Effet pervers de la mort de David Bowie, elle force presque à écrire à la première personne, tout en nous forçant à remettre de l’ordre dans nos souvenirs. Quel est le premier album écouté ? Difficile pour ma part de répondre à cette question, même si je remonte cela à « 1.Outside », album sorti en 1995 et qui permet à l’auteur de la trilogie Berlinoise de remonter la pente du succès après dix années de galère sur MTV. En réécoutant, il y a peu, cet album dans sa version longue, je me suis tout de même demandé comment j’avais pendant si longtemps pu exclusivement l’associer à « I’m Deranged », morceau ouvrant magnifiquement l’introduction du film « Lost Highway » de David Lynch.
Éclairé par une mélancolie glaciale, « 1.Outside » révèle, au fil des écoutes, une densité, et une complexité digne des plus grands albums de Bowie, tel que « Hunky Dory » ou « Space Oddity ». Dégageant une ambiance particulièrement sombre, alimentée par des guitares suintantes et une énergie rythmique terrassante, l’album, surfant sur la scène de Trent Reznor, se construit également sur des paroles lacrymales, assurant une vive critique du conformisme. S’enchainent alors des morceaux tous plus étonnants les uns que les autres, écrivant un cirque époustouflant. L’introduction, reposant notamment sur les morceaux « Outside » et « The Hearts Filthy Lesson », ne se prive pas de mettre à genou.
Comme un lyrisme suspendu, l’intensité de l’album ne cesse de redoubler, malgré son rythme assez inégal et son concept nébuleux. La voix de Bowie, tantôt ferme, tantôt atmosphérique, annonce un artiste aussi charnel que lointain, aussi démon qu’humain. « 1.Outside » pourrait, au final, être un album d’ambiance idéal, inaugurant enfin la période post-80’s de son auteur, qui par la suite se raréfiera en testant notamment l’électronique. Car, si il ne s’agit pas, à mes yeux, du meilleur album de David Bowie, « 1.Outside » demeure pourtant parfait. C’est un coup de fouet semblant égaré dans une autre dimension, une nébuleuse solennelle, radicale et sublime associant la remise en question et le talent du recyclage musical.
David Bowie a toujours brillamment réussit à se réinventer, à prendre des risques sans céder à l’aspect commercial de l’industrie musicale, malgré ses grandes compétences de businessman. « 1.Outside » sera probablement un album qui se laissera oublier dans sa vaste discographie. Il est vrai qu’il n’est pas aussi mémorable que « Ziggy Stardust » et son succès industriel fait pale figure par rapport à « Let’s Dance ». C’est pourtant l’album qui a poussé Bowie le plus loin dans sa démarche. Les fans de la première heure y verront une symphonie à la Pink Floyd, tandis que les amateurs de dancefloor n’auront pas de mal à activer leurs déhanchés sur « Hallo Spaceboy ».
Malgré ses quelques défauts remontant souvent à sa conception, cette balade, sombre et bouleversante, rappelle la capacité de Bowie à créer un album homogène avec son époque tout en se tournant vers l’avenir. Un fantastique voyage dans la marge de la musique pop, un coup de maitre créatif et innovateur. On a presque du mal à imaginer que l’auteur de cet album a déjà vécu plusieurs vies, pour le meilleur et pour le pire.