Neal Morse n’a décidément pas le syndrome de la page blanche. De ses débuts avec Spock’s Beard à Transatlantic, en passant par Flying Colors, notre hurluberlu sonique a dû stocker un impressionnant paquet de jolies ballades et de redoutables compositions au fond de ses tiroirs pour réussir à loger, à minima, sa livrée annuelle.
En 2005, ce troisième album post « révélation mystique » nous renvoyait directement au mythe du Tabernacle. J’en vois déjà se gratter la tête avec une perplexité non feinte. On les comprend. Pour faire court, il est question ici de croyance(s), de tables de la loi (sans Indiana Jones), de procession et autres petits arrangements avec le divin que je me garderai d’approfondir pour ne point choquer les âmes sensibles. Bref, ce titre en forme de point d’interrogation (Question Mark) touche à la question essentielle, existentielle et fondamentale : Pourquoi ? Merci du cadeau. Et pour caser du béni oui-oui jusqu’à plus soif, on résumera la réponse en cherchant bien au fond de nous-mêmes cette petite voix qui devrait nous répondre alléluia. Ou pas.
Même si l’on s’amuse à mettre de côté la litanie mystérieuse des textes, il faut se rendre à l’évidence que ce titre unique, scindé en douze chapitres, signe avant tout le retour du bonhomme sur les terres envoûtées d’un songwriting haut placé. Et pour faire bonne mesure, il s’accompagne de quelques confrères vertigineux : Mike Portnoy (Dream Theater, Flying Colors, Transatlantic), Jordan Rudess (Dream Theater, LTE), Roine Stolt (The Flower Kings, Transatlantic), le frangin Alan Morse (Spock’s Beard) et un Steve Hackett éminemment inspiré qui constitue bien évidemment la grande surprise du jour. Son jeu délicat et majestueux offre ainsi une saveur particulière aux très génésiens « Sweet Elation » et « 12 ». Du grand art.
Cette petite heure de jeu miraculeuse s’égrène sans pression dans une passion sans temps mort. L’influence souple des Beatles est bien là (« Another World ») et la voix de Neal Morse soigne sa ressemblance sauvage avec Lennon. Ballotté entre les virées croustillantes du diptyque apocalyptique « In the Fire » (et son infernal duel au soleil clavier-guitare) / « Solid As The Sun » et deux somptueuses ballades en dentelle dont il garde le secret (« Outside Looking In », « Inside His Presence »), l’ensemble parfait un discours onirique un poil réchauffé mais paré de séduisants habits multicolores.
En ajoutant de la nervosité ici et en travaillant l’élégance et la légèreté par-là, Question Mark s’avère plus abordable, plus concis que le précédent album (One, 2004). Surtout, il évite le prosélytisme dévoyé et torturé que l’on pouvait craindre d’un tel projet. Mieux, son sens de la composition efficace et surgonflée finit même de transformer ce disque en flot musical euphorisant. Sans le savoir, il l’installait au sommet d’un édifice discographique impressionnant, en perpétuelle construction.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste