), mais il est aussi très réjouissant de voir que le "storytelling" de Lana Del Rey est toujours aussi fort ("Best American Record", "How to disappear") ainsi que son humour qui rend sa plume unique. Car très honnêtement, qui peut ouvrir un album avec des paroles telles que "Goddamn, man child / You fucked me so good that I almost said I love you" avec une telle facilité ? Rien que pour cette raison, "Norman Fucking Rockwell!" est la preuve que Lana Del Rey est une des meilleurs auteures-compositrices de sa génération.
(à écouter : "Venice Beach", "Love song", "Norman fucking Rockwell")
All Mirrors (2019)
Sortie : 4 octobre 2019 (France). Art Pop, Chamber Pop
Album de Angel Olsen
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 9.1
On connait tous plutôt bien la genèse derrière "All Mirrors" : des chansons très épurées et brutes qui, de base, avaient été écrites et composées en solitaire par Angel Olsen. Et puis il y a eu la rencontre avec John Congleton et le compositeur Ben Babbitt qui y ont ajouté un orchestre qui fait la particularité de ce disque et sa beauté. Le travail de production sur le quatrième opus d'Angel Olsen est franchement grandiose, le côté orchestral des morceaux aurait pu facilement devenir un gimmick mais il est tellement bien intégré dans les compositions de l'artiste américaine et épouse parfaitement sa voix, ses textes et l'intensité de ses performances et de son émotion qu'on l'oublie presque. Car même si "All Mirrors" est grandiose, l'aspect brut dans lequel sont nées ces chansons est toujours bien présent et rend ce disque par moment particulièrement difficile à écouter et à appréhender tellement la douleur d'Olsen est palpable, tellement sa vulnérabilité nous est exposée. Au final, même avec un orchestre et de grandes envolées de cordes, "All Mirrors" reste un album très brut, très pur où l'émotion est mise complètement à nu.
Cela est particulièrement palpable sur un titre comme "Tonight" où la chanteuse murmure ses paroles sur une instrumentale dans un premier temps très épurée, presque acapella en faite, avant que le morceau gagne en intensité avec l'une des plus belles orchestrations de l'album. "Tonight" est une chanson sur laquelle Angel Olsen s'émancipe d'une relation amoureuse, annonçant qu'elle est mieux à présent, qu'elle aime la personne qu'elle retrouve en étant séparée de son ex-conjoint. Mais pourtant, le morceau reste sombre, la douleur reste présente dans cette performance vocale très surprenante, comme si on assistait aux derniers moments d'agonie de l'interprète avant qu'elle se relève plus forte. "Tonight" représente au final assez bien ce disque de rupture qu'est "All Mirrors" : un album remarquable par ses textes, sa production et l'interprétation d'Angel Olsen. Un album qui frappe fort. Un album où l'intensité n'est pas dans les orchestrations magistrales mais bel et bien dans la douleur et la confusion qui ont donné naissance à toutes ces chansons. Un album où la vulnérabilité et le vécu de la chanteuse nous est jeté en pleine figure. Déroutant, mais incroyablement beau.
(à écouter : "Tonight," "Endgame", "New Love Cassette")
i,i (2019)
Sortie : 9 août 2019 (France). Art Pop
Album de Bon Iver
Keith Morrison a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.9
Sur “i, i”, Bon Iver continue la recherche musicale dans laquelle ils s’étaient lancé sur “22, A Million”, mais celle-ci ne se veut pas juste expérimentale et complexe. S’il y a bien quelque chose de nouveau et de surprenant sur ce quatrième opus du groupe américain, c’est la façon dont Justin Vernon a voulu et a réussi à écrire des chansons “pop”. “Hey, Ma" apparaît presque comme un hymne à la manière de Coldplay qui résonnerait fort dans un stade (la qualité n’est pas la même cela étant dit), et “U (Man Like)” et son piano enjoué qui a un côté gospel et choral qui donne juste envie de chanter à tue-tête. Ce côté pop vient apporter une certaine luminosité à un album dont le ton lyriquement parlant est pourtant assez sombre.
Car un autre aspect important de ce nouvel album de Bon Iver réside dans le contenu lyrique de celui-ci. Outre l’aspect anthologique que peut prendre cet album musicalement par moment, c’est aussi le moment de la réflection pour l’auteur-compositeur du Wisconsin. C’est le moment où il met de côté ses tourments amoureux, ceux qui ont peuplé "For Emma, Forever Ago" et qui nous ont offert un “Holocene” grandiose, pour regarder le monde qui l’entoure, prendre du recul et s’interroger sur sa place dans celui-ci (chose qu'il avait déjà commencé à faire sur ses deux précédents albums). "i, i" en devient donc un album politique et engagé mais qui ne donne jamais l’impression de l’être. “i, i” est un album sur lequel l’auteur-compositeur se livre juste sans concession, de la façon la plus honnête et sincère qu’il soit. C’est le regard d’un humain face aux problèmes du monde et de notre société. Un humain qui se sent impuissant mais qui voudrait agir. Et c’est justement peut-être pour ça que “i, i” ne donne jamais l’impression d’être un album politique - ce n’en est peut-être pas un au final.
(à écouter : "Hey, Ma", "Sh'Diah", "Jelmore")
Not Waving, but Drowning (2019)
Sortie : 19 avril 2019 (France).
Album de Loyle Carner
Keith Morrison a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.9
Avec son deuxième album, Loyle Carner continue sur sa lancée en signant des textes personnels sur des productions organiques mélangeant hip-hop, soul et R&B. Le rappeur londonien se révèle encore plus honnête que sur son précédent disque, "Yesterday's Gone" sur lequel il parlait avant tout de sa jeunesse, des difficultés qu'il a rencontrées, de sa relation avec sa famille, peignant également un portrait du South London beau et rempli de fierté. Deux ans plus tard, Loyle Carner parle toujours de certains de ses sujets clés (sa relation avec sa mère sur "Dear Jean", le TDAH sur plusieurs morceaux, de sa biracialité et les discriminations qu'il a pu vivre liées à cela sur "Looking Back") mais c'est avant tout d'une relation que nous parle le rappeur sur "Not Waving, but Drowning" et surtout de la façon dont celle-ci, dont une personne a réussi à l'aider à se trouver et à surmonter un grand nombre de ses troubles.
En ressort alors un album beaucoup plus apaisé et calme que le précédent, les pianos ayant une place très importante car c'est sur eux, sans rythmique, que Loyle Carner rappe sur "Carluccio" ou "Krusty", quelque chose de relativement difficile à faire et qui montre le talent du rappeur anglais. Les collaborateurs comme Jorja Smith ou Sampha viennent se fondre dans le disque en toute simplicité, laissant toujours au premier plan Loyle Carner et ce que celui-ci a à dire. "Not Waving, but Drowning" est un album qui par moment est véritablement poignant, mais ce qui est assez surprenant et beau c'est qu''il est toujours composé - en grande partie par les brillants Jordan Rakei et Kwes. - et écrit avec beaucoup de retenue et une simplicité touchante.
(à écouter : "Ottolenghi", "Still", "Desoleil (Brilliant Corners)")
MAGDALENE (2019)
Sortie : 8 novembre 2019 (France). Art Pop, Glitch
Album de Tahliah Debrett Barnett (FKA twigs)
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 8.8
"MAGDALENE" semble être une évolution logique pour FKA twigs après "LP1" et le plus sombre et étrange "M3LL155X". Après être devenue une figure importante sur la scène alternative, il semblait (presque) évident pour la chanteuse de travailler avec des pointures de la musique électronique (Nicolas Jaar, Oneothrix Point Never) mais aussi avec des grandes figures actuelles de la pop, du R&B et du hip-hop mainstream (Skrillex, Jack Antonoff, Cashmere Cat, Benny Blanco, Michael Uzowuru parmis d'autres). Il semblait logique que FKA twigs souhaite rendre sa musique encore plus grande, plus imposante et plus ambitieuse qu'avant, correspondant à sa vision d'artiste aux multiples talents. C'est bien le cas ici, avec un "cellophane" qui prend aux trippes et offre une explosion de sonorités. Même chose sur "mary magdalene", qui révèle un "breakdown" qui mélange musique électronique avec une influence baroque que l'on trouve partout sur l'album. Puis il y a bien sûr "fallen alien" et, dans une version plus pop, "holy terrain" qui montrent que twigs n'est pas qu'une artiste fragile et douce mais peut aussi revendiquer une véritable fureur et énergie.
Mais "MAGDALENE" reste une évolution très surprenante, car une fois passé l'émerveillement devant la production monumentale de la plupart des morceaux, ce qui reste c'est quelque chose d'extrêment intime, un sentiment de vulnérabilité qui mettrait parfois presque mal à l'aise, et un besoin d'utiliser sa musique pas pour expérimenter et "juste" créer de l'art comme sur "LP1", mais avant tout pour se confier, pour se soigner. Et c'est justement ce qui rend cette évolution très surprenante, car auparavant FKA twigs avait tendance à se cacher derrière sa musique et ses expérimentations. Sur son second album, elle est au centre de tout. Sa voix constitue souvent le coeur de ses chansons, comme sur "daybed" ou "cellophane", ce qui les rend encore plus saisissantes car l'émotion est là, elle est brute, impossible d'y échapper. On écoute au final ce disque un peu comme on regarde une peinture baroque - un mouvement qui semble avoir beaucoup inspiré l'artiste anglaise ici : on est dans un premier temps impressionné par la technique époustouflante mais ce qui nous touche le plus, au final, c'est la pureté de l'émotion représentée.
(à écouter : "cellophane", "fallen alien", "sad day")
Blood (2019)
Sortie : 19 avril 2019 (France).
Album de Kelsey Lu
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.6
"Blood", le premier album de Kelsey Lu, est grandiose. Dès que les premières notes de violoncelle - son instrument de prédilection - retentissent sur "Rebel", la chanteuse et musicienne américaine réussit à nous captiver et nous transporter dans une ambiance onirique et mystique qui n'appartient qu'à elle. Un peu plus tard sur l'album, Kelsey Lu révèle avec "Due West" un morceau monumental et sublime, prouvant qu'elle est aussi bien capable de séduire l'auditeur avec des chansons orchestrées de façon très simple et pure que sur une énorme production organique signée Skrillex, Rodaidh McDonald, Michael Uzowuru et compagnie. Si ces noms ont de quoi faire tourner la tête, Kelsey Lu n'en perd pas pour autant son identité musicale singulière signant un morceau qui est avant tout le sien et pas qu'une collaboration avec des producteurs très demandés.
Tout au long de "Blood", la chanteuse et violoncelliste qui a travaillé par le passé pour Solange ou Florence + The Machine - entre autres - expérimente avec des sonorités plus sombres, électroniques et plus urbaines sur l'étonnament troublant "Foreign Car" ou surprend davantage avec "Poor Fake", une chanson à contre-emploi à l'influence disco très prononcée. Autre petit ovni : une reprise hallucinante et hallucinée longue de 7 minutes du tube "I'm Not In Love" de 10cc. Magnifique et captivant de bout en bout, "Blood" démontre de façon magistrale le talent de sa compositrice et interprète phénoménale. Il n'y a pas un seul temps mort ici, pas une piste moins saisissante qu'une autre, que la chanteuse se perde dans des envolées de violons à la Donna Summers ou qu'elle mette en avant toute sa vulnérabilité sur des morceaux acoustiques et minimalistes. Sublime.
(à écouter : "Due West", "Blood", "Poor Fake")
When I Get Home (2019)
Sortie : 1 mars 2019 (France).
Album de Solange
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.6
Avec "A Seat at the Table", Solange s'est ré-inventée en laissant de côté la synth-pop de Dev Hynes de l'EP "True" pour proposer un R&B-soul à la fois expérimental et pourtant très intime et vulnérable. Chantant son expérience de femme afro-américaine et celle de sa communauté tout au long de cet album et donnant la parole à sa famille et ses amis sur des productions riches et douces, le troisième album de la chanteuse américaine la voyait s'affirmer en tant qu'artiste R&B, plus dans la lignée d'une Erykah Badu que d'une Rihanna (pour ne pas citer un autre nom). Après un tel album, tous les possibles étaient envisageables pour Solange et c'est une liberté encore plus grande que la chanteuse a choisi de suivre pour son quatrième opus, "When I Get Home".
Ce nouvel album reste dans la lignée de "A Seat at the Table" dans le sens où ses thèmes restent profondément ancrés dans la culture afro-américaine chère à Solange, mais musicalement c'est une claire évolution poussant davantage l'expérimentation musicale que l'artiste américaine avait pu amorcer sur son précédent disque. A la forme complètement surprenante (beaucoup de morceaux très courts, certains sont coupés en plusieurs parties très distinctes), "When I Get Home" puise son inspiration davantage dans l'acid jazz et le hip-hop underground que dans la soul atmosphérique de son prédécesseur, le tout avec une forte influence d'afro-futurisme. C'est un disque assez intemporel qu'offre Solange ici, se faisant se rencontrer différents genres musicaux noirs d'époques différentes les uns entre les autres avec une liberté totale. Plus qu'une ode à la culture musicale afro-américaine, "When I Get Home" apparaît comme un travail de très spontanée et animé d'un profond amour pour ces genres, comme peut le souligner une collaboration très surprenante avec Gucci Mane sur "My Skin, My Logo". Cet album est un vrai patchwork d'influence, à la fois complexe et très beau, et qui est le reflet parfait de son interprète insaisissable qui souligne si bien cela sur "Can I Hold The Mic" : "I can't be a singular expression of myself, there's too many parts, too many spaces, too many manifestations".
(à écouter : "Stay Flo", "Way to the Show", "Down With the Clique")
House of Sugar (2019)
Sortie : 13 septembre 2019 (France).
Album de (Sandy) Alex G
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.6
Découverte de l'univers très singulier de (Sandy) Alex G avec son huitième opus, "House of Sugar". Et quelle entrée en matière ! Ce disque ressemble un peu à un patchwork de sonorités, comme si l'artiste américain avait collé plusieurs fragments de chansons ensemble et que ça avait donné ce résultat : un album qui oscille entre expérimentations barrées et chansons folk. Dire que "House of Sugar" est étrange ne serait pas mentir, les morceaux les plus expérimentaux tels que "Near", "Gretel" ou "Walk Away", qui ouvre l'album sur ce qui ressemble à un chant joué à l'envers, nous font nous interroger profondément sur ce qu'on est en train d'écouter : une sorte de trip auditif ? Un pur coup de génie que même nous ne pourrions pas comprendre ? Ou un truc franchement inaudible qui n'a aucun sens ? Mais le plus étrange, c'est qu'on écoute. On reste là, on se laisse transporter pour ces sonorités étranges, parfois peu écoutables mais qui soudainement révèlent une musicalité qui nous surprend.
Ce qui est le plus étonnant chez (Sandy) Alex G et sur "House of Sugar" notamment, c'est cette manière de créer quelque chose de très expérimental et de déroutant puis de le mélanger avec des choses qui semblent très familier pour l'auditeur. Un morceau comme "Southern Sky" pourrait presque nous faire penser à une chanson traditionnelle de folk - on y note un soupçon de Sufjan Stevens - alors que "Bad Man" a un refrain qui donne envie d'être chanté à tue-tête perdu dans une des productions les plus hallucinantes de l'album. Avant de nous laisser dans le silence et la confusion, les quatre derniers morceaux de "House of Sugar" nous ramènent vers un rock indie beaucoup plus familier, acoustique et organique, sans nous donner pour autant l'impression d'avoir quitter l'univers décalé de (Sandy) Alex G. On reste avec cette conclusion : "House of Sugar" est un album étrange et pourtant très touchant. Même les paroles prennent la forme de cadavres exquis mais semblent révéler des confessions assez personnelles, comme pour si le musicien s'exprimait tout en se protégant derrière ces couches de production. Bref, "House of Sugar" est un album assez difficile à décrire sur lequel la créativité de (Sandy) Alex G semble ne connaître aucune limite. Mais c'est beau. C'est très très beau. Et c'est tout ce qui compte.
(à écouter : "Bad Man", "Cow", "Gretel")
Ventura (2019)
Sortie : 12 avril 2019 (France).
Album de Anderson Paak
Keith Morrison a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.6
Si on voulait résumer Ventura en quelques mots, on dirait sûrement "génial" si l'on souhaite être simple. Sinon, "varié" ou "surprenant" seraient d'autres bons termes pour qualifier cet album. "Intemporel" fonctionne parfaitement, car c'est tout à fait ce qu'il se passe quand Anderson .Paak mélange pleins d'influences musicales caractéristiques de certaines décennies ensemble et se fait se rencontrer sur un même album Smokey Robinson, Nate Dogg et Brandy. Mais moi, je dirais plutôt "yes lawd", cette phrase remplie d'optimisme que l'artiste californien balance à toutes les sauces en guise de célébration. Car Ventura, c'est une célébration. Littéralement, dans les textes d'Anderson .Paak qui célèbre sa femme et ses enfants et rend hommage à ses idoles. Mais c'est avant tout une célébration de la musique qui a bercé le musicien tout au long de sa vie et de sa carrière - sujet qu'il évoque d'ailleurs sur "Yada Yada", une célébration de ses débuts difficiles.
Ventura est une célébration, Ventura est nostalgique, Ventura est intemporel, Ventura est une dose d'euphorie qui est toujours la bienvenue. Bref, sans aucun doute à mes yeux, Ventura est le meilleur album d'Anderson .Paak à ce jour car c'est un condensé de ce qu'il fait de mieux et ce qui fait de lui un artiste véritablement unique dans le paysage hip-hop et R&B actuel. Yes lawd!
(à écouter : "Make It Better", "Jet Black", "What Can We Do?")
Unfurl (2019)
Sortie : 15 février 2019 (France). Ambient Pop, Art Pop
Album de RY X
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.6
La première fois que j'ai écouté "Unfurl" durant le printemps dernier, j'ai trouvé ce second opus - et ma première découverte - de RY X très beau, révélant une sorte folk-ambient atmosphérique et mélancolique mais aussi très douce et reposante, ce qui était relativement parfait pour moi à cette époque me permettant de me détendre et me laisser emporter par la musique et par la voix de l'artiste australien qui apparaissait presque comme un murmure sur certains morceaux de son disque. Mais si je trouvais "Unfurl" comme étant un beau projet fort d'une production et une instrumentalisation impressionantes, une partie de moi me disait que c'était le genre d'album que j'écouterais probablement quelques fois à la fin de la journée puis que j'oublierais quelques semaines plus tard, ou bien duquel je garderais au mois une ou deux chansons dans mes playlists et un bon souvenir, mais rien de plus.
Et bien, même si "Unfurl" semblait être ce genre de disque, il m'a prouvé être tout le contraire en revenant souvent dans ma vie au cours de cette année écoulée. Je ne peux expliquer pourquoi car ce n'est pas le sens des chansons un peu trop mystiques et spirituelles qui m'a particulièrement touché - le lyricisme de RY X est peut-être d'ailleurs sa seule faiblesse - mais quelque chose a fait que "Unfurl" m'est resté à l'esprit et que j'ai voulu y retourner souvent. Il y a quelque chose d'incroyablement beau et apaisant dans la folk de RY X, quelque chose de magnétique même qui fait que la musique - même si elle est douce et parfois épurée (les couplets de "Hounds" ou le début de "Fumbling Prayer") - nous touche et provoque quelque chose en nous. Cela est sûrement dû à la voix du chanteur qui apparaît comme une couche instrumentale parmis toutes les autres très riches ici plutôt qu'un élément que l'artiste utilise pour se démarquer et raconter son histoire. La production sur cet album est absolument grandiose mélangeant des instruments "lives" qui dominent généralement les chansons ("Hounds", "The Water") avec des arrangements qui proviennent de la musique électronique qui est aussi chère à RY X. Ce mélange entre musique organique et électronique a rarement été aussi bien réalisé que sur "Unfurl", transformant ce qui aurait pu juste être de la folk-ambient en de la musique captivante et indéfinissable. J'utilise rarement cette expression mais elle me semble être appropriée ici : "Unfurl" est une véritable pépite !
(à écouter : "Bound", "Hounds", "Untold")
Late Night Feelings (2019)
Sortie : 21 juin 2019 (France).
Album de Mark Ronson
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.3
Le but de Mark Ronson avec "Late Night Feelings" était de composer et produire une collection de "sad bangers". Son cinquième album ne remplit pas seulement cette mission mais permet aussi de mettre en avant à quel point le producteur britannique est une pointure en matière de pop. Inutile de préciser que les productions ici sont absolument impeccables, offrant chacune quelque chose de nouveau, avec des petits détails et instrumentalisations délicieuses. Ce qui est vraiment impressionnant sur "Late Night Feelings", c'est la capacité qu'a Mark Ronson de travailler avec des artistes très différentes et de ce fait toucher à pleins d'influences (du R&B sur "Why Hide" et "Truth", de la country sur "Nothing Break ike a Heart") et pourtant avoir une cohésion aussi forte et une qualité aussi soutenue sur tout l'album. Et c'est quelque chose qui est très rare sur les albums de producteurs - pensez les deux "Shock Value" de Timbaland ou la récente catastrophe qu'est le dernier disque de CHIC. Ce qui est très fort, c'est que chaque artiste présente ici a beau proposer généralement de la pop (à l'exception The Last Artful, Dodgr et Alicia Keys), elles ont chacune leur propre style et leur propre conception de ce genre qui transforme "Late Night Feelings" en une parfaite démonstration de tout ce que le genre peut-être.
Le risque d'un tel album est de dénaturer l'émotion présente dans certaines chansons à cause de couches de productions trop travaillées et de collaborations clinquantes. Et l'émotion se doit d'être une part importante d'un album qui s'intitule "Late Night Feelings" ! Et bien, encore une fois, Mark Ronson prouve qu'il est un producteur hors-pair car l'émotion est bien présente un peu partout sur ce disque, et souvent de façon très légère mais qui ne manque pas de faire son effet. Ces "feelings" promis sont bien là ce qui transforme ces productions pop irrésistibles en des chansons touchantes. Un de mes détails préférés et le "on and on and on, feeling on and on" de la piste-titre qui se répète plusieurs fois sur l'album, notamment sur le sublime et complètement ravageur "Spinning". Bref, plus qu'une prouesse musicale, "Late Night Feelings" et un album qui a beaucoup de coeur ce qui le rend d'autant plus marquant. Mark Ronson signe un des meilleurs disques pop de l'année.
(à écouter : "True Blue", "Spinning", "Late Night Feelings")
Father of the Bride (2019)
Sortie : 3 mai 2019 (France).
Album de Vampire Weekend
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.2
Il faut que je le dise... je n'ai jamais aimé Vampire Weekend. Leurs deux premiers albums m'ont toujours été présentés comme des chef-d'oeuvres du rock indie mais représentaient à mes yeux exactement tout ce que je détestais dans ce genre : une pop pour hypster, certes joliment composée, mais qui me donnait l'impression d'avoir atterri en plein milieu d'une publicité Polo Ralph Lauren. "Modern Vampires of the City" avait cependant réveillé ma curiosité pour ce groupe, avec des sonorités plus sombres, qui tentaient de nouvelles choses. Et début 2019, "Harmony Hall" et "2021" sont sortis et l'impossible est arrivé : coup de coeur immédiat ! La première chanson était légère mais remplie de vie et donnait juste envie de chanter à tue-tête "I don't wanna live like this, but I don't want to diiiiiiie", alors que la seconde était teintée de doute et d'une tendre mélancolie mais avec une composition cette fois-ci moins directe que "Harmony Hall".
"Father Of The Bride" continue sur cette lancée. Ezra Koenig et ses acolytes ont confectionné un disque qui mélange des chansons pop mélodiques, légères, très entêtantes et parfaitement assumées ("This Life", "We Belong Together") avec d'autres sur lesquelles les musiciens ont essayé de nouvelles choses, ont expérimenté mais jamais au détriment des mélodies ("Sympathy", "Bambina", "My Mistake"). En plus d'être une collection de chansons pop euphorisantes et intéressantes, "Father Of The Bride" contient aussi de très belles paroles qui montrent qu'Ezra Koenig n'est pas seulement un musicien surdoué mais aussi un excellent auteur qui sait écrire des textes intelligents et dans lesquels on peut facilement se retrouver ("Unbearably White", "Jerusalem, New York, Berlin").
Bref, ce quatrième opus de Vampire Weekend est un disque créé par des surdoués - qu'ils soient musiciens, lyricistes ou juste des invités (Steve Lacy, DJ Dahi, Danielle Haim) - mais qui ne donne jamais ce sentiment : tout reste très léger et vraiment passionnant. Le plus incroyable, c'est qu'ils ont réussi à faire un album de 18 pistes qui passe tout seul. Il n'y a rien à jeter et on en voudrait presque même plus une fois que les dernières notes du très beau "Jerusalem, New York, Berlin" ont retenti... Une MasterClass en matière de musique pop qui s'écoute comme un très bon album de pop justement : d'une seule traite, et avec un plaisir immense !
(à écouter : "Harmony Hall", "Sympathy", "Jerusalem, New York, Berlin", "Unbearably White")
Paradise (2019)
Sortie : 1 mars 2019 (France).
Album de Hamza
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.1
"Paradise", c'est un album que je ne pensais pas aimer. On m'avait beaucoup dit "toi qui est fan de R&B, tu devrais écouter Hamza, tu kifferais bien" mais pourtant, je n'en ai jamais ressenti l'envie même si certains des morceaux de la mixtape "1994" étaient entraînants et bien produits.. A la première écoute, le premier album de l'artiste belge n'était pas une mauvaise surprise : les productions étaient toutes très accrocheuses, se basant très souvent sur un beat puissant qui faisait bien le boulot, et parfois plus posées, mettant en avant l'influence de R&B de Hamza. Le projet en lui-même était intéressant, rien qu'au niveau des collaborations (quand tu réussis à réunir Christine & The Queens, Oxmo Puccino, SCH et Aya Nakamura sur le même disque, c'est que clairement tu fais quelque chose de bien et que tu ne manques pas d'ambition), et réservait quelques bonnes surprises ici et là avec des productions plus inspirées comme "Meilleur", "50x" ou le très immédiat "Paradise". Mais voilà, ça s'arrêtait là pour moi.
Mais, grâce aux forces qu'avait déjà "Paradise" lors des premières écoutes, j'ai continué à retourner régulièrement vers cet album... et petit à petit, il s'est révélé à moi comme un des projets les plus intéressants de 2019. Hamza réussit le pari très difficile de signer un album de 17 pistes qui n'est pas seulement très cohésif mais qui ne comprend que très peu de temps morts, ceux-ci étant des titres plus... hum... sensuels on va dire, qui fonctionnent plus ou moins bien ("Validé", "Sometimes"). Mais pour ce qui est du reste du disque, le rappeur belge enchaîne vraiment "banger" sur "banger" et sa voix qui m'avait un peu gênée au départ se révèle être très bien utilisée sur cet album, créant des mélodies souvent captivantes et qui rentrent rapidement en tête. Le seul gros point noir de ce "Paradise" reste les paroles qui, si parfois elles peuvent volontairement faire sourire, tournent rapidement en rond ce qui nous laisse nous demander si Hamza joue vraiment sur le second degré. "Paradise" est avant tout un album qui s'écoute pour l'ambiance que le rappeur et ses producteurs ont réussie à créer tout du long de ces 17 pistes et aussi - et surtout - pour le fait que ce disque est extrêmement efficace et que parfois une collection de petits "bangers" francophones bien confectionnés et à l'influence US parfaitement dosée fait énormément de bien !
(à écouter : "Paradise", "50x", "Dale x Love Therapy")
III (2019)
Sortie : 12 juillet 2019 (France).
Album de BANKS
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.0
Trois ans après "The Altar", BANKS propose avec "III" une évolution logique de sa pop-R&B sombre, électronique et expérimentale. Si le mot "évolution" pourrait faire sourire étant donné que le troisième opus chanteuse américaine reste dans la lignée des précédents - quite à même leur faire des clins d'oeil ("Godless" qui n'est pas sans rappeler le titre de son premier album, "Goddess"). Mais même si Jillian Banks ne ré-invente pas complètement son univers sonore et reste fidèle à elle-même, sur "III" elle teste de nouvelles choses assez surprenantes. Il y a tout d'abord "Gimme" qui n'est pas sans rappeler les productions que Timbaland façonnait en 2007 mais dans un genre complètement différent, des reflets de synth-pop sur "Stroke" et "Contaminated", des productions typiques de BANKS, leur donnant alors une saveur complètement différente, ainsi qu'une expérimentation avec un gospel robotique et chaotique sur "Look What You're Doing to Me" et "Godless".
Si BJ Burton et Hudson Mohawke ont produit une bonne partie de l'album en s'adaptant parfaitement au style de la chanteuse, c'est le travail de celle-ci avec Buddy Ross (Frank Ocean, HAIM, Vampire Weekend) qui offre les plus beaux moments de "III". Les deux artistes ont confectionné ensemble des ballades R&B délicates, planantes, oniriques voire psychédéliques, avec une pincée de mélancolie et d'influence 90s ("The Velvet Rope" de Janet Jackson vient à l'esprit en écoutant "Hawaiian Mazes"). "Sawzall", "Hawaiian Mazes" et "What About Love" sont des morceaux spectaculaires, émotionnellement forts mais produits avec une vraie retenue qui les rend encore plus beaux.
Et même si sur le reste de "III" BANKS retourne vers des recettes familières avec plus ou moins de succès - "Propaganda" n'est pas sans rappeler "Beggin For Thread", "The Fall" a été enregistré en 2016 pour l'album précédent - elle ne déçoit jamais vraiment, nous offrant par moments une ballade douce et déchirante ("If We Were Made Of Water") et un morceau pop étrange mais très accrocheur ("Alaska").
(à écouter : "Hawaiian Mazes", "Sawzall", "Stroke")
Nothing Great About Britain (2019)
Sortie : 17 mai 2019 (France).
Album de slowthai
Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.0
Contre toute attente, "Nothing Great About Britain" est un album que je trouve très rassurant. Rassurant, parce qu'il permet de mettre en avant une voix singulière dans le paysage musical anglo-saxon actuel, au sens figuré comme symbolique. Rassurant, parce que c'est un album qui est politique malgré lui, parce que l'individu qui s'y exprime choisit parler de sa condition, de sa vie quotidienne, de sa classe moyenne, des problèmes qu'il a rencontré. Rassurant, parce que c'est un album qui parle à beaucoup d'entre nous. Rassurant, car il ne s'agit pas de grands discours politiques comme un grand nombre de rappeurs ou de musiciens nous servent sur leurs albums politiques et ultra-engagés. Rassurant, parce qu'il y a une simplicité dans ce disque qu'on ne trouve pas vraiment ailleurs. Rassurant, parce que le côté très provocateur de slowthai semble toujours justifié par une certaine colère que l'on peut comprendre et s'exprime souvent avec un certain humour ("I'd tell you how it is, I will treat you with the utmost respect / Only if you respect me a little bit, Elizabeth, you cunt"). Rassurant, parce que même si le rappeur est un personnage dont les délires sont parfois questionables, c'est aussi un individu qui ne cherche pas à être quelqu'un d'autre que lui-même, et ce côté très "unapologetic" est ce qui fait vivre "Nothing Great About Britain", ce qui le rend excitant et qui fait qu'il nous frappe particulièrement. Rassurant, parce que c'est un album très personnel au final, écrit et interprété par quelqu'un qui est pas si différent que nous, qui a commis des erreurs que nous avons commis, qui cherche sa place au sein d'un monde qu'il aime mais duquel il se sent rejeté, qui essaye malgré tout d'être quelqu'un de meilleur et d'honnête même si une profonde rage l'habite. Même si nous n'avons pas forcément vécu tout ce qu'il a vécu, on se retrouve assez facilement dans cet album et ça, c'est rassurant.
(à écouter : "Gorgeous", "Toaster", "Nothing Great About Britain")
GREY Area (2019)
Sortie : 1 mars 2019 (France). Rap/hip hop/R&B
Album de Little Simz
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.0
Cela fait maintenant un petit paquet d'années que Little Simz offre de très beaux jours au rap britannique avec son flow aiguisé, ses rimes et textes intelligents portés par une forte sensibilité et des productions aux beats souvent percutants et qui se marient parfaitement avec une musicalité prononcée. Ses précédents projets avaient de quoi impressionner et laissaient présager une véritable renaissance du rap "british" qu'on a pu observer avec un grand nombre d'artistes cette année. Mais étrangement, aucun de ces travaux ne semblait constituer le moment où Little Simz s'affirmerait en tant qu'artiste et deviendrait une force dans le paysage hip-hop outre-Manche qu'on ne pouvait tout simplement plus nier. "GREY Area" constitue ce tournant. C'est un disque sur lequel la rappeuse s'exprime sans concession et se revendique comme l'une des voix majeures du rap "made in U.K." avec une assurance et une ambition qui sont tout simplement impossibles à ignorer.
Le troisième opus de Little Simz débute avec un morceau intitulé "Offence" sur lequel la rappeuse se présente comme "The biggest phenomenon and I'm Picasso with the pen" sur des percussions et une basse amplifiée agressifs saupoudrés de différents éléments tel qu'une flûte ajoutant une musicalité très forte et rappelant le jazz acide et expérimental de Herbie Hancock. C'est un peu le "blueprint" pour le reste de l'album : une Little Simz gonflée à bloc et encore plus honnête et brutale avec ses rimes sur des instrumentations elles aussi brutes et qui viennent renforcer l'impact du flow de la rappeuse. La confiance que l'artiste britannique met au premier plan sur "GREY Area" fait l'une des forces principales de l'album, ce qui permet d'offrir aux moments plus vulnérables comme "Selfish" ou "Pressure" un impact encore plus important. La rappeuse y brille grâce à son honnêteté et sa lucidité vis-à-vis d'elle-même. "GREY Area" est un autoportrait complexe et réaliste à travers lequel Little Simz se laisse aller dans un braggadocio intelligent et revendique son authenticité sur des titres comme "Boss" ou "Venom" puis prouve celle-ci sur des chansons plus vulnérables. Impossible de parler de "GREY Area" sans souligner le fait que tout cet album a été enregistré avec un groupe de musiciens renforçant ainsi la musicalité qui était déjà une des forces majeures de la musique de Little Simz et semblant nourrir son énergie et son ambition.
(à écouter : "Selfish", "101 FM", "Offence")
Heavy Is the Head (2019)
Sortie : 13 décembre 2019 (France). Dancehall, Grime, Hip Hop
Album de Stormzy
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
Quelle année fut 2019 pour Stormzy ! L'actuel roi du hip-hop britannique s'est offert deux tubes qui ont atteint le sommet des charts anglais, est apparu en couverture du prestigieux magazine TIME, a récolté de nombreuses accolades, a vu son portrait accroché à la National Portrait Gallery et a donné à Glastonbury l'une des performances les plus mémorables et les plus médiatisées de l'histoire du festival. Le second album du rappeur londonien était de plus en plus attendu et avait la mission impossible de répondre des attentes immenses. Et pourtant, si un disque agressif et "in-your-face" comme son précédent était attendu pour asseoir la popularité étourdissante de Stormzy, fourmillant de tubes potentiels à la "Vossi Bop" où le flow ultra-aiguisé du rappeur brille en maître, "Heavy is the Head" voit "Big Michael" emprunter une voie bien différente : celle du recul sur son succès, ses accomplissements, son rôle auprès d'un public qui le voit comme un modèle, ses erreurs, ses racines et ses racines.
"Heavy is the Head" est donc un album très personnel et introspectif sur lequel Stormzy se livre de façon très honnête sur des morceaux souvent assez simples et épurés, loin des productions clinquantes de son premier album. Le rappeur adresse l'adultère et la douleur qu'il a commis à sa partenaire sur le touchant "Lessons" et le poids de son succès et de son statut de "role model" auprès de la jeunesse britannique sur "Crown". Le moment probablement le plus touchant du disque est "Rachael's Little Brother", une lettre à coeur ouvert à sa soeur. Sur "Do Better", le rappeur nous offre une de ces chansons inspirantes et motivantes dont il a le secret, prouvant que sa principale force n'est peut-être pas son flow et ses beats redoutables mais avant tout son humanité, son humilité et l'aspect très direct de ses textes. Bien sûr, Stormzy n'oublie pas qu'il est un "hitmaker" hors-pair et nous offre des moments de pur "braggadocio" délicieux où son flow surfe avec une ainsance impressionnante sur des productions très rythmées comme sur "Own It", "Pop Boy" et "Audacity" sur laquelle il lâche une punchline mémorable et qui assoit son importance dans le paysage musical et culturel mieux que n'importe quel tube ou récompense : "When Banksy put the vest on me/Felt like God was testin' me". Test réussi, "Heavy is the Head" est un triomphe.
(à écouter : "Lessons", "Do Better", "Rachael's Little Brother")
Songs for You (2019)
Sortie : 21 novembre 2019 (France).
Album de Tinashe
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
Libérée de son contrat avec RCA et aujourd'hui indépendante, Tinashe livre avec "Songs For You" un sequel parfait à "Nightride", son glorieux sixième projet sorti en novembre 2016, essayant de nous faire penser que "Joyride" n'était qu'un petit accident de parcours provoqué par un label qui ne savait pas quoi faire de son artiste. Et on a bien envie de croire à cela à l'écoute de "Songs For You" qui est en réalité tout ce que "Joyride" aurait dû être pour se revendiquer comme l'album qui allait vraiment révéler tout le potentiel et le talent de Tinashe : c'est un disque de R&B extrêment efficace, parfois très urbain et à l'influence trap prononcée ("Cash Race", "Link Up", "Feelings") et à d'autres moments plus pop et électronique ("Save Room for Us", "Perfect Crime", "Die A Little Bit") prouvant de la versatilité et du charisme de son auteure et interprète.
Mais si Tinashe excelle lorsqu'il faut nous offrir des numéros de R&B mainstream - ce qui fait que le peu d'attention qu'elle a reçu de la part du grand public reste un mystère à mes yeux - ce qui fait son originalité et qui la démarque des autres artistes de R&B actuels est sa capacité à inclure dans sa musique quelque chose de moins conventionel qui s'éloigne des standards du genre et de ce que le public attend de celui-ci. Ce son alt-R&B hypnotique et captivant qui avait permis à Tinashe de se faire connaître auprès d'un public de niche avant le succès de "2 On" est bien présent sur "Songs For You" et la chanteuse apparaît plus livre que jamais sur ces titres plus expérimentaux. Impossible de ne pas être séduit par son énergie et son enthousiasme sur des morceaux comme "Stormy Weather" et "Life's Too Short", qui gardent quand même un aspect très entraînant, ou par sa sincérité sur des chansons plus intimes et plus lentes, comme "Know Better" au texte torturé et hantant ("Did you notice I've been doing just fine? / It's like you're never here and the tears have all dried / Did you notice, did you notice me?") ou le sublime "Touch & Go". "Joyride" n'était au final peut-être bien qu'un accident de parcours, car sur "Songs For You" Tinashe semble plus libérée et accomplie que jamais, en très très grande forme, et livre un album à la fois accessible et accrocheur mais qui reste aussi fidèle à tout ce qui a fait de la chanteuse une artiste à part dans le paysage du R&B contemporain.
(à écouter : "Touch & Go," "Life's Too Short," "Know Better")
The Jungle Is the Only Way Out (2019)
Sortie : 27 février 2019 (France).
Album de Marian Mereba
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 7.9
Après quelques EPs et de nombreuses collaborations avec le collectif Spillage Village, Marian Mereba dévoile son premier album "The Jungle Is the Only Way Out", un disque d'une douceur exquise mais qui possède pourtant une puissance subtile et touchante. Cet album s'écoute un peu comme une expérience spirituelle. Il y est souvent question de spiritualité justement, de religion, de relations amoureuses (le sublime "Sandstorm"), de la mort ("Souvenir") et avant tout de la quête de soi-même ("Get Free", court mais intense). Mais "The Jungle Is the Only Way Out" s'écoute aussi comme une expérience personnelle et profondément intime, Mereba nous apparaissant souvent à fleur de peau, cherchant tout du long de ces treize pistes un échappatoire ("a way out" comme le précise le titre), une connexion, un signe, une façon d'être en paix avec son passé et avec elle-même.
Si Mereba cherche pendant tout cet album une certain repos intérieure, musicalement elle réussit à composer et produire un disque duquel s'émane un sentiment profondément paisible et réparateur, réconfortant. "The Jungle Is the Only Way Out" est un disque de R&B qui brille grâce à ses influences hip-hop ("Heatwave", "Black Truck"), folk ("Souvenir") et parfois même country ("Kinfolk"). Mais la force de ces différentes influences musicales est la façon dont Mereba parvient à les intégrer à son univers sonore avec une délicatesse rare, sans jamais que ces influences apparaissent comme évidentes ou tape-à-l'oeil. "The Jungle Is the Only Way Out" est en réalité un album avant tout très subtile, aussi bien musicalement que lyriquement ou vocalement. Cela renforce le sentiment de paix et de spiritualité qui fait du premier opus de Mereba un travail passionnant, savoureux et touchant.
(à écouter : "Get Free", "Sandstorm", "Heatwave")
Vagabon (2019)
Sortie : 18 octobre 2019 (France).
Album de Vagabon
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
Après le rock brut, épuré et presque artisanal de son premier album, Laetitia Tamko expérimente avec une palette sonore plus électronique, folk, pop et, par moments, symphonique. "Vagabon" est un projet plus abouti et précis que "Infinite Worlds", aussi bien au niveau de sa production que son écriture, encore plus vulnérable et révélatrice que sur le premier essai de l'artiste camerounaise. Riche en guitares, synthés et violons, les différentes chansons qui composent le disque semblent prendre la forme de véritables tableaux musicaux, telle des peintures transposées en sons, notes et mots. Cela est particulièrement palpable sur un morceau aussi cinématique et orchestral que "Home Soon" qui transporte l'auditeur dans un paysage magnifié en musique. Afin de ne jamais perdre sa délicatesse et sa fragilité humaine et rassurante, Vagabon y murmure quelques mots, nous rappelant que ceci n'est qu'un fantasme, qu'une chanson, et que ce voyage introspectif et musical se terminera sous peu, dès les dernières notes de guitares de la balade acoustique puissante qu'est "Every Woman" auront retenti. Car c'est ici toute la réussite de ce second opus éponyme, cette capacité à proposer des morceaux à l'instrumentation spectaculaire ("Flood", "Home Soon") et d'autres réduits à l'essentiel ("In A Bind", "Secret Medicine") sans jamais donner l'impression d'un contraste fort entre les deux. "Water Me Down", la plus belle réussite de cet album, incarne parfaitement l'ingéniosité de Laetitia Tamko : superposer intelligemment quelques couches de production et faire d'une composition assez simple sur le papier un morceau accompli – entraînant, original, excitant, intime et franchement irrésistible.
(à écouter : "Water Me Down", "Home Soon", "Please Don't Leave The Table")
Psychodrama (2019)
Sortie : 8 mars 2019 (France).
Album de Dave
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
Dave livre sur son premier album un testament honnête, personnel et brutal. La richesse de "PSYCHODRAMA" se puise surtout dans les textes de l'artiste londonnien qui s'intéresse sur ce projet à différents sujets récurrents et liés entre eux. Le rappeur anglais s'exprime ici avant tout sur sa dépression et ce qui a pu déclancher celle-ci, une thématique qui compose ici le coeur de l'album qui est conçu comme une discussion entre Dave et son psychologue. Cette réflexion autour de la dépression et de la santé mentale - qui commence petit à petit à avoir un véritable écho dans le rap - offre des moments puissants et percutants ("Lesley", "Psycho"), épaulés par une production sombre, parfois presque sinistre, mais souvent sobre et tout en retenue, qui souligne parfaitement les thèmes et le ton sérieux de "PSYCHODRAMA" et l'état d'esprit du rappeur.
Souhaitant offrir plus de contexte à cette discussion autour de la santé mentale ainsi que s'exprimer davantage sur son quotidien et celui de ses proches, Dave évoque d'autres thèmes plus politiques : sa vie dans les rues de Londres sur "Streatham" et "Screwface Capital", les inégalités sociales et raciales sur "Black", l'industrie du disque sur "Environment", les relations abusives sur la captivante fresque musicale de 11 minutes "Lesley" ou encore l'incarcération pénitentiaire sur "Disaster" et le particulièrement personnel "Drama". Brutalement honnête, "PSYCHODRAMA" comprend également quelques morceaux plus ... "légers", on dira, comme le très beau "Purple Heart", sur lequel Dave expose ses sentiments et son affection pour quelqu'un, aux accents R&B qui cherchent à apporter un peu de lumière à un disque - et un quotidien - sombre. Avec "Location" et "Disaster", la rappeur anglais signe aussi deux titres qui ont un fort potentiel radiophonique même si le dernier comporte la participation de J Hus qui purge actuellement une peine de 8 mois en prison, prouvant que même lorsque Dave offre un morceau qui pourrait facilement trouver sa place au sein des playlists de la BBC, il reste profondément engagé et significatif. Avec "PSYCHODRAMA", Dave signe un album autobiographique puissant et peint au passage le portrait d'une génération.
(à écouter : "Disaster", "Purple Heart", "Psycho")
Lost Girls (2019)
Sortie : 6 septembre 2019 (France).
Album de Bat for Lashes
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
Sur son cinquième album, Natasha Khan embrasse complètement la synthpop 80s pour créer la bande-son d'une sorte de film. Cette histoire de vampires se déroulant à Los Angeles qu'elle s'est imaginée sert de concept et de ligne directrice à ce projet. S'il y a en effet quelque chose de mystique, de cinématique et de très romantique dans "Lost Girls", on pense plus souvent aux films de Steven Spielberg en écoutant le cinquième opus de Bat For Lashes qu'à "The Lost Boys" ou "The Hunger", qui ont été une source d'inspiration pour la chanteuse britannique. Et c'est un très grand compliment car cela prouve que le côté nostalgique et rétro des productions est très bien exécuté. Beaucoup d'albums jouant sur cette tendance "revival 80s" sont sortis ces quatre dernières années, et là où beaucoup sont tombés à côté de la plaque ou utilisent la nostalgie kitsch comme un gimmick, sur "Lost Girls" on sent que Natasha Khan connaît bien cette musique, qu'elle l'aime profondément et qu'elle l'utilise intelligemment pour dessiner un paysage dans lequel faire vivre ses chansons et son histoire de vampires.
Autant être honnête : même si l'artiste anglaise est très passionnée vis-à-vis du concept de son cinquième opus, si elle n'avait pas expliqué celui-ci dans toutes ses interviews, on ne l'aurait probablement pas saisi. Mais au delà de sa fantaisie vampiresque, le fait est que Natasha Khan est très passionnée par ce qu'elle fait et cela se ressent énormément, aussi bien dans ses expérimentations (la piste instrumentale "Vampires", ultra-cinématique), que dans l'atmosphère très "L.A." de son disque ("Kids in the Dark", "Peach Sky") et ses compositions et performances vocales. "Lost Girls" est un album rempli de pépites où les mélodies sont aussi aériennes et prenantes que les productions travaillées et véritablement cinématiques. Un beau petit disque qui ne paye pas forcément de mine à la première écoute mais qui révèle rapidement son originalité et la passion qui l'a fait naître.
(à écouter : "Desert Man", "Kids in the Dark", "The Hunger")
Outer Peace (2019)
Sortie : 18 janvier 2019 (France). Pop, Indie Pop, Dance-pop
Album de Toro y Moi
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Note : 7.9
Quoiqu'il arrive, on pourra toujours compter sur Chaz Bundick pour nous offrir des albums créatifs qui nous plongent dans une atmosphère décalée et colorée. Donnant suite au très beau "Boo Boo" qui voyait l'artiste américain réinventer complètement son univers sonore, "Outer Peace" est fidèle à cette chillwave qui empreinte un peu à la funk, au disco et au hip-hop pour créer un patchwork musical assez surprenant mais toujours efficace.
Mais si "Boo Boo" était un album assez expérimental avec plusieurs morceaux instrumentaux et donnant l'impression d'écouter une longue chanson contenant plusieurs mouvements, "Outer Peace" joue plus sur l'aspect pop des choses en proposant une collection assez courte de chansons très accrocheuses et pleines d'originalité joussive. Avec "Freelance", "Who Am I" ou encore "Laws Of The Universe" (parmi d'autres), Toro y Moi propose des morceaux aux rythmes soutenus et extrêmement efficaces nous plongeant directement dans l'ambiance d'un nightclub des années 90s. Sur "Miss Me", un duo avec la chanteuse ABRA, et "New House", l'artiste américain s'aventure davantage vers un R&B très actuel, et enfin celui-ci nous offre des moments atmosphériques et planants comme les deux pistes qui clôt l'album avec brio, "Monte Carlo" et "50-50", dominé par un piano mélancolique qui n'est pas sans rappeler les plus beaux moments de "Boo Boo".
Sans être le meilleur album de Toro y Moi, "Outer Peace" est un disque euphorique et rempli d'originalité qui s'écoute avec un plaisir rarement égalé et qui cimente Chaz Bundick comme un des musiciens et des artistes pop les plus doués de sa génération.
(à écouter : "Miss Me", "Laws Of The Universe", "50-50")
CrasH Talk (2019)
Sortie : 26 avril 2019 (France).
Album de ScHoolboy Q
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.8
ScHoolboy Q signe avec "CrasH Talk" son retour tant attendu après son quatrième album "Blank Face" qui a été, d'une certaine façon, sa consécration artistique. Si le cinquième opus du rappeur américain ne regorge pas forcément de la créativité qui avait fait de son prédécesseur un disque véritablement percutant, "CrasH Talk" réunit tous les éléments que l'on apprécie chez ScHoolboy Q : un flow aiguisé, une ambiance sombre, des textes très personnels et des productions parfois riches, furieuses et efficaces ("Floating", "Numb Numb Juice"), et parfois plus épurées, mettant en avant les paroles et le côté "mélo" du rappeur ("Drunk", "Water").
Produit en très grande partie par Sounwave et DJ Dahi, "CrasH Talk" est un album cohésif et court qui emmène l'auditeur à travers une véritable expérience même si celle-ci ne paraît pas aussi évidente que "Blank Face" qui brillait par l'aspect plus varié de ses productions. Mais sur ce cinquième album, ScHoolboy Q a bien des choses à dire et à partager avec ses auditeurs ce qui fait de ce "CrasH Talk" un disque profondément personnel et troublant. L'album débute sur "Gang Gang", un morceau sur lequel le rappeur, fidèle à son image de "gang member", célèbre son passé de dealer et sa vie dans le ghetto avant de prendre une véritable distance avec cet aspect de son histoire et de parler ouvertement des répercussions que ce mode de vie a pu avoir ("Tales"). Sur le reste de "CrasH Talk", ScHoolboy Q discute de sa vie de famille, de l'industrie du disque, de la drogue et de son passé, présentant l'artiste en pleine réflexion. Cet album semble presque sonner comme celui de la maturité pour le membre de TDE qui ne perd jamais de son énergie et reste toujours fidèle à lui-même - même lorsqu'il collabore avec d'autres artistes connus pour leurs palettes sonores distinctes (Kid Cudi, Travis Scott) - tout en présentant un projet plus personnel qu'auparavant, même si par moment la production stagne un peu.
(à écouter : "Floating", "CrasH", "Drunk")
Closer to Grey (2019)
Sortie : 2 octobre 2019 (France).
Album de Chromatics
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.8
Quasiment 5 ans après la date initialement prévue pour la sortie de leur projet très attendu, "Dear Tommy", le groupe de Ruth Radelet et Johnny Jewel ont enfin révélé leur 7e album. Mais il ne s'agit pas de celui qu'on attendait et qui avait été teasé par le superbe "Shadow" ou l'entraînant "Girls Just Wanna Have Some", mais d'un certain "Closer to Grey" dont la pochette évoque directement l'affiche d'un film de Dario Argento. Sans surprise, la musique aussi ! On retrouve bien les synthétiseurs et les productions atmosphériques qui sont la signature de Chromatics, mais contrairement à leur précédent opus, "Kill For Love", ou les singles qu'ils ont révélé ces dernières années, les instrumentales sont beaucoup moins chargées, ce qui rend leur musique encore plus hypnotique et hantante.
"Closer to Grey" s'ouvre sur une reprise d'un grand classique - une de leurs spécialités ! - le "Sound of Silence" de Simon & Garfunkel dans une version on ne peut plus épurée. Même si la voix de Ruth Radelet est douce, on plonge instantanément dans une ambiance sombre qui n'est pas sans rappeler le début d'un giallo. Puis suivent rapidement des morceaux beaucoup plus dansants, comme "You're No Good" et "Twist The Knife", mais toujours en nous plongeant dans une atmosphère assez mystérieuse et onirique. Ces morceaux uptempos sont entre-coupés par des pistes lentes, comme le très doux "Move a Mountain" ou l'étrangement sensuel "Touch Red", ce qui renforce l'impression d'assister à différentes scènes, ce qui rend ce "Closer to Grey" fascinant à écouter. La musique de Chromatics a toujours été très cinématique, mais rarement ont-ils réussi à nous transporter dans un nivers sonore aussi magistralement confectionné, avec un côté parfois un peu kitsch et "over-the-top" (le morceau de 8 minutes "On The Wall") très appréciable et qui confirme le groupe américain comme étant vraiment à part dans le paysage rock indie.
(à écouter : "You're No Good", "Move a Mountain", "On The Wall")
Is He Real? (2019)
Sortie : 4 septembre 2019 (France).
Album de IDK
Keith Morrison a mis 7/10.
Annotation :
Score : 7.7
IDK a décidé de faire de son premier opus un concept-album autour de Dieu : "is he real?" demande-t-il. Si ce questionnement se retrouve dans les interludes de son album, donnant la parole à des invités de marque tels que DMX et Tyler, the Creator qui donnent leur avis sur la question de la croyance de façon parfois originale - DMX prenant le rôle d'un pasteur - la ligne directice de "Is He Real?" n'est pas sa force principale. En réalité, le concept est plus décoratif ici qu'autre chose, comme le prouvent très vite des morceaux tels que "Alone", où il est question des années lycées du rappeur et de son incapacité à trouver sa place, ou "Michael What TF", qui parle des difficultés qu'il a rencontré dans sa relation avec son beau-père. On retrouve le thème de la religion et surtout la question de "Dieu est-il réel ?" sur "European Skies" par exemple, mais encore une fois la thématique sert plus de toile de fond à des expérimentations beaucoup plus intéressantes et réjouissantes que le concept initial de l'album.
Car voilà, si celui-ci sert au moins à quelque chose, c'est qu'il semble avoir permis à IDK de prendre certaines libertés quant à la création de ses morceaux, livrant un album qui, pendant seulement un peu plus de 30 minutes, entraîne l'auditeur dans un flux ininterrompu de musique, court mais euphorique. Sur des titres tels que "Alone" ou "Digital", IDK signe des morceaux accrocheurs, qui auraient pu facilement inonder les ondes radiophoniques, avec des refrains et des lignes très entêtants ("Flashback, digital dash") mettant dès lors le potentiel de l'artiste en avant. Mais au delà du prometteur faiseur de tubes qu'est IDK - honnêtement, je ne comprend pas comment certaines des chansons présentes sur cet album n'ont pas connu plus de succès sur les plateformes de streaming - "Is He Real?" met aussi en avant un artiste qui souhaite prendre des risques et s'aventurer sur des terrains différents qui ne sont pas le sien à priori, comme sur "December" sur lequel il invite le chanteur nigérien Burna Boy ou les réflectifs et personnels "European Skies" et "Julia . . .". "Is He Real?" est une petite bombe à retardement. A l'instar d'un Denzel Curry, il semble évident que si IDK continue à être aussi ambitieux et expérimenter avec sa musique, un large public hip-hop ne restera pas longtemps indifférent au rappeur et producteur américain.
(à écouter : "Digital", "European Skies", "Michael What TF")
Heard It in a Past Life (2019)
Sortie : 18 janvier 2019 (France).
Album de Maggie Rogers
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.7
Le premier album très attendu de la révélation pop-indie Maggie Rogers ne réinvente rien au genre et il n'a aucunement la prétention de vouloir le faire. La créativité de la jeune artiste est palpable plus d'une fois à travers ce disque ("Say It", "Fallingwater" et le titre qui l'a propulsé au rang de "up-and-coming artist" en 2016, "Alaska") mais jamais véritablement exploitée comme elle devrait. "Heard It in a Past Life" est avant tout un album personnel qui célèbre la liberté et les doutes qui entourent le passage à l'âge adulte sur un fond de musique pop légère et lumineuse.
Le trio de chansons qui ouvrent l'album a de quoi faire un peu peur : produits par Greg Kurstin, ces morceaux se veulent avant tout accrocheurs en jouant clairement sur des tendances déjà surexploitées par HAIM ou MUNA. Le disque se réveille vraiment quand retentissent les premiers notes de "Alaska" et que Maggie Rogers se retrouve aux manettes de la production, délaissant celles qui lui pesaient trop dessus et faisaient disparaître sa créativité et parfois son honnêteté. "Lights On" est un morceau de pop mélancolique parfait au refrain qui n'est pas sans rappeler les tubes les plus entêtants de Fleetwood Mac. "Fallingwater" est le type de productions pop-indie aériennes pleines de créativité qui captive l'auditeur grâce à ses différents mouvements. "Say It" est un peu plus brumeux, le refrain rappelant légèrement une influence de R&B, pas forcément efficace dès la première écoute mais qui se révèle après plusieurs. "Past Life" est un titre piano-voix très beau et fort émotionnellement, mettant en avant les qualités d'auteures-compositeurs de Maggie Rogers et la puissance de sa voix.
Et pour ce qui est du reste des productions signées par Greg Kurstin, et bien ce coup-ci elles fonctionnent : "Retrograde" - qui n'est peut-être pas des plus originales mais au moins ne donne pas l'impression d'être sortie tout droit d'un album de HAIM - est dominé par un refrain euphorique porté par un riff de guitare, et "Back In My Body" est le final atmosphérique et grandiose que l'on attendait, remplissant donc complètement sa mission. Et au final, même le trio d'ouverture est loin d'être mauvais - "The Knife" est particulièrement accrocheur - même s'il est peu inspiré et peu fidèle au potentiel de Maggie Roggers. "Heard It in a Past Life" remplit donc parfaitement sa mission.
(à écouter : "Alaska", "Past Life", "Fallingwater")
- Ugh, those feels again (2019)
Sortie : 16 août 2019 (France).
Album de Snoh Aalegra
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.6
"- Ugh, those feels again" nous prévient Snoh Aalegra avec le titre de son second opus. La couleur est annoncée : les tourments amoureux et la soul moderne qui avaient fait de "FEELS", le premier album de la chanteuse suédoise, un triomphe seront de nouveau au rendez-vous. Et la protégée de No I.D. ne déroge pas à sa promesse, nous plongeant dès son introduction dans l'univers R&B et soul intemporel familier. La musique de Snoh Aalegra est teinté d'une chaleur et d'une douceur très fortes, ce qui en fait sa principale force. Nous retrouvons cela sur "I Want You Around", romantique à souhait et au pré-refrain très entêtant (la façon dont Aalegra chante "All I wanna hear is "Innervisions" on replay/And sit right next to you, you" avec tant de douceur et de sensualité est du génie en soi), "Njoy" et "Find Someone Like You". Mais sur "- Ugh, those feels again", la chanteuse se montre aussi plus joueuse et encore plus honnête qu'auparavant.
Comme beaucoup d'artistes cette année, tels que James Blake, Snoh Aalegra retrace chronologiquement en chansons une relation amoureuse, des premiers émois à la rupture et ce qui vient après celle-ci. C'est un album donc plein de vie et d'émotions que nous offre l'artiste suédoise qui passe par tout les stades émotionnels possibles. Mais qu'elle soit amoureuse sur "Whoa", remontée à bloc sur le furieux "Nothing to Me" ou blessée et vulnérable sur "You" et "Be Careful", la passion et la présence de Snoh Aalegra émanent de toutes les pistes de "- Ugh, those feels again" ce qui aide l'album a être percutant tout du long de ces 14 pistes. Vocalement, la chanteuse est toujours au top de sa forme, plus émotive que jamais avec ses petits flows accrocheurs ("Nothing to Me"). Musicalement, Aalegra s'oriente vers un son parfois un peu plus pop et léger (le magnifique "You"), mais son second album révèle avant tout une forte influence de R&B du début des années 2000, ce qui rend le projet encore plus joueur et efficace ("Love Like That", "Situationship"). La seule différence avec "FEELS" est que son successeur manque de la variété et des quelques expérimentations qui avaient fait du premier opus de Snoh Aalegra un disque marquant et hypnotique. Mais toute évolution est bonne à prendre et la chanteuse ne déçoit pas une seconde avec ce second opus !
(à écouter : "You", "Situationship", "Love Like That")