Il rêve d'être le Tom Waits noir. Willis Earl Beal, grâce au léger buzz dont il est l'objet, a aujourd'hui la possibilité de le devenir. Signé sur Hot Charity après avoir été remarqué à l'émission X-Factors, Beal couche sur bande audio le résultat de ses années d'errance passées à se nourrir de la rue, de ses influences et de ses expériences. À vos percus les gars, ça s'appelle Acousmatic Sorcery et ça sort tout droit de la cave de grand-mère !
Et chez Beal, c'est suffisamment rare pour être remarqué, le lo-fi se fait réellement authentique. Chez l'ancien SDF qui squatte la maison de sa grandma' (non non, c'était pas une blague), le magnéto four-tracks ne sent pas le réchauffé. Ce n'est pas un effet de design utilisé par un indie-poseur façon "tâte mon son crade, tu la sens mon authenticité ?", mais plutôt le meilleur moyen de rendre compte des histoires solitaires d'un homme qui n'a que sa sincérité à donner (on le sent au bord de la rupture dans la ballade explosée "Away My Silent Lover", la voix chargée de sanglots refoulés). Fort heureusement pour le monde, Willis Earl Beal a plus à dire avec sa seule sincérité que bien d'autres !
Comme Tom Waits, Beal ne veut pas être l'homme d'un seul son. À l'instar du vieux songwriter, il exprime cette diversité au travers d'un registre vocal ahurissant, doté lui aussi d'un organe à mille facettes. Sa musique est à l'image de sa vie passé et présente ; composite et métissée d'influences diverses, allant de la poignante ballade lo-fi "Evening Kiss" (qui ferait à coup sûr frissonner les grands gaillards de Guided By Voices) au blues concassé gueulard ("Take Me Away"). Entre ces pôles flottent les perles ; "Ghost Robot" qui renvoie au proto-rap des Last Poets, le crooning soul de "Sambo Joe From The Rainbow", la bizarrerie envoûtante de "Cosmic Queries", et enfin la délicieusement terrifiante "Angel Chorus", qui achève de voix de maître le disque de Beal. La seule constante dans ce melting-pot stylistique est la monotonie des cordes, de sa guitare et de sa mini-harpe, qui sonnent comme si elles étaient à moitié détruites (ce qui est probablement le cas).
Willis Earl Beal, avec ce seul album (premier, on l'espère d'une longue série), redonne tout son sens à la notion de lo-fi, utilisant intelligemment ce filtre pourtant casse-gueule pour mettre en valeur la variété de son spectre son spectre vocal et accroître la sincérité de sa démarche. On ne peut dès lors que lui souhaiter une carrière aussi prolifique que son père spirituel !