nov 2011:

De tous les films que j'ai vus avec Stefania Sandrelli, celui-ci est certainement où elle est la plus belle, la plus sensuelle.

Pourtant, le sujet et le cadre ne se prêtent guère à cet aspect. Elle joue une jeune fille séduite par le fiancé de sa sœur. Mais l'histoire se déroule dans une ville sicilienne et cela change tout. A cette époque et dans ce pays la question de l'honneur est centrale, plus importante que tout. L'individu y est écrasé par cette donnée fondamentale qui s'impose à tous.

Et le film décrit de manière très précise cette question d'honneur, cet enfermement social par lequel tous les membres d'une famille sont liés sans qu'ils aient la moindre possibilité de s'en défaire.

Police et Justice montrent leur impuissance, témoins de cet ordre des choses et incapables d'y donner une quelconque réponse. Les femmes sont les premières victimes de cette absurdité. Les enjeux de représentation font peser sur elles la plus grande part de culpabilité. C'est toujours d'elles que vient le déshonneur. Certes, parfois les hommes prennent un peu de leur part, mais quand ils sont jugés crétins ou cocus, les femmes finissent toujours pas être traitées de putains.

Germi décompose magnifiquement ces processus mentaux grâce à un scénario d'une rare lisibilité, d'une logique imparable. On est au bord de l'effet documentaire. Tous les éléments sont présents, clairs et nets, réalistes. Son art de la mise en scène est de très haute volée.

La direction d'acteurs permet à toute la troupe de créer des personnages crédibles. Si bien que la démarche des auteurs (Germi, Age & Scarpelli, etc.) est toujours parfaitement compréhensible. J'ai souvent cette image de l'artisan penché sur son minutieux labeur pour illustrer le sentiment d'avoir à faire avec un ouvrage finement exécuté, après un travail méticuleux par un professionnel compétent, rigoureux et sûr. C'est nettement le cas à la sortie de la salle.

Je loue les organisateurs d'ailleurs pour avoir proposé ce samedi matin la projection de ce film juste avant "Divorce à l'italienne", les deux films évoquant exactement le même problème sous deux angles totalement contraires.

Mais revenons à la troupe de comédiens que s'est adjoint Pietro Germi car ils offrent des prestations tellement remarquables!

Saro Urzi est un comédien dont la tête ne peut pas vous être inconnue, vous l'avez vu dans maints films ; les Français le connaissent au moins pour l'avoir vu aux côtés de Peppone dans les Don Camillo. On le retrouve souvent dans les films de Germi. Mais c'est dans ce film que l'on peut mesurer l'étendue de son talent. Un comédien qui a du coffre et une réjouissante sureté dans les effets. Toujours très juste, il avait pourtant de nombreux écueils à surmonter en jouant ce père sicilien prompt à la colère et à l'emportement. Mais jamais il n'en fait trop. Funambule formidable!

Face à lui, celle qui m'a immédiatement poussé à évoquer son irradiante beauté d'entrée de jeu en entamant cette chronique : Stefania Sandrelli est tout bonnement sublissime. Alors qu'elle porte les vêtements noirs et sévères d'une jeune sicilienne, sa démarche, son déhanchement, la finesse de ses jambes, la courbe de sa nuque, la douceur de son regard timide ou fiévreux sont incendiaires. Bomba. Ahurissante de sexualité, on peine à croire les réticences d'Aldo Puglisi à vouloir l'épouser. Ce dernier a également un visage connu ("La ragazza con la pistola", "Signore & signori", "Divorce à l'italienne", etc.). Il excelle ici à jouer le salopard fini.
On peut saluer aussi la présence de Leopoldo Trieste qu'on voit encore dans "Divorce à l'italienne", un gars que j'aime beaucoup depuis que je l'ai découvert dans "Le Sheik blanc" de Fellini.

Pour connaitre la culture sociale sicilienne, pour rencontrer d'excellents comédiens, pour prendre plaisir à "lire" cette histoire, pour Stefania Sandrelli, je vous recommande "Séduite et abandonnée".
Alligator
7
Écrit par

Créée

le 20 avr. 2013

Critique lue 605 fois

5 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 605 fois

5

D'autres avis sur Séduite et abandonnée

Séduite et abandonnée
Teklow13
8

Quand Honneur rime avec Horreur.

Un après-midi dans un petit village de Sicile, sous une chaleur étouffante, dans la demeure de la famille Ascalone, tout le monde fait la sieste. A l'exception de Peppino, promis à Matilde, et de la...

le 12 févr. 2012

6 j'aime

2

Séduite et abandonnée
Boubakar
8

Quand honneur rime avec horreur

Alors que toute la famille fait la sieste, un jeune homme, fiancé à une des filles, s'éprend de l'autre jeune femme, et abuse d'elle, ce qui fait qu'elle tombe enceinte. Quand le père apprend cela,...

le 19 nov. 2023

5 j'aime

2

Séduite et abandonnée
philippequevillart
8

L'honneur de la famille

Une nouvelle fois située dans une Sicile profonde faite de tradition et d'honneur, Sedotta e Abandonnata est dans la droite continuité du film précédent de Germi, Divorzio All'Italiana, proposant une...

le 30 janv. 2017

5 j'aime

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime