Critique de 1969: Velvet Underground Live With Lou Reed, Vol. 1 (Live) par Henriane
Le son est baveux mais l'album fabuleux.
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le 20 nov. 2012
Je considère personnellement le Live 1969 du Velvet Underground comme l’album live le plus important de ma vie. Je ne dis pas que c’est le meilleur album live jamais publié – le son est correct, sans plus, la track list pourrait être améliorée : d’ailleurs la version CD a rajouté 4 titres intéressants qui n’y figuraient pas à l’origine, et depuis, ont été mis à disposition des mélomanes d’autres enregistrements de la même époque d’une qualité supérieure. Mais le double album live original, en vinyle, est l’un des rares disques qui changèrent ma vie, qui révolutionnèrent ma perception de ce que la musique pouvait faire. Et donc, sans doute également, de ce qu’elle devrait être.
La pochette de l’album est laide, c’est certain, mais à l’intérieur, quand on la déplie, on découvre un texte littéralement extraordinaire, écrit par Elliott Murphy en 1972, alors qu’il n’avait même pas encore enregistré son premier album, Aquashow (1973), d’ailleurs fort inspiré par le songwriting de Lou Reed. Elliott raconte que c’est Paul Nelson, qui travaillait alors pour Mercury records et avait été chargé de la compilation des titres à inclure sur le double album, qui lui avait demandé d’écrire cette introduction à la musique du Velvet Underground. Elliott ajoute que, récompense inattendue mais fantastique, Lou Reed fut terriblement touché par ce qu’Elliott avait écrit, au point qu’il le contacta et qu’ils devinrent amis. Il faut reconnaître, en toute humilité, que cette déclaration d’amour au Velvet ne fut jamais surpassée : elle témoigne évidemment du talent reconnu d’écrivain d’Elliott, mais également du genre de passion que le Velvet pouvait déclencher.
Au début de son texte, Murphy nous projette dans les années 2070, et nous laisse imaginer un collégien qui doit préparer un projet sur l’histoire du Rock. Il écoute le Velvet, que va-t-il en penser ? Pas besoin d’attendre encore un demi-siècle pour se poser la même question : peut-on encore aujourd’hui, en 2024, saisir « facilement » la grandeur et la beauté de ces enregistrements immortalisant le groupe alors qu’il maîtrise parfaitement l’exercice de la scène, au cours d’une tournée des clubs aux USA et au Canada ? Ou bien n’y a-t-il plus, sur ce double album, pour le public d’aujourd’hui, qu’un chaos tantôt déplaisant (même si l’on n’est plus dans l’agression sonore des débuts, la version d’Heroin proposée ici « tue » littéralement), tantôt anodin (les superbes chansons « d’amour » de Lou Reed sont offertes dans une atmosphère très décontractée qui leur confère une innocence trompeuse) ?
John Cale a donc été viré du groupe par Lou Reed, même si la photo « anachronique » de l’intérieur de la pochette du double album vinyle le montre encore. Doug Yule est là et participe vocalement avec grâce à des titres essentiels (il remplace sans peine Nico sur I’ll Be Your Mirror !). La tracklist est prodigieuse, mêlant les classiques des trois premiers albums aux futurs titres de Loaded, dans des versions bien différentes de celles qui seront immortalisées en studio (Sweet Jane, lente et tendre, avec le fameux « pont » qui sera ensuite retiré par Lou Reed, sublime, Rock’n’Roll, mélodieux et plus chanté que martelé, New Age, avec – encore – Lou aux vocaux), ainsi que des titres qui ne sortiront que plus tard (le majestueux Ocean, bien plus impressionnant ici que sur le premier album solo de Reed). Lou Reed semble détendu, (enfin) heureux d’être là et d’avoir trouvé un auditoire, aussi réduit soit-il, pour sa musique), comme en témoigne ses interactions avec le public, avec sa fameuse question – ironique ? – sur l’heure à laquelle devrait se terminer le concert pour que personne ne se fasse gronder à la maison. Et surtout il chante (oui !) avec une conviction et une grâce qu’on sera bien en peine de retrouver plus tard au long de sa carrière solo !
Le son, sans être merveilleux, est bon, puisque le spectateur ayant enregistré – avec l’accord du groupe – ces concerts à Dallas et à San Francisco était un ingénieur du son qui avait apporté du matériel professionnel. On entend de temps en temps, sur les titres les plus calmes, les bruits de la salle (conversations et verres qui s’entrechoquent), mais, loin de constituer une gêne, iles contribuent à la magie de l’instant : après tout, comment ne pas envier ces gens qui assistent, sans le savoir, à l’un des plus parfaits « moments de rock’n’roll » de l’histoire de la musique ? On a régulièrement l’impression que moins d’une dizaine de personnes applaudissent à la fin des morceaux, ce qui est simplement incroyable quand on pense au maelstrom musical que déclenche ici le Velvet : les neuf minutes de What Goes On, une expérience parfaite que des centaines de groupes s’échinent depuis à reproduire sur toutes les scènes du monde, les onze minutes de Ocean, qui ont dû inspirer tant de musiciens de Post Rock, l’élégance destroy de White Light/White Heat, annonciateur de tout le mouvement qualifié à l’époque de « décadent », et surtout, répétons-le, la version « ultime » de Heroin jouée au Matrix de SF, l’un des plus grands vertiges existentiels que le Rock nous ait jamais offerts.
Alors voilà. J’espère très, très fort qu’un jeune homme ou une jeune femme qui découvrira aujourd’hui 1969 aura la même impression bouleversante, celle qu’Elliott décrivait parfaitement, celle que j’ai ressentie au plus profond de moi-même, en 1974. Car ce serait un signe important que la musique n’est pas devenue totalement un objet de consommation, un simple « contenu » pour les vautours de Spotify et compagnie. Que, comme l’écrivait Elliott Murphy, « la différence entre les films et le Rock’n’Roll, c’est que le Rock’n’Roll ne ment jamais ». Que la musique du Velvet reste DANGEREUSE (« Qu’est-ce que pense une mère quand elle demande à sa fille ce qu’elle est en train d’écouter, et que celle-ci lui répond : "Heroin" ?). Qu’elle est toujours ESSENTIELLE.
[Critique écrite en 2024]
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Créée
le 3 déc. 2014
Modifiée
le 16 juin 2024
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