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7.3
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Album de BEAK (2024)

Sorti « par surprise » fin mai – alors qu’on n’en avait pas entendu parler – le quatrième album de Beak> nous a franchement désorientés. En 2018, on avait adoré leur troisième opus, qui semblait annoncer un décollage formel et commercial du groupe vers un style « pink floydien » (en moins psyché et plus kraut, quand même) : un album qui, en prenant en outre tout son sens interprété sur scène, aurait été un peu leur Meddle à eux (maîtrise totale d’une forme révolutionnaire, mise au service d’une musique rapidement accueillante, ou au moins fascinante). La suite, six ans plus tard, serait logiquement un Dark Side of The Moon, ou tout au moins on l’imaginait comme tel, avec à la clé la reconnaissance universelle d’un groupe tout bonnement exceptionnel. Les premières écoutes de >>>> se sont avérées… intrigantes, décevantes même, osons le dire. Et puis nous avons été privés de la version « live » de l’album, qui aurait sans nul conféré un minimum de sens à un disque qui ne semblait pas en avoir beaucoup : mais l’accident de Geoff Barrow (batterie, voix, et ex-Portishead) nous a privé de leur passage au Festival Levitation, et nous a laissés suspendus : avec entre les mains, un disque dont nous ne savions pas trop bien quoi penser, qu’en faire, et avec quand même l’impression diffuse de passer à côté de quelque chose.

Le vide de l’été était donc l’occasion parfaite de se replonger dans >>>> et d’essayer de comprendre de quoi il retournait. Et ça a été une révélation. Enfin, une « sorte de révélation ».

« He’s the one / I can feel / Time is short / And so is he » (C’est lui / Je peux sentir / Le temps est court / Et lui aussi) : euh, on sait bien que les lyrics de Beak> ne donnent que peu d’indications rationnelles sur la musique du groupe. D’ailleurs, quand on ose une pochette aussi grandiose / débile que celle de >>>>, avec un chien géant aux yeux lasers désintégrant / téléportant le trio de Bristol, c’est bien qu’on ne va pas aider le public outre mesure à comprendre de quoi il retourne (… en faisant l’hypothèse d’ailleurs que Barrow et compagnie le savent eux-mêmes !). Mais bon, avec un démarrage ultra-prog – A Saucerful of Secrets, quelqu’un ? – qui met paradoxalement le chant de Barrow en avant, les huit minutes de l’ouverture de Strawberry Lines vont nous entraîner sur un terrain nouveau pour le groupe : celui de l’émotion. Car lorsque la batterie démarre et que la basse sinueuse (liquide, presque) élève la chanson vers une sorte de stase paroxystique, où une électronique anonyme tente de noyer les chœurs « anthémiques », il est difficile de ne pas s’engloutir dans le vortex abstrait final, de ne pas lâcher prise. Est-ce beau ? Est-ce laid ? Est-ce puissant ? Est-ce grotesque ? C’est dans cette ambiguïté que >>>> va définitivement se nicher. En refusant un classicisme d’avant-garde qui rende Beak> respectable, et en allant chercher des déséquilibres nouveaux.

The Seal poursuit la même trajectoire, mais établit également un lien avec l’album précédent, avec une immédiateté nouvelle. The Seal pourrait presque être un tube dans tous les asiles psychiatriques de la planète. Et nous, nous sommes prêts à le trouver magnifique. « This all feels alone / In the life » (Tout cela sent la solitude / Dans la vie). Non pardon, tout cela est magnifique. Absolument. Windmill Hill nous repousse ensuite violemment dans le domaine de l’expérimentation chaotique, déplaisante presque : à l’heure d’écrire ces lignes, nous n’en avons pas encore trouvé la clef. Heureusement, Denim nous offre une planche de salut alors que nous nous noyons, et sa plongée introspective nous semble d’un coup terriblement bienveillante, jusqu’à un final où une guitare brutale porte un chant terriblement triste, comme si Kurt Cobain s’était réincarné pendant une poignée de minutes en une excroissance malade dans le corps de la musique de Beak>. Et puis, incroyable mais vrai, c’est du côté de Laurel Canyon circa 1970 que Beak> reconstruisent la musique de Hungry Are We, avant que la chanson ne se perde dans la brume : « So hopeless and hungry / And we cannot see them » (Si désespérés et affamés / Et nous ne pouvons pas les voir).

Ay yeh, presque dansant, presque énergique (enfin, pour Beak> !) a tout d’un futur classique, et est presque un titre commercial, « feel good » avec sa batterie martelant un rythme entraînant, que les claviers visqueux vont néanmoins venir contaminer, et tirer vers le bas. Bloody Miles – qui se met à « groover » dans sa deuxième partie, lumineuse – et (surtout) Secrets – un titre presque indus / synth pop avec des morceaux de New Order dedans -, les deux titres suivants, confirment la tendance de cette seconde face à être nettement plus aimable : « And I know / We are different / And I know / We need answers » (Et je sais / Nous sommes différents / Et je sais / Nous avons besoin de réponses). Être capables de formuler le problème, n’est-ce pas déjà approcher la solution ?

Si Secrets est le morceau à faire écouter en priorité à quelqu’un qui ne connaîtrait pas Beak>, il conviendra d’éviter à ses oreilles la conclusion de l’album, Cellophane, huit minutes éprouvantes, traduisant une démarche à la fois extrémiste et accablée qui peut rappeler celle du Velvet Underground lorsque Lou Reed laissait les commandes à John Cale : claustrophobique, sombre, étouffant, voici un morceau qui ne vous veut pas du bien. Et pourtant, à la fin, quelque chose d’inattendu surgit : le déluge de notes d’une guitare saturée, la rythmique qui démarre, la pulsation qui s’accélère, c’est la VIE qui resurgit, qui re-démarre. In extremis.

>>>> est un sacré album, exigeant comme l’était la musique autrefois, un album apparemment avare en récompenses (tous ces efforts face à un disque aussi multiforme, complexe et déroutant, pour quoi ?), mais est aussi la confirmation que Beak> ne jouent pas dans la même cour que 99% des groupes actuels. Qui s’en plaindrait ? Pas nous !

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/07/16/beak-in-extremis/

EricDebarnot
7
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Créée

le 18 juil. 2024

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Eric BBYoda

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