C’est en 1917 que Harold Lloyd créa le personnage de « Lunettes » (Glasses en anglais), archétype du jeune homme maladroit, timide, qui deviendra à ce point symbolique que le logotype aujourd’hui reconnu pour ses œuvres reste une paire de lunettes rondes. Moins connu que Charlie Chaplin ou Buster Keaton, notamment parce que Lloyd n’a pas réalisé lui-même ses grands films n’obtenant pas directement le statut d’auteur prisé par les cinéphiles adeptes des cases à cocher, Lloyd est aujourd’hui (re)connu pour son sens de la cascade et des scènes vertigineuses. Et si peu de monde connaît le titre Monte là dessus !, qui ne connaît pas la fameuse scène d’escalade d’un immeuble de douze étages avec comme point d’orgue le balancement à l’aiguille d’une horloge à 20 mètres au dessus de la rue ? Une merveille.
Pour mieux comprendre Lloyd, autant le laisser parler : « Je me promenais à Los Angeles, quand j’aperçus une foule immense rassemblée autour du Brockham Buiding. On m’apprit qu’ « une araignée humaine » allait escalader la façade. Bientôt apparut un type assez jeune qu’on présenta à la foule, car il y avait dans toute l’affaire un aspect commercial. Sans cérémonie l’homme se mit à grimper et cela fit sur moi un tel effet que lorsqu’il arriva au troisième étage, je n’osais déjà plus le regarder. J’avais la gorge serrée et je partis. Mais je ne cessais de me retourner pour voir s’il était toujours là. Il réussit son ascension et fit même de la bicyclette sur le rebord du toit. C’était extraordinaire d’audace et de courage. Je revins sur les lieux pour demander au jeune acrobate de venir nous voir aux studios. Il s’appelait Bill Strohers. Nous l’engageâmes sans savoir exactement ce que nous allions faire. Il fallait trouver quelque chose d’efficace pour amener cette escalade. Nous commençâmes à travailler avec les scénaristes et ceux-ci inventèrent une petit intrigue comme point de départ. »
Harold Lloyd, même s’il n’était pas suspendu 20 mètres au dessus du sol, se contentant d’un petit deux étages de circonstance, fit ses propres cascades comme à l’accoutumé. Une habitude qui lui avait valu de perdre un pouce et un index lors d’une séquence tournée en 1919 avec une grenade en plâtre. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il portait un gant (spécial) à l’écran. Cette anecdote ajoute encore à l’exploit physique réalisé pour ce film.
Film de truquages, donc, et de trompe l’œil, Monte là-dessus ! est un véritable bijou de rythme et d’ingéniosité. Mais pas seulement ! Il faut également noter l’humour des incrustations qui s’échinent, chose très nouvelle pour l’époque, à changer en fonction des circonstances. Ainsi un personnage qui hurle aura un texte écrit en gros, sur l’écran, alors qu’un personnage qui s’éloigne affichera un texte minuscule, presque illisible. Également, des commentaires assez décalés viennent ponctuer certaines scènes comme celle où Harold est bloqué dans une voiture alors qu’il doit aller à son travail : « Ce fut la plus longue année de sa vie. Elle dura 30 minutes ». Effets garantis. Le film est réalisé avec un formidable sens visuel par Fred C. Newmeyer et Sam Taylor dont c’était le deuxième long métrage. Ce dernier retrouvera par la suite Harold Lloyd à de maintes occasions et notamment sur Faut Pas s’en Faire (1923), Girl Shy (1924) et Vive le Sport (1925), nouvelles très belles réussites du tandem. Quant à Harold Lloyd, le parlant aura malheureusement raison de sa carrière… après près de 200 films (courts et longs métrages compris) produits jusqu’en 1930, sa carrière s’étiola rapidement avec encore six films et un dernier rôle en 1947 dans Oh Quel Mercredi ! de l’impayable Preston Sturges.
Film déconseillé aux âmes sensibles souffrant de vertige, Monte là-dessus ! est également le dernier film interprété par Mildred Davis qui abandonnera son métier d’actrice pour devenir Madame Lloyd à la ville. Ces deux faits n’ont évidemment rien à voir ensemble.