Une histoire pas mal ficelée des engins qui joue bien des héros stéréotypé mais mais au final rassurant bref un récit typique d'une époque où de nombreuses œuvres s'employaient à décrire de manière quasi documentaire un milieu professionnel. Graton se pliera de nouveau à l’exercice avec le monde des cascadeur de cinéma ("Les casses cou") et plus tard celui des travaux public ("Km 357").


Ci-joint ma fiche de lecture (je suis ouvert aux commentaires).
Titre : Route de Nuit


Auteur : Jean Graton


1ère publication : 1960 Tintin
Publication album : Le Lombard.


Sources : M. Flonneau Les cultures du volant XX°-XXI° siècles p. 118.


Ouvrage d'étude utilisé : Album original des éditions du Lombard.


4° album de la saga, il met en scène cette fois ci le monde des routiers comme pour les casse cou l'histoire mêle exposé documentaire et intrigue policière. L'aventure s'appuie sur le duo Michel Vaillant Steve Warson.

Commentaires :


Le tableau d'un milieu.


Qui exalte le monde des routiers qui possède ses propres rites (langages, rythmes, habitudes) attaché à des lieux spécifiques de sociabilité (restaurants routiers, émission de radio), ses propres rythmes de vie (sieste l'après midi et route de nuit) et fait de la profession des routiers un monde spécifique possédant ses propres lois plus ou moins indépendante de la loi commune (cf: thème de la justice rendue entre routiers, solidarité vis à vis des forces de l'ordre) autant d'élément qui rattache le personnage du chauffeur routier à l'élite prolétarienne en n'en faisant un héros (au sens de surhomme) capable de dépasser les limites humaines.
– Plus fort que la moyenne pour décharger le camion.
– Plus endurant capable de rouler des heures sans dormir.
L'intégration dans le monde de la route s'effectue par une nouvelle identité (le surnom qui fini par complètement remplacer le nom) qui assimile le monde des chauffeurs routiers à une forme de chevalerie qui possède ses rites et solidarités que l'on intègre qu'au terme d'une initiation (la formation s'effectue par apprentissage). Avant de prendre pleinement leurs rôle dans l'aventure les 2 pilotes automobile Michel Vaillant et Steve Warson, doivent pour s'intégrer subir un rite d'initiation qui consiste à conduire un poids lourds de Marseille à Paris et retours.
P 12 1/3 & 2/1, 2, 3 :
Steve Warson : « Depuis que je vois ces camions, j'ai envie d'en conduire un ! Cela est-il possible ? //
Michel Vaillant : Non, Steve ! Rouler quelques kilomètres au volant c'est du travail d'amateur ! Mais te sens-tu de taille à faire un aller retour Paris-Marseille ?
Steve Warson : Ok, ok !
Michel Vaillant : Chiche ?
Steve Warson : Chiche ? Quoi, chiche ?
Michel Vaillant : Chiche, ça veut dire que je te prends au mot ! Que je te mets au défi d'accepter ! »


La mise en scène du monde des routiers est cohérent avec le discours général de la série, qui s'attache à mettre en scène les aspirations à l'émancipation d'une catégorie sociale en montrant que la seule véritable solution réside dans la soumission à l'autorité naturelle des ainés d'essence plus où moins aristocratique.
Le sort du routier Jules Bonnet qui avait cru s'émanciper de la tutelle de son patron en acquérant son propre camion et qui au final réintègre l'entreprise Vaillant prend la forme d'une amende honorable.

P 63 1/3 & 2/1 :
Jules Bonnet : « Quand je pense qu'ils m'avaient fait quitter Ben ainsi que Yves, car nous inspirions confiance et ils pensaient que les douaniers ne soupçonneraient pas un gosse et un vieux comme moi !... J'ai été un fameux sot de marcher dans leur combine... //
Michel Vaillant : Votre bonne foi a été prouvée.. et Benjamin vous reprend avec lui. Tout va bien, Jules !
Jules Bonnet : Merci... Vous aussi vous avez été très bon pour moi. »
L'attitude de Jules mettant ses mains dans celle de Michel (P. 63 2/1) sur ces dernières paroles rappel à un adoubement où le vassal place ses mains dans celles de son suzerain.


La soumission de Jules rentrant dans le rang fait pendant à celle du jeune Yves Douléac qui à la fin coupe ses cheveux et abandonne son blouson noir pour entrer dans l'influence de Michel.
Vision chevaleresque d'une corporation professionnelle qui fait du chauffeur routier la version prolétarienne de l'aristocratique pilote automobile. Le cas du jeune Yves Douléac opère la transition entre 2 confréries d'apprenti routier (« Route de nuit ») il va devenir apprenti pilote (« Le 8° pilote »).
Même s'ils semble unie par le même principe de confraternité pilotes et routiers n'apparaissent pas égaux pour autant, semblable aux mécaniciens d'autres épisodes les routiers apparaissent comme les frères mineurs des pilotes.


Éléments d'un roman familial :


Hiérarchie sociale et spirituelle que la structure familiale s'applique à reproduire le rôle du patron des routiers est tenu par l'oncle Benjamin Vaillant patron d'une entreprise de transport dans la région marseillaise celui-ci plus faible (son prénom suggère un rang de naissance inférieur) se trouve contesté dans son autorité (ses chauffeurs le quittent car un concurrent leur propose d'acquérir leur propre camion et donc de s'autonomiser) Michel et Steve vont s'employer à restaurer l'autorité de ce patriarche contesté dans un rôle semblable à celui d'un champion médiéval :
– D'abord en palliant le manque de personnel, ils conduisent un camion.
– Ensuite en déjouant le complot visant l'autorité du chef dont les chauffeurs était finalement les victimes (le méchant leurs faisait faire de la contrebande).


On constate qu'on retrouve le thème déjà relever à propos de Barbe Rouge du fils sauveur du père (cf : fiche sur l'autorité).


On trouve également le thème du châtiment du fils dévoyé c'est à dire celui qui a voulu s'affranchir trop vite de la tutelle paternelle (Régis Blancardo le fils du patron de l'entreprise concurrente collabore au trafic mis en place par le méchant).


On trouve aussi le thème classique du mauvais conseiller (le comptable dévoué du patron est en fait le chef clandestin des trafiquants) mettre en cause directement l'omniscience de la figure paternelle celui-ci ne peut être qu'abusé le rôle du fils dévoué est alors de restauré l'autorité du père. En l'occurrence Michel Vaillant s'emploie là non seulement à restaurer l'autorité d'un membre de sa fratrie (son oncle) mais également à sauver celle de son adversaire.
On retrouve le thème paternaliste de rapports sociaux apaisés garanti par la soumission consentit à une autorité éminente et légitime.


Vision des loisirs :
Une autre manière de rapprocher les élites représentées du mode de vie (idéalisé) du plus grand nombre consiste à prêter aux personnages des désirs semblables à ceux de monsieur tout-le-monde. Le début de l'épisode montre Michel Vaillant et Steve Warson en vacances sur la cote d'Azur s'exerçant à la pêche à la ligne, tandis que son oncle le rejoint en utilisant le déplacement d'un de ses camion, a tous les niveaux la simplicité et la proximité interclasse semble de rigueur.


La présentation des loisirs s'inscrit, à l'instar du statut de la voiture des années 60, dans une logique de représentation de rapprochement interclasse. La côte d'azur correspond à la fois à un lieu traditionnel de villégiature la haute bourgeoisie depuis le XIX° et à un lieu en cours de développement pour le tourisme de masse. Le partage d'un même lieu de vacances et d'activités de loisirs semblable suggère un rapprochement. A la même époque « Le tour de Gaule » (1963) fait cohabiter à Nice différentes classes sociales qui partage le même lieu sans pour autant se mélanger.


Un nouveau contrat intergénérationel le fils sauveur du père.


Au prix de sa soumission le fils acquière le rôle de sauver le père qui doit souvent reconnaître sa dette vis à vis de ce fils. La série fournit ainsi un compromis psychologiquement acceptable à la soumission à la loi des ainés.


Enfin on remarque que le héros s'emploie à appliquer ce programme en développant une attitude pleine de sollicitude et de compassion à l'égard des plus faibles (il cherche à aider la veuve Douléac d'un des chauffeurs de son oncle) le message étant que le talent et la fortune donne plus de devoir que de privilège les avantages acquis par le statut social sont ainsi légitimé, comme il l'explique au jeune Yves Douléac.


P 9 4/2 :
Michel Vaillant : « J'ignore si c'est à la sueur de mon front que je gagne ma vie, mais je sais que j'y risque ma peau ! La petite course du dimanche, comme tu dis, me demande toute une semaine d'entrainement ! Ca demande une parfaite condition physique et m'interdit de mener la grande vie ! Pas d'alcool pas de tabac ! Mon père, mon frère et moi travaillons plus que n'importe qui ! Ce travail et les risques que je prends permettent de faire vivre des milliers d'ouvriers ! Le glorieux moment où je reçois le bouquet du vainqueur, eh bien, je l'ai bougrement bien mérité ! »


La mise en scène des rapports intergénérationnel s'éffectue suivant le modèle unique de la reproduction du modèle paternel.
P 10 1/1 :
Michel Vaillant : « ...et j'ajouterais que même à l’âge que j'ai, si je devais parler chez moi comme tu viens de le faire, mon père m'assomme sur le champ ! »


On peut noter que Michel Vaillant malgré sa carrure et son prestige continu à se présenter comme un fils.
– Il existe d'abord par son nom de famille.
– Quand il dit « chez moi » il évoque la maison de ses parents.
– En vacances, il se rend dans la villa de ses parents à Menton et sa mère tiens la maison.


Michel Vaillant apparaît comme l'anti enfant-gaté, son travail lui interdit les excès, qu'incarne Régis Blancardo qui parcours à toute vitesse les routes de la côte d'azur au volant d'une Jaguar blanche (P 29 3/1) voiture et attitude qui rattache Régis au modèle d'une certaine jeunesse dorée adepte de voitures rare et sportive dont Françoise Sagan et Roger Nimier constituent les archétypes . Outre le cas de Régis Blancardo, Michel Vaillant exprime son dégout des snobs qui ne s'attache qu'au paraître.
P 34 3/1, 2 :
Conducteur : « Michel, tu viens avec nous ? On va passer la soirée à Saint-Trop avec Sacha... […] //
Steve Warson : Pourquoi as-tu refusé ?
Michel Vaillant : Pourquoi !? Je ne peux pas supporter ces jeunes snobs ! …et encore moins Saint-Tropez en cette saison. »


La morale est claire le héros Michel Vaillant se place résolument du côté des travailleurs et refuse de s'associer aux jeunes oisifs.

On peut noter à contrario que le fils dévoyé Régis Blancardo dispose de son appartement personnel. L'échec de Régis Blancardo (il tombe sous la coupe d'un maitre chanteur et est incapable de lui résister) souligne le l'importance vitale de la soumission à l'autorité des ainés.
P 62 4/1, 2, 3 :
Régis Blancardo : « Lemaitre me tenait ! ...Il y a 6 mois j'avais perdu une forte some au jeu !... Lemaitre m'a avancé de l'argent de la caisse, me disant que j'avais le temps pour rembourser, et qu'il camouflerait cela dans sa comptabilité... // ...et puis je me suis enfoncé. Il m'a encore avancé de l'argent... pour environ dix mille francs... et puis un jour, il a menacé de tout dévoiler à mon père si...
Le Père : Si ?
Régis Blancardo : ...si je ne voulais pas l'aider dans son trafic !... Alors... »


Michel tire ensuite la conclusion pour le jeune Yves.
P 63 1/ 2 :
Michel Vaillant : « Tu vois Yves, tout le mal que Régis a fait à son pauvre père ! Espérons que Monsieur Blancardo guérira vite... »


Les signes du progrès et du modernisme qu'illustre la voiture décapotable (P7 4/1) et la villa d'architecture moderne (P4 2/2) apparaissent comme des signes ambivalent :


Associé à la droiture morale du héros ils correspondent à une récompense.
Sur des esprits faibles ces même signes agissent comme des poisons en voulant accéder aux objets du progrès il sombre dans la déchéance n'ayant pas perçu que le progrès n'est que la conséquence d'une attitude morale.

Attitude morale fondé sur le travail et le respect de l'autorité paternelle.


L'attitude prêtée au personnage du jeune Yves Douléac suggère que le désir d'émancipation et de réussite des jeunes est légitime
P 10 2/2 :
Yves Douléac : « ...moi aussi, je veux ma voiture sport, une salle de bains, la télé... »
Mais que l'assouvissement de désir passe par l'adhésion à une morale dont les ainés sont les porteurs, à la fin le jeune Yves fait allégeance à cette morale en coupant ses cheveux et abandonnant son blouson noir (P 63 4/3).
P 64 1/1:
Michel Vaillant : « Tu as fait couper ta tignasse ! Bravo!
Yves : Je savais que vous n'aimiez pas mes cheveux longs !... Et j'ai aussi renoncé à mon blouson noir ! »


Pour illustrer cette morale très conformiste l'auteur recours à des codes graphiques largement utilisé dans la représentation des jeunes.


Cheveux longs et blouson noirs peuvent s'assimiler


Graphiquement on peut remarquer l'existence dans code cheveux :


Les cheveux courts s’opposent aux cheveux longs.
Les bruns incarnent les bons.
Le blond semble plutôt dévolu aux méchants (Régis, Lemaitre) si Steve Warson est incontestablement du côté des bons on peut se souvenir qu'il fut d'abord du genre ''bad boy'' dans « Le grand défi ».

Vision des milieux sociaux :
Les habitations illustrent les niveaux sociaux.
La modestie de la famille Douléac s'illustre par la faible spécialisation des pièces , la pièce commune semble être à la fois salle à manger et cuisine. Le fait qu'une machine à coudre soit figuré laisse supposer que la pièce sert également de lieu de travail à la veuve Douléac, le fait qu'Yves signale ''une salle de bain'' dans ses désirs d'avenir indique que l'appartement en est dépourvu.


A l'opposé l'appartement de Régis comporte un cabinet de toilette (P. 24 3/2).


Vision du jeune :


La vision des jeunes présenté par l'album est semblabe à celle qu'au même moment Goscinny et Uderzo campe à travers le personnage de Goudurix (« Astérix et les normands » 1966) ce dernier affiche des caractéristiques semblable au jeune Yves Douléac.


L’aventure peut également se lire sous l’angle d’une tragédie oedipienne mettant en scène la mère d’Yves Douléac et Benjamin Vaillant.


On peut noter que Benjamin Vaillant n’est pas marié et n’a pas d’enfant. Rien n’indique non plus qu’il soit veuf. On peut lire cet état de fait comme un défaut d’émancipation son frère ainé Henri Vaillant le maintenant dans un rôle subordonné :
- Il n’est que patron d’une entreprise de transport dans lequel son frère a des intérêts.
- Il est le parrain du héros manière de rester dans l’ombre de son frère comme substitue paternel.


Pour s’émanciper de cette castration Benjamin ne semble pouvoir recourir qu’à la transgression il cherche à prendre la place de père dans la famille Douléac après avoir tué le père d’Yves.
P 6 3/3 :
Benjamin Vaillant : « […] tu sais l’intérêt que je porte à ce gosse et à sa mère dont le mari s’est tué au volant d’un de mes camions, cela va faire huit ans ! »
Benjamin Vaillant reproduit là le schéma biblique de David et Bethsabée. Les huit ans évoqués semble correspondre au temps de deuil nécessaire et révèle le désir de Benjamin.
La révolte du jeune Yves qui de l’aveu même de Benjamin lui « échappe » (P 6 4/3 : « ce gosse m’échappe ! Sa mère et moi avons peur qu’il lui arrive malheur ! ») peut se lire comme une colère vis-à-vis d’un usurpateur assassin de son père.


Il cherche un substitut paternel en la personne du vieux routier Jules Bonnet, mais finalement c’est en proie à des figures de grand frère avec lesquelles il se confronte.
En proposant à Yves d’entrer dans l’école de pilotage Michel achète en quelque sorte la place de son oncle parrain auprès de sa mère.
L’émancipation apparait comme un jeu de dupe.
Yves fait sa soumission à Michel.
Benjamin peut prendre place aux cotés de la mère d’Yves mais celui-ci lui échappe définitivement et leur ages ne suggère pas que ils auront des enfants ensembles.

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le 21 mars 2020

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