Alors qu’ils ont déjà publié un – excellent – album cette année, l’inusable "Mind Hive" qui tourne obsessivement sur notre platine depuis janvier, voilà que les vétérans stakhanovistes de Wire nous reviennent déjà avec un "10:20" de 38 minutes, qui s’avère rapidement un double paradoxe.
Le premier paradoxe est que cet album inattendu n’est « qu’une compilation » de morceaux abandonnés lors de l’enregistrement de disques précédents ("Red Barked Tree" et "Mind Hive") et « rescapés », réenregistrés – certains il y a dix ans, pour la première partie de "10:20", et d’autre plus récemment, pour la seconde partie – dans le but de sortir un objet exceptionnel pour le Disquaire Day 2020… et s’avère pourtant d’une cohérence imparable, tout-à-fait comparable à celle de "Mind Hive". Le second est que nous parlons d’un groupe qui a plus de 40 ans d’activité sous la ceinture, un groupe qui n’a jamais cessé d’évoluer, de travailler et retravailler sa musique, de la rudesse punk de ses débuts à la richesse mélodique de ces dernières années, en passant par cette froideur de ce qu’on qualifia longtemps de cold wave : or, ce qui ressort avant tout ici, c’est une formidable cohérence, une démarche immédiatement reconnaissable en termes d’ambition que l’on peut qualifier sans exagération chez Wire de conceptuelle. Entre des titres marquant clairement le territoire du groupe – un peu comme les titres des chansons de Joy Division, on identifie facilement un morceau de Wire – et cette sorte d’obstination dans le propos dissimulée derrière une légèreté croissante de la musique, il est difficile de ne pas se sentir à nouveau – profondément – impressionnés par ce groupe décidément essentiel !
Nous voici donc avec 38 minutes de musique de Wire en grande partie déjà connue, mais jamais tout-à-fait entendue sous cette forme… L’album débute magnifiquement avec "Boiling Boy", qui date de 1988 (eh oui !) et est l’un des morceaux les plus joués par Wire sur scène, mais la version proposée ici peut être vue comme une sorte de « point à date » : comment résister à la formidable montée en intensité à mi-morceau, ascension bruitiste qui peut rappeler les plus beaux moments du Wedding Present à son apogée ? L’enchaînement avec une version accélérée et très euphorisante de "German Shepherds" finira de convaincre les derniers indécis : voilà du très grand Wire, et pas des fonds de tiroir ! Si "He Knows" nous offre une sorte de rêverie « hypnotique » qui s’épanouit finalement dans une conclusion imprévue : « We’re hypnotized / With All Your Lies » (ce qui ferait un excellent commentaire sur la politique britannique du moment), on retrouve avec plaisir un pogo agressif typique des débuts du groupe sur un "Underwater Experiences" hululant et brutal : magistral, tout simplement !
On enchaîne brillamment avec "The Art of Persistence", probablement notre chanson favorite de l’album, tant la mélodie magnifique est servie par la précision chirurgicale de l’interprétation et le chant posé de Colin Newman. "Small Black Reptiles" et "Wolf Collides" maintiennent la qualité mélodique dans des ambiances assez semblables, éthérées et mystérieuses, mais c’est surtout l’impressionnante conclusion de l’album, "Over Theirs" qui frappe l’auditeur : riff souterrain hargneux, martèlement puissant de la batterie, vocaux qui dansent au-dessus du chaos comme un funambule gracieux mais déterminé, voilà un titre terriblement impressionnant. Le fait que le morceau se termine, se meurt plutôt, dans un très long drone – plus de 3 minutes – offre une conclusion parfaite à ce 10/20 totalement réjouissant. Et inattendu.
[Critique écrite en 2020]
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