Aussi incompréhensible peut-t-il paraître, nous ne connaissons plus nos propres standards. Je dois être le premier des perdants dans l'affaire, comme à chaque fois. Du moins, la découverte - aussi tardive - de tels monuments me fragilise, comme l'impression que cette musique aurait pu m'apporter un sentiment autre à une époque plus lointaine de ma jeunesse. Ou peut-être est-ce le simple fantasme d'une jeunesse rêvée, proche d'une idylle pop ? Bien évidemment que la pop me fascine, mais qui pourrait être pris d'amour pour un genre musical bouffant à tous les râteliers ? Je comprends parfaitement les personnes écoutant continuellement du drone ou du noise, mais comment comprendre une personne léchant son cérumen, imbibé de pop, au coin de ses écouteurs ?


Pour un enfant de la fin du millénaire, toutes les découvertes antérieures aux années 90 finissent par devenir des marques. L'empreinte faussement nostalgique ne s'empare pas de ma sensibilité, l'intérêt étant porté autour de la conceptualisation des tels mouvements musicaux. De fait, le cas des Calamités m'intrigue fortement.


Trois jeunes filles décidèrent, l'air de rien, de créer un groupe de rock à Beaune, en Côte d'Or. Imaginons juste cela dans les années 80, soit un groupe quasiment féminin - on compte la présence d'un batteur anglo-saxon - implanté dans le monde rural. Malheureusement, tous les outils ne nous permettent pas d'établir une histoire plus profonde autour des Calamités. Comment le groupe a été constitué ? Qui étaient ces jeunes filles, si fraîchement dans leur temps ? Finalement, le mystère apporte une profondeur émoustillante ; sans doute, étaient-elles encore étudiantes, désireuses d'apporter leur empreinte dans une époque en pleine évolution musicale.


À bride abattue débute avec Toutes les nuits, morceau de power pop se distinguant notamment par l'apport des doux cœurs des demoiselles. Comment ne pas penser à The Particles, groupe australien de twee pop, ou même à The b52's ? Néanmoins, la force captée sur ce morceau détonne, surtout par rapport au changement frénétique de mélodie. De la frénésie avec une pointe d'innocence, sûrement le meilleur compromis pour débuter un premier album. Cependant, le morceau s'attarde autour d'un certain romantisme pleinement assumé, prôné par la jeunesse évidente de ces femmes. Sans doute, est-ce cette simplicité qui permet à cette chanson de prendre son envol, contemplant les horizons pop vers un genre unique dans le paysage musical français.


Habiles comme toutes, les Calamités s'essaient avec maîtrise à l'anglais. Toutes les compositions anglaises restent cependant des reprises, mais elles correspondent idéalement à l'univers proposé par le groupe. De fait, en continuant de travailler les cœurs et autres apports innocents dans leurs productions, les Calamités finissent par devenir précurseurs. En se rapprochant de Dolly Mixture, le groupe suprême de twee pop, les demoiselles de Beaune initient la pop française vers un nouveau sous-genre, aussi abstrait soit-il. Le rapprochement se fait directement avec les Bangles, groupe phare du mouvement des girls band.


Être pop consiste avant tout à être capable de transgresser les règles de bonne conduite, en conservant - pour sûr - son innocence et son ironie. L'être pop n'est pas genré : n'importe qui peut, dans ce bas monde, changer les règles. Qui sait, Throbbing Gristle aurait pu devenir un groupe de synthpop après les années industrial. Genesis P-Orridge est bien devenue un symbole presque pop de la scène underground à cette époque, comme quoi.


En l'occurrence, nos françaises ont su révéler leur talent évident par l'établissement unique d'une twee pop française. Par ce principe, elles auront mon respect éternel, tant ce genre combine, selon moi, une franchise attendrissante et, surtout, un rapport enivrant avec la musicalité. Sans doute, suis-je facilement charmé par la gente féminine, mais celle-ci m'apporte énormément dans ma quête musicale. Les bijoux pop continuent de se succéder sans interruption : chaque moment apportant de nouvelles pistes de réflexion autour de nombreuses artistes et de groupes féminins.


Ainsi, mon amour inconditionnel auprès de la pop continue son chemin, remerciant la grâce de ces jeunes femmes modernes. En espérant juste que ce groupe trouvera une reconnaissance méritée dans les décennies à venir tant leurs travaux musicaux représentent, selon moi, une approche unique dans la transgression de la pop française, qui plus est à cette époque.


Attention, les morceaux suivants cachent des morceaux pop explosifs, injustement mésestimés :
Toutes les nuits, premier morceau d'À bride abattue : https://www.youtube.com/watch?v=xUJAVcCapsY (notons toutefois le clip bizarroïde et laid)
Malhabile, objet pétillant, innocent et charmeur : https://www.youtube.com/watch?v=RNSs_zz3cdw
Le Supermarché, morceau d'une profondeur étonnante, contant notamment l'ennui de la jeunesse plongée dans le monde rural : https://www.youtube.com/watch?v=vBce9lHzOSc
With a boy like you, grâce à sa composition fiévreuse : https://www.youtube.com/watch?v=k0Po8xVbtE8


Et aussi Vélomoteur, car le morceau est d'une explosivité monstrueuse : https://www.youtube.com/watch?v=305ItogqAY8

Amomo
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le 24 mars 2018

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