Fraîcheur mentholée eighties
« Le numéro d'équilibriste entre tradition et nouveauté auquel se livre « 90125 » commence par son titre et sa pochette. Le retour aux affaires de Yes étant celui d'un vétéran de la...
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le 15 août 2020
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« Le numéro d'équilibriste entre tradition et nouveauté auquel se livre « 90125 » commence par son titre et sa pochette. Le retour aux affaires de Yes étant celui d'un vétéran de la génération précédente, il était nécessaire de l'inscrire autant que possible dans la modernité. Pas question donc de confier la réalisation de la pochette à Roger Dean, de toutes façons passé dans le camp rival d'Asia. L'esthétique choisie prend l'exact contre-pied du style Dean : Minimaliste, futuriste et désincarnée. Quand au titre, à la première idée, trop autoréférentielle, de le baptiser « The New Yes Album » est préférée l'absence de message : 90125 est le numéro de catalogue de l'album. »
(Yes – Aymeric Leroy, Le mot et le reste, p.246)
Je me rappelle l'étonnement qui a suivi ce moment en live quand, en concert à l'Olympia en 2000, nos fiers gredins annoncent qu'ils vont jouer un titre des années 80, de 83 précisément. Là, une bonne partie du public se tripote d'emblée. Mais bien sûr qu'ils allaient jouer leur hit monstrueux, « Owner of a lonely heart » mon gars. Mais pas pour tout de suite. Ce fut pour le rappel. Non là, belle volte-face pour jouer les 7mn30 de « Hearts », la longue pièce progressive qui clôt le disque et c'était pas plus mal à vrai dire puisque ça s'inscrivait bien dans la tournée rock prog de l'album « The ladder » de 99, mais aussi tout bonnement parce que c'était le titre le moins pop de l'album. Logique, en somme. Et en un certain sens c'était rafraîchissant puisque ce titre n'a pas forcément dû être joué en live depuis un bon moment.
Bon du coup 90125, ça vaut quoi ?
J'écrivais « rafraîchissant » pour « Hearts » juste avant mais c'est le même sentiment qui me traverse quand j'écoute ou plutôt redécouvre 90125 après tout ce temps. Je crois que je ne l'avais plus écouté depuis 20 ans quasiment. Et, à la faveur de l'écoute de l'entière discographie du groupe suite à la lecture du livre de Leroy il s'avère que, sorti de la couche de poussière où il était, j'en ressors agréablement surpris.
Soyons clairs d'emblée.
Je reste un gros fan des années 70 de YES, purement prog comme une bonne partie du public du groupe je pense. Et quand on écoute ce disque (et qu'on voit sa pochette, ahem), on comprend qu'on est en face de quelque chose de radicalement différent. L'excellent « Drama » (1980), album déchu alors mais qui est depuis grandement réhabilité, permettait d'entrer de fort belle manière dans la décennie 80's, un pied dans le prog, l'autre dans les sonorités nouvelles (1).
Mais rien ne nous préparait du coup à 90125, calibré pile-poil pour les 80's par la volonté d'un Trevor Rabin qui s'accapare plus ou moins le groupe, reléguant le Trevor de l'album précédent (Trevor Horn) au poste de producteur. Ah ben c'est la valse des Trevor ce disque en fait. Un Trevor s'en va, un autre revient. Volvic sponsorise cette chronique les amis. Les pas de danse s'accompagnent également du retour de Jon Anderson, chanteur officiel de YES qui avait commencé à mener une carrière solo (2) ainsi qu'un duo (sympathique) avec Vangelis, rencontré pendant les sessions d'enregistrement du monstrueux « Relayer » (1974) et où ce sera le suisse Patrick Moraz qui décrochera le jackpot aux claviers (3).
Oui parce que bon, Jon avait un peu quitté le navire après l'album « Tormato » (1978) en même temps que le claviériste Rick Wakeman, laissant le guitariste Steve Howe, le bassiste (et co-créateur du groupe) Chris Squire (4) et le batteur Alan White se débrouiller pour recréer un Yes différent et novateur avec Trevor Horn et Geoff Downes en nouvelles recrues officielles.
Donc voilà ici, this is the new YES.
Passé le hit monstrueux « Owner of the lonely heart » sorti de la tête de Rabin tel Athéna déjà armée de sa lance et son bouclier de la tête de Zeus, hit qu'on a entendu un peu partout (5), que nous reste t-il ? (6)
Eh bien un album fort sympathique de rock ancré dans les années 80 qui a l'intelligence d'essayer de prolonger la filiation avec l'ancien YES tout en avançant dans une époque qu'on imagine synthétique et futuriste (l'ambiance néon bleutés à ras-bord ça nous vient des 80's les enfants, et n'oubliez pas la pochette de ce disque tiens, conçue entièrement sur un des premiers ordinateurs familiaux, le Apple II par Garry Mouat) : la voix unique de Jon Anderson tout de suite reconnaissable (tentative de rassurer un peu les vieux fans), les changements de tempos constants et purement prog au seins de morceaux qui, sans ça, auraient une écriture plus simplifiée sans oublier des titres qui dépassent parfois les 3,4 minutes de base avec les 5mn40 de « It can happen », les 6mn16 de « Changes » ou les 7mn34 de « Hearts ».
But we're not in Kansas, anymore, er... the 70's my boy.
« Changes » oscille entre rock et percées hard ponctué de courts mais délicats et touchants solos de guitare électrique de Rabin. « Leave it » tente une proto-fusion pop avec des touches de gospel. « Cinema » est un instrumental énergique qui n'aurait pas déparé sur l'album précédent, « Drama ». « Our song » c'est du pop-rock de qualité qui change agréablement de tempo sans que la lassitude ne pointe son nez. C'est presque du feel good ce titre, tiens, pas étonnant que ce soit la face B du single d'Owner of, je veux dire, ça saute aux yeux. « Owner of a lonely heart », c'est ze tube imparable. On aura beau y faire et l'avoir entendu 1215452 fois, ça passe toujours aussi bien. Un coup de génie, la preuve j'en parle encore un peu ici. « Hearts » est le morceau uniformément reconnu et estampillé rock prog construit sur une progression qui fonctionne ma foi assez bien.
Finalement, remis dans son contexte historique et en laissant passer le temps (« le temps détruit tout » comme aurait dit un certain cinéaste), ce disque se révèle mieux vieillir que prévu. Sans en attendre un aussi bon crû qu'issu de l'âge d'or, le YES 1983 se bonifie assez bien. Il a une belle robe, dégage quelques arômes de pop pas négligeable avec même quelques épices de prog au fond du verre sans tourner au vinaigre. On ne lui décernera pas la médaille du grand crû au repas musical mais comme de certains petits vins modestes parfois écrasés par une réputation trop grande (ou dans le cas de YES ce hit qui écrase tout le disque) , comme on dit lors du repas, « tiens, il passe bien celui-là ». Ben voilà.
Il est fort probable aussi que dans mon cas j'ai entendu des œuvres pires dans les années 80, voire pires chez YES en lui-même (j'ai essayé et plutôt réessayé « Big generator » (1987) qui le suit mais j'ai toujours encore autant de mal) et que ça a aussi joué un peu, allez savoir.
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(1) Qui ont d'ailleurs admirablement bien mieux vieillies que plein de choses des 80's.
(2) Sur le déclin dès le second album après un « Olias of Sunhillow » (1976) pourtant passionnant.
(3) S'ensuivront alors à ce moment là et sur le long terme une certaine amitié riche en collaborations diverses. Outre le duo « Jon & Vangelis », le claviériste invitera Anderson à pousser la vocalise sur une poignée d'album comme « Heaven and Hell » (1975), « Opéra sauvage » (où l'ami Jon tient la harpe par exemple sur le titre « Flamands Roses » - 1979) ou « See you later » (1980).
(4) L'homme à la basse groovy qui explose le son. Souvent imité, jamais égalé.
(5) J'aurais pu vous mettre un lien mais oui mais non, c'est l'un des plus grands morceaux des années 80, pas besoin de rajouter encore plus à sa grandeur (ou au matraquage, c'est selon).
(6) Vu l'aspect rouleau-compresseur armé qu'est devenue cette composition qui a fini par éclipser l'album en lui-même, la comparaison est pas trop mal je trouve.
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le 15 août 2020
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